La ville au bord du fleuve immobile d'
Eduardo Mallea
Un dialogue entendu dans la rue, « Hommes d'Amérique, hommes d'Argentine qui sont sur le point de se mettre au monde eux mêmes ». L'autre ne comprend pas. Dans ces deux pages qui servent d'introït à ce livre,
Eduardo Mallea pose les bases des neuf récits qu'il va développer sur l'homme, la ville, la solitude, neuf portraits comme celui
d'Avesquin, perdu depuis qu'Eva est morte à Athènes, qui erre dans une ville muette avec son costume élimé, observateur du port, avec son accent espagnol qu'il ne peut pas masquer.
Ou celui de Solves, esprit d'élite, toujours songeur, s'abandonnant « au rythme capricieux de sa fantaisie »que Christiana Ruiz, créatrice de décors de théâtre, célèbre, avait tenté de changer sans succès jusqu'à ce que ce matin là elle ne trouva plus Solves dans sa chambre, elle s'y était préparée, elle avait réservé une petite partie de son cerveau, toute petite, pour sa tristesse.
Peut-être celui de Carlos qui arrive à la Gare du Nord, son ami Venolia l'attend, il a tout organisé, un dîner des filles jeunes et moins, une belle soirée en perspective. Carlos a passé deux ans loin de tout près de la cordillère où il s'échappait régulièrement. Il écrivait tous les jours et la ville lui manquait trop, il laissa Alma, sa femme, inquiète et le voilà dans la ville, il court, s'agite à droite à gauche, incertain, puéril et indécis, mais que veut il à la fin.
Et que dire de ce couple incapable de savoir, en buvant leur whisky au bar, s'ils vont honorer l'invitation d'Ema, tout en sachant qu'ils iront, pour des raisons différentes, jalousie, obligation.
Quant à Ana Borel, qui travaillait seule avec madame
Saviano, et lui tenait sa comptabilité, elle vivait avec un père mutique, sa mère était partie et quand elle se maria avec Benes, rien ne changea pour elle, il y avait toujours des copains le soir et elle était seule, si seule.
Jacobo Uber, lui, cultivait une forme de souffrance, incapable de communiquer avec ceux qu'il ne connaissait pas, il portait en lui « une masse d'air vicié » dont il ne pouvait se débarrasser. Et surtout il trainait cette sensation permanente d'inutilité.
Serena Barcos est une jeune femme mince, élancée, un beau visage, elle travaille dans un laboratoire de recherche et y met toute son énergie. Elle est régulièrement courtisée mais son attitude hautaine et son rire sardonique en ont blessé plus d'un. Elle a horreur du côté animal des relations sexuelles. Un jour, pourtant, après un dîner avec Colmar, un médecin qui passe au laboratoire régulièrement, elle s'interroge sur ses sentiments, peut-être est il sincère?
Il était au bar, il ne savait pas pourquoi il était là, pourquoi il avait accepté de les rejoindre, pourquoi il répétait toujours les mêmes comportements. Sa vie il aurait pu la tenir toute entière dans son poing, c'était pathétique, il connaissait déjà la suite depuis qu'il était en Amerique, le restaurant avec terrasse, la langouste, les babillages, la politique, encore et toujours…
Durcal avait rendez vous avec Berta, ils ne s'étaient pas vus depuis des années. Ils se racontèrent leur vie, leur lassitude, leurs insuffisances. Il sortit du restaurant plein de bonnes résolutions, il lui fallait se débarrasser de sa raideur, il était envahi par cette pensée et puis au fur et à mesure de sa marche, tout s'estompait…
Tout au long de ces portraits d'hommes et de femmes, argentins ou américains, Mallea dépeint la solitude, cette solitude qui nous empêche de mettre en oeuvre, de réaliser un idéal de vie. L'univers de Mallea est assez sombre sans être désespéré, son écriture est d'une grande richesse.
Eduardo Mallea est né en 1903 à Bahia Blanca en Argentine, mort en 1982 à Buenos Aires. Il a écrit près de 40 romans essais ou pièces de théâtre dont six ont été traduits en français.