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EAN : 9782743661687
608 pages
Payot et Rivages (03/01/2024)
4.13/5   92 notes
Résumé :
Quel fil invisible relie un ancien résistant, une starlette de la téléréalité, un père de famille américain, un couple d’étudiants appliqués, un migrant mexicain et une jeune mère au bord de la crise de nerfs ? Aucun en apparence, et pourtant. Des forces mystérieuses tressent leurs vies pour les plonger dans la tourmente, hantées par l’ironie de l’Histoire, son cours impitoyable. Leurs ambitions cohabitent avec le mensonge et la fatalité les attend au tournant.
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Critiques, Analyses et Avis (35) Voir plus Ajouter une critique
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Tableau croisé dynamique.
Je ne suis pas un virtuose d'Excel mais comme je suis lassé des formules toutes faites du genre « Roman-Monde » ou « Roman-fleuve », je préfère ouvrir les windows pour évoquer ce titre qui raconte les vies entrelacées d'une bonne douzaine de personnages éparpillés entre la France et les States.
Le second livre d'Edouard Jousselin est un passionnant pot-pourri au parfum des trente dernières années, qui passe de la relégation de l'AJ Auxerre en ligue 2 (c'est du foot !) à l'attentat d'Oklahoma City en 1995, du succès d'un blockbuster Hollywoodien à la succession d'un vignoble bordelais, des bas-fonds du Darkweb aux fantômes de Qarré-les-tombes. Un fil dysharmonique.
Tous ces évènements, catastrophes, attentats qui fracturent l'histoire sont ici greffés par un effet papillon taille triple XL qui traverse l'Atlantique, provoqué par des destins que certains provoquent et que d'autres subissent. Entre les supposés winners et les prétendus loosers, dans une langue Houellebecquienne, le romancier floute très habilement la différence entre le déterminé et le déterminable. La fameuse géométrie des possibles du titre. Une équation peuplée d'inconnus. Est-il illusoire de penser que nous pouvons être maître de notre avenir ?
Allez, je vous fais les présentations, mais on va oublier les bisettes, le tour de table étant plus long que la liste des invités d'un mariage royal.
Du côté des aînés, il y a Lucien, au passé de résistant aussi trouble que les brumes du maquis du Morvan. Sa fille Isabelle est un des maillons fort du récit. D'abord marié à Dominique, un fan de Guy Roux, avec lequel elle a eu deux enfants, Max, un glandeur qui vit de petites escroqueries sur le Darkweb et Marine, dopée à la réussite professionnelle. Max fréquente Clarisse, prête à tout pour concrétiser son rêve de devenir actrice. Marine, de son côté vit une petite histoire avec Stéphane, un écrivain en herbe.
Et côté Yankees me direz-vous ? Il y a Benjamin, un directeur du FBI qui ne fait pas le deuil d'une amourette de jeunesse avec Jessica, partie enseigner la littérature à Paris. Nous avons aussi William Smith, qui tente de reprendre un semblant de vie normale avec sa femme Lucy après l'attentat d'Oklahoma City dans lequel il a laissé une partie de lui-même et ce n'est pas une métaphore. Ils ont une progéniture difficile, descendance descendante, avec un fiston plus dopé qu'un coureur cycliste. Je finis par Candido Rincon, immigré mexicain, déraciné et apatride affectif qui va croiser la route d'un producteur de cinéma à succès, Bruno, le nouveau compagnon d'Isabelle. Vous avez suivi ? Présentez comme cela, on dirait le pitch du 1317 ème épisode d'un feuilleton français post-apéro mais promis, tous les personnages ne portent pas des chemises en lin et ne boivent pas du rosé pour s'occuper les mains et s'épargner des dialogues affligeants.
Malgré le foisonnement de personnages, je n'ai pas été une seule fois égaré dans ce récit et je me suis intéressé à la vie de tout ce petit monde en me demandant comment l'auteur allait les connecter. Comme les aléas de la vie se soucient peu de la chronologie, le récit n'est pas linéaire et cette construction habile, autour d'évènements historiques, rappelle certains romans de Jonathan Coe.
Edouard Jousselin s'intéresse à tout sauf à son nombril, ce qui déjà est une rareté louable pour un romancier français, son style assez clinique se marie bien à l'époque et les 600 pages de son roman se lisent comme des chroniques imprévisibles qui suivent un fil d'Ariane emmêlé.
Un roman de ruptures : temporelles, sentimentales, spatiales et accidentelles. Et de retrouvailles qui vaille.
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Entrelacement de destins en une ronde dans laquelle je n'ai pas réussi à m'insérer…

Ce roman choral du jeune Edouard Jousselin est son second roman. Il trace le destin de plusieurs personnages des années 90 aux années 2000, à travers différents lieux. du petit village de Quarré-les-Tombes dans le Morvan aux vignes bordelaises, de Paris aux États-Unis, de l'État d'Oklahoma, en passant par le Mexique à la Californie, le monde fourmille de vies éparses et la destinée des personnages s'entrelace petit à petit, d'abord subrepticement puis de façon plus équivoque. Cette façon de tresser les destins de personnes aussi éloignées m'a fait penser à la théorie des six degrés de séparation qui évoque la possibilité que toute personne sur le globe peut être reliée à n'importe quelle autre, au travers d'une chaine de relations individuelles comprenant au plus six maillons.

Même si j'ai passé un assez bon moment de lecture, souriant de bon coeur notamment aux références culturelles et politiques des années 90 dont il est fait mention, et trouvant l'idée de base du roman original et intriguant, je n'ai pas été emportée comme je l'escomptais. Toutes les critiques, excellentes et dithyrambiques sur ce livre, mentionnaient en effet un attachement immédiat aux personnages au point de rendre le livre addictif. Force est de constater que je suis restée quelque peu au bord, sans doute du fait d'une plume qui ne m'a pas particulièrement plu tant elle manque d'âme, de singularité, de caractère. Et ce malgré une structure narrative non linéaire, l'auteur jouant avec les époques en allers-retours incessants, déstabilisants au départ puis donnant enfin la seule originalité au récit, nous permettant de sauter sans arrêt d'époques, de lieux et de personnages, l'auteur tressant ces fils du destin en éléments de plus en plus serrés. Et ce malgré une construction efficace et impeccable.
Alors je suis un peu triste d'avoir été à contrecourant avec cette lecture où moi aussi j'aurais tant aimé prendre plaisir à virevolter entre des psychés et des univers culturels, des époques, et attendre avec intérêt la façon dont l'auteur allait bien pouvoir retomber sur ses pieds…

Le texte pourtant commence fort. Il s'ouvre sur un accident de voiture et les détails qui y sont apportés donnent le ton, et quel ton, en termes de détails précis, de séquence quasi cinématographique, d'émotions. Un zoom, un traveling, puis la ronde commence avec Isabelle et Dominique, couple français habitant ce petit village du Morvan et leurs deux enfants, Max et Marine. Quarré-les Tombes est une petite bourgade du Morvan marquée par l'Histoire, depuis le Moyen Âge jusqu'à la Résistance. le père d'Isabelle, Lucien, qui meurt en 2012, était justement un ancien résistant. Isabelle a beaucoup de mal avec son garçon et ce dès la naissance. Puis il y Clarice, petite amie de Max qui rêve de devenir une star hollywoodienne et Stéphane, étudiant décadent, petit ami de l'ambitieuse Marine. Voilà, en partie, pour les personnages français. Concernant la partie américaine, il y a plusieurs personnages masculins qui vont avoir leur rôle à jouer. Il y a notamment Steve qui est fan de séries. Ben, spécialiste en crimes au FBI, William au triste destin et père de Steve et Tyler, Candido d'origine mexicaine qui rêve d'une vie normale et douce en Californie, Bruno un producteur de films, et d'autres encore.
Quel est le lien entre tous ces personnages qui ont tous des rêves et des espoirs singuliers ? Comment va procéder l'auteur pour faire en sorte que leurs destins se croisent, se frôlent, voire se percutent ?

Si la plume de l'auteur m'a laissé de marbre, j'ai apprécié en revanche les différentes facettes du roman, sa facette sociologique sur la France des lisières, sur l'importance des réseaux sociaux et d'Internet, sur les migrants et leurs conditions de vie précaires, sa facette psychologique sur la solitude et les addictions, son côté historique avec la Résistance via la voix de Lucien, même si ces facettes sont simplement abordées, elles le sont avec subtilité et sont naturellement insérées au récit.
C'est ainsi une fresque colorée au style moderne qui raconte le monde occidental de ces trente dernières années entre terrorisme, solitude, piraterie informatique et ubérisation de la société.

Beaucoup parlent d'une oeuvre-monde à propos de la géométrie des possibles, je peux le comprendre même s'il manque pour moi cet ingrédient essentiel qu'est la plume de l'auteur, la beauté d'un style, l'étonnement de tournures de phrases, le caractère d'une plume qui sait camper une ambiance. Sinon, en termes de structure narrative et de construction et dans la façon d'approcher des problématiques sociales contemporaines, ce livre est très bon et permet de passer un agréable moment de lecture.

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Coup de coeur !
● « – […] C'est l'objet de mon roman : à travers cet homme, je voulais parler d'un esprit, un esprit très français. L'esprit de résistance.
– Et c'est justement là où votre livre devient un grand texte. Vous ne racontez pas seulement l'histoire de ce Lucien, mais vous allez bien au-delà, vous disséquez la psyché française. Et pour ce faire, vous remontez jusqu'à Charlemagne, si je ne me trompe pas…
– Oui, pratiquement, sourit Stéphane.
– Pour finir avec les Gilets jaunes. »
● 2012. Quarré-Les-Tombes, en Bourgogne, dans le Morvan. On enterre Lucien Michot ; son gendre Dominique Richard est présent aux funérailles, mais pas sa fille Isabelle, divorcée de Dominique. Ses petits-enfants Maxime, dit Max, et Marine sont là aussi. Max est en Terminale, mais ne pense qu'à s'envoyer en l'air avec sa copine Clarice qu'il méprise et qui, elle, ne rêve que d'être une grande actrice hollywoodienne. Max lui fait croire qu'il peut lui ouvrir des portes grâce à son beau-père qui est producteur à Los Angeles. Marine est en prépa HEC à Paris ; elle travaille beaucoup et a un copain qui est dans la même classe, Stéphane. Elle n'est pas amoureuse de lui, mais fait avec en attendant mieux. Dominique est fan de foot, notamment de l'AJ Auxerre. Puis nous allons explorer le passé, en 1995, époque de la jeunesse de Dominique et Isabelle, et faire la connaissance d'autres personnages sur le continent américain.
● Je suis complètement admiratif du brio narratif de ce deuxième roman d'Edouard Jousselin (je n'ai pas lu le premier). Les fils narratifs paraissent d'abord épars et on se demande comment l'auteur va pouvoir rassembler tous ces personnages, d'autant que leurs relations n'apparaissent pas avant la moitié du livre. ● de même, il y a un va-et-vient brillant entre les époques, en gros les années 1990 et les années 2010 (avec de petites incursions au Moyen Âge et même dans l'Antiquité !). Beaucoup d'auteurs font cela, mais peu le font avec autant de finesse et de subtilité. ● L'apparence est désordonnée, mais en fait on se rend compte que tout est très savamment orchestré, y compris la résurgence de l'année 1993 ou l'apparition de certaine lettre à la fin. ● L'architecture narrative est remarquable et permet au lecteur de découvrir des secrets peu à peu révélés, sans que cela paraisse le moins du monde artificiel. ● L'ambitus temporel permet à l'auteur d'embrasser les événements des trente dernières années, sur le plan de la politique française comme étatsunienne, des faits de société, du terrorisme, des meurtres de masse, des épidémies… ● le roman est addictif, même au début lorsque l'auteur parle de personnages sans qu'on comprenne ce qui les lie car il a le don de les rendre attachants et on a envie d'en savoir plus sur eux. C'est un captivant tourbillon de destins individuels qui s'entrechoquent avec les événements du monde. ● le foisonnement de personnages ne nuit pas du tout à la compréhension car ils sont tous très bien caractérisés et on les garde en mémoire dès qu'ils apparaissent. ● Edouard Jousselin parle avec un égal bonheur des territoires morvandiaux laissés pour compte, de la grande viticulture bordelaise, de la téléréalité, d'un migrant mexicain et de la poudre aux yeux d'Hollywood… ● C'est un superbe roman au souffle magistral dont on lit les six cents pages en apnée. Quelle ambition et quelle réussite ! Même le titre est magnifique ! Je remercie Chantal @kittiwake de me l'avoir fait découvrir et à mon tour je le conseille sans réserve !
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Le roman est construit sur une convergence des parcours, si différents les uns des autres qu'il est impossible de deviner comment ces destins se croiseront un jour. Qu'est-ce qui relie un émigré mexicain, des étudiants américains en couple, une jeune mère exténuée, un père de famille et une jeune française qui rêve d'une carrière cinématographique à Hollywood ? C'est d'autant plus mystérieux que la chronologie s'amuse à brouiller les pistes…


C'est en tout cas fort réussi, terriblement addictif, et malgré le nombre de pages, aucun ennui ne se fait sentir. Sans doute en raison de la précision des portraits, et de l'intérêt que suscite chaque personnage, alors que chaque situation renvoie à des thèmes de société bien actuels et sujets à débat, entre autres le darkweb, la télé-réalité, le terrorisme, le racisme et les rêves qui s'échouent à peine entrevus.Des destins que chacun croit avoir choisis, et qui se heurtent à une fatalité aussi perverse qu'aveugle …

Un deuxième roman envoutant et un premier coup de coeur pour cette rentrée d'hiver !

608 pages rivages 3 janvier 2024

Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Un panorama saisissant de notre époque
C'est avec un roman choral qu'Édouard Jousselin confirme son talent à construire des histoires foisonnantes. de Los Angeles au Morvan, il va peindre une riche galerie de personnages qui vont lui permettre d'analyser avec acuité nos sociétés contemporaines.

Le roman s'ouvre sur une scène d'accident mortel sur l'autoroute 101 aux abords de Los Angeles. Il a coûté la vie à un producteur de cinéma.
Puis on bascule en février 2012, dans l'église de Quarré-les-Tombes dans le Morvan où l'on enterre l'un des derniers résistants de la Seconde Guerre mondiale. Au sein de la maigre assemblée, on compte Dominique son gendre et ses petits-enfants Maxime et Marine. Attardons-nous un peu sur cette dernière. Elle a fait le voyage depuis Paris où elle travaille d'arrache-pied pour intégrer une classe préparatoire. Joignant l'utile à l'agréable, elle révise avec son amant Stéphane, mais elle sait déjà que leur histoire ne durera pas.
En parlant de révisions, Maxime laisse entendre qu'il a travaillé sa philo avec Clarice, alors qu'ils n'ont fait que baiser. Il faut dire qu'au sortir de l'adolescence, leur libido est un élément primordial de leur vie provinciale. Clarice se rêve actrice et remercie Max qui vient de lui affirmer qu'il a envoyé sa vidéo à son beau-père, producteur à Hollywood. Un mensonge qui lui permet de voir Clarice fondre d'amour pour lui. le jeune homme, quant à lui, arrondit ses fins de mois sur internet. le geek a mis au point un système d'arnaque qui permet à ses clients d'accéder à des sites pornos qu'il déverrouille et rassemble.
Pendant ce temps, à Tulsa en Oklahoma, les frères Steve et Tyler assistent à la projection du troisième film de la série The last Fighters, une franchise au succès planétaire dont on suivra la production jusqu'à l'opus 4 intitulé Aux racines de la colère.
Mais auparavant, on aura refait un voyage dans le temps, en avril 1995. L'occasion de découvrir les vies des parents et grands-parents des personnages si bien dépeints dans les chapitres initiaux. On y découvre notamment Isabelle que la naissance de Maxime traumatise, son père parti commémorer la fin de la Seconde guerre mondiale sur les Champs Élysées et croiser Mitterrand et Chirac qui vient tout juste d'être élu, tandis qu'aux États-Unis un attentat vient de souffler un immeuble fédéral d'Oklahoma City. Parmi les fonctionnaires blessés figure Bill, le père des deux frères, qui sera marqué à vie physiquement, mais surtout psychologiquement.
Si la galerie de personnages est loin d'être complète, elle permet cependant de bien comprendre l'intention d'Édouard Jousselin, tirer des fils entre les différents personnages et les différentes époques, développer cette géométrie des possibles –un excellent titre – et ce faisant explorer la complexité de notre époque. Car à l'image des acteurs de ce roman choral, on va constater combien les années vont les changer, que la vérité de l'instant n'est plus celle de ceux qui vont suivre. Et que l'analyse à chaud n'est pas forcément la plus pertinente. le 11 septembre 2001 en est l'exemple le plus saisissant, parce qu'il «se vit en mondovision comme une finale olympique.» L'événement va saisir les personnages quasiment en direct. «Ben Crawford à Los Angeles, Jessica Dahlgren à Paris, Cándido Rincón dans sa loge de gardien de l'Arroyo Blanco, Isabelle et Dominique Richard à Quarré-les-Tombes, Lucien Michot sur son canapé, William et Lucy Smith dans le matin de l''Oklahoma, Bruno Landisier quelque part sur la route d'un festival du film ou sur un plateau de tournage, tous reçoivent un flux d'ondes décrivant la trajectoire d'hommes se jetant d'une tour en flamme pour s'écraser à une vitesse folle sur la dalle new-yorkaise. Aucun ne peut détourner le regard ni éteindre son émetteur radio. Aucun ne comprend complètement ce qui se déroule. Aucun n'ose y croire.»
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. En vous y abonnant, vous serez par ailleurs informé de la parution de toutes mes chroniques.


Lien : https://collectiondelivres.w..
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critiques presse (1)
Marianne_
05 février 2024
Longtemps que nous n'avions plus eu le plaisir de nous plonger dans un roman total, dans un « roman monde » qui nous fasse voyager dans le temps et l'espace. La Géométrie des possibles, d'Édouard Jousselin, c'est tout cela, et plus encore.
Lire la critique sur le site : Marianne_
Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
Chacun sculpe patiemment l'autre. Les couples heureux aussi bien que les couples malheureux. Isabelle, ma fille, tu as un don du ciel, à un point que tu ne réalises pas. ne l'oublie jamais, je t'en prie. Quand tu seras déformée comme moi il y a intérêt que ce soit par une vie de bonheur !
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Elle préfère, de son coté, nourrir sa curiosité au contact des autres. Ceux qui savent, ceux qui ne savent pas, ceux qui doutent et surtout ceux qui ont tout à apprendre. Elle deviendra prof, au collège ou au lycée. Elle enseignera le français ou l’anglais à des gamins qui un jour, grâce à elle, partirons rencontrer le monde.
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Elle s’en fout d’être une experte, elle pense même qu’en matière de littérature, l’expertise abîme la passion, la magie des mots et de la langue. L’expertise assèche. Elle n’était pas faite pour se lancer dans l’exégèse des œuvres d’un obscur auteur que, soi-disant, tous les écrivains qu’elle aime constituent des sujets « archi défrichés ». Sa vie ne consistera pas à réanimer les lettres de morts oubliés.
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(Les premières pages du livre)
Ça ne fait pas de bruit. Du moins ça n’en fait plus. Le fracas bref, puissant, s’est éteint aussitôt après le formidable craquement de tôle, éphémère comme un lacis de foudre. Sur la route, on ne perçoit pas la moindre trace d’un freinage. Rien. Pas de bandes de caoutchouc en lignes parallèles sur l’asphalte brûlant. Seulement le silence des débris.
La Maserati Quattroporte couleur Bronzo Montecarlo est pliée. Elle gît à moitié sur la bande d’arrêt d’urgence, éventrée sur son flanc gauche. Le capot expectore une fumée grisâtre et malodorante. Ses longerons sont si déformés que la bagnole semble se courber sur elle-même, arquée tels les arbres qui poussent aux vents et les enfants dans le ventre de leur mère. Sous le plancher coule un mélange d’huile de moteur, de liquide de refroidissement et de sang. Il coagule au contact de la chaussée, devenant brun et poreux.
Ça ne ressemble pas à un véritable accident. On dirait du cinéma. Ça donne l’impression d’une reconstitution bas budget. Une modeste production récupère une épave à la casse, la repeint grossièrement avant de la déposer au bord d’une route. L’acteur a le front sur le volant, il gémit quand la caméra s’approche, puis bave pitoyablement, jusqu’à la mort. L’ironie, c’est que jamais il n’aurait autorisé qu’on tournât une scène pareille dans un de ses films. Jamais. Il était, au contraire, des plus attentifs à ce genre de détails. Dès le scénario, il aurait demandé qu’on lui expliquât d’où provenaient les véhicules, et lequel était responsable de la collision. Il aurait juré que cela ne collait pas. La Honda Accord couleur Tiger Eye Pearl devrait être plus proche, peut-être encore encastrée dans la Maserati, plutôt que de ronfler quinze mètres plus avant. Il faudrait qu’il y ait davantage de verre sur le sol, que les pare-chocs branlent, qu’un panneau de custode repose, déformé, sur le macadam. Le mort pourrait geindre encore un peu, ou non, mieux, n’être que blessé. Il taperait à la vitre pour qu’on le sorte de là. Gueulerait. Finirait par perdre un morceau de jambe comme la belle blonde dans Amours chiennes d’Iñárritu.
La 101 est déserte, un comble à Los Angeles. Au loin, une sirène hurle. La police, peut-être une ambulance. Il est trop tard, le corps ne se réveillera pas. Le conducteur de la Honda essaie de prendre la fuite au volant de sa ruine. Elle produit un son de roulis métallique et de désespoir. Finalement, il se carapate à pied, tenant son avant-bras gauche contre sa poitrine.
Autour, la chaussée s’évapore. La nuit est douce, un vent océanique caresse le ventre chaud de la ville et charrie des monceaux de poussière. Une odeur de bitume flotte dans l’air et rejoint les notes de sucre, de gras, de café, de friture brûlante, le parfum des beignets à la banane, celui des gazons coupés ras, des fleurs de jardins municipaux et de la pisse des vagabonds.

PARTIE I
LA QUADRATURE DES PÈRES
FÉVRIER 2012
Au cœur de la France, comme une marque de charbon, sombre et imposante, le Morvan se dessine dans la brume. C’est un parc de Bourgogne aux charmes austères, semé de vallons, de rivières et de bois. La ligne à grande vitesse lui ampute l’oreille gauche, l’A6 prend soin de contourner par le Nord ses forêts de chênes pédonculés, de bouleaux verruqueux, d’érables, de sapins et d’épicéas. D’où qu’on l’aborde, le Morvan donne cette impression de bouche noire et avide, cette impression de gouffre. Les anciens en racontent bien des choses à son propos, vantent le magnétisme de sa dalle granitique qui combat leurs rhumatismes et les garde en longue santé, narrent ses récits d’antan qu’ils mêlent aux contes de sorcellerie, chuchotent des pans d’Histoire oubliés, ne manquent jamais d’évoquer le souvenir d’un père qui croisa le fer jadis avec l’occupant, dans une vallée encaissée.

Les anciens, ils sont là, une petite quinzaine, les bras croisés dans le dos, certains les mains dans les poches. On croirait des empereurs piétinant la banquise. Le froid de l’est a gagné la plaine. La terre gelée s’évapore lentement, exhalant une timide odeur d’herbe grasse et de pierres mouillées. Une vieille, sous son châle, essuie une larme avec un mouchoir beige brodé de ses initiales. Ils attendent sur le pas de l’église de Quarré-les-Tombes, serrés à l’abri du porche, tandis que le vent baffe le cercueil. Ils se reconnaissent, se saluent, patientent sagement.
Ils ont l’habitude des enterrements, enfin ils s’y sont habitués avec l’âge qui avance, s’y rendent habillés des vêtements du dimanche, résignés à voir partir les partenaires de clubs, celle-là qui était si bavarde, le vieux coureur de jupons qui avait été bel homme, cette malheureuse dont le mari était mort bien jeune, celui-ci qui en avait une sacrée santé pour avoir vécu si longtemps avec les murges qu’il se mettait, l’autre encore dont on disait qu’il ferait un vigoureux centenaire et qui claqua pourtant deux ans à peine après avoir pris sa retraite.
Aujourd’hui, c’est le tour de Lucien Michot de rejoindre la longue liste des amis d’outre-tombe. Pas n’importe qui, le Lucien. Un résistant. Quelques anciens en ont accroché des breloques, au revers de leur veste, que le soleil d’hiver fait scintiller. Le maire fera un discours pendant l’office, il évoquera le maquis, dit-on. Cela fait toujours plaisir, ces vieilles histoires d’héroïsme. Elles sont le sel de cette terre.

En attendant, le froid glace leurs os. Surtout à ce gros type qui s’affaire autour du cercueil, va et vient avec des gerbes, les dispose tantôt sur le sol, tantôt sur le pin de la bière, remet sa cravate droite, puis son col et de nouveau sa cravate, s’éclaircit la voix pour discourir mais ne dit finalement rien, ou juste une chuchoterie à l’oreille de son supérieur resté tranquillement au chaud, sur le siège passager du corbillard, et qui écoute une émission sportive de Radio Monte-Carlo.
La famille arrive, à petits pas depuis la place du village. Enfin, la famille… ce qu’il en reste. Dominique Richard, qui avait été son gendre, Maxime, le petit-fils, et puis Marine, bien sûr, la Parisienne, celle qui fait de grandes études et fera de grandes choses, qui est d’ailleurs assez grande et a l’allure d’une femme puissante dans sa belle robe noire, une femme du grand monde. À tous, elle rappelle sa mère, sa mère absente, absente de l’enterrement de son propre père, voilà qui donnera un sujet de discussion aux anciens, lesquels n’en demandent pas tant, eux qui entrent tête baissée dans l’église.
Et se signent.

Quelques minutes plus tard, tout le monde est assis. Le maire est finalement excusé, un empêchement de dernière minute l’oblige. Le préfet organise une réunion téléphonique relative à l’épisode neigeux, attendu la nuit prochaine. L’édile ne pouvait pas la manquer. Une jeune conseillère prononcera le discours sur le maquis à sa place. Elle est née dans les années 1970, mais évoque les Allemands de son enfance, les combats glorieux des résistants, le souvenir d’en avoir caché un à la maison. Elle lit un texte qui n’est pas le sien. Au dépourvu, elle endosse aussi une certaine Histoire de France.
Un moustachu s’amuse : « Elle nous fait une Hervé Morin. » Son voisin hoche la tête, il n’écoute pas vraiment le discours, ne saisit pas non plus la référence, lui dont pourtant le téléviseur est allumé du matin au soir, et qui a forcément entendu le candidat centriste élucubrer sur ses réminiscences du 6 juin 1944, lui qui ne vit le jour qu’en août 1961. À tous, ici, les croix blanches font partie de leur ADN, personne n’en tiendra rigueur à la conseillère, personne n’en tiendra rigueur non plus à Hervé Morin, lequel se rangera d’ici quelques jours derrière la candidature de Nicolas Sarkozy.
Marine prend la parole, elle parle de son grand-père, l’appelle Papi Lucien, elle parle d’elle, elle parle beaucoup d’elle. Puis au nom de son petit frère, au premier rang, de son père et – plus étonnamment – de sa mère, elle remercie l’assistance.
Vient le tour de l’éloge du prêtre. Il articule toujours les mêmes paroles, implore le pardon, appelle au recueillement, convoque les souvenirs et promet la vie éternelle. Il perd lui aussi un ami, s’en émeut. Il distribue l’hostie et s’autorise une rasade de vin de messe.
Les cloches sonnent.

Le croque-mort est devant l’entrée quand les portes de l’église Saint-Georges sont rouvertes et qu’une bourrasque chasse la prière et les feuilles mortes sur les sarcophages qui cernent l’édifice. Il se tient droit, arbore l’air triste et sérieux de circonstance. Ses cheveux sont désormais totalement plaqués sur son crâne. Une pluie fine et cinglante a verglacé la place pendant les trente-cinq minutes qu’a duré la cérémonie. Il serre la main du Dominique, de la Marine et du Maxime. Il dirige le cercueil jusque dans le corbillard, fourrage dans les gerbes pour leur redonner un peu de tenue, aide quelques anciens à grimper dans les voitures. Il monte enfin dans son fourgon, souffle à pleines joues dans ses paumes. Son chef démarre, prend la rue du Grand-Puits, puis, à gauche, voilà le cimetière de Quarré-les-Tombes. Il se gare devant.
Au niveau du portail, une rafale, chargée de gel et d’aiguilles, s’abat sur l’assemblée, mord les pommettes des femmes, givre la moustache des hommes, vient éteindre en chacun les derniers sentiments, la mélancolie et la tristesse.

Max se les caille. Rentre ses avant-bras sous son manteau et les place sous ses aisselles. Il est au premier rang. Il se penche. Contemple le trou. C’est une cavité sommaire, difficile d’en évaluer la profondeur avec cette brume. Le crachin s’est calmé mais tout reste froid et humide. Il se demande comment on a bien pu fouir un terrain si dur, regarde autour de lui, observe la pelle mécanique stationnée plus haut. Se gratte le menton. Tout s’explique.
Sur la pierre tombale sont déjà inscrits les deux années 1924 – 2012 et le nom du défunt en belles lettres capitales. Tout est prêt, l’au-delà n’a pas attendu. Ce n’est pas son gen
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À chaque nouvelle attaque, les victimes passées du terrorisme se voient remettre le nez en plein dans la merde qu'ils ont vécue, et dont la majorité d’entre eux n'est jamais sortie. Le 11 septembre 2001 se vit en mondovision comme une finale olympique. L'excitation des téléspectateurs est au moins aussi intense. Un savant allemand a qualifié cette journée de premier événement mondial historique au sens strict.
Ben Crawford à Los Angeles, Jessica Dahlgren à Paris, Cándido Rincón dans sa loge de gardien de l’Arroyo Blanco, Isabelle et Dominique Richard à Quarré-les-Tombes, Lucien Michot sur son canapé, William et Lucy Smith dans le matin de l’'Oklahoma, Bruno Landisier quelque part sur la route d’un festival du film ou sur un plateau de tournage, tous reçoivent un flux d'ondes décrivant la trajectoire d'hommes se jetant d’une tour en flamme pour s’écraser à une vitesse folle sur la dalle new-yorkaise. Aucun ne peut détourner le regard ni éteindre son émetteur radio. Aucun ne comprend complètement ce qui se déroule. Aucun n'ose y croire. p. p. 261
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Vidéo de Édouard Jousselin
Comment construisons-nous vies ? Comment les événements du monde influencent-ils nos parcours individuels ?... Hasard ou destinée ? Autant que thèmes abordés avec talent dans le nouveau livre, audacieux et addictif, d'Edouard Jousselin. Un roman foisonnant, violent et passionnant, chronique vertigineuse de notre époque et de notre monde. Coup de coeur WebTvCulture !
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