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3.91/5 (sur 1307 notes)

Nationalité : Argentine
Né(e) à : Lanus, Buenos Aires , 1973
Biographie :

Mariana Enriquez est écrivain et journaliste.

Née d'un père ingénieur et d'une mère médecin, elle a fait des études de journalisme à l’université de La Plata et dirige Radar, le supplément culturel du journal Página/12.

Elle a publié trois romans – dont le premier à 22 ans – et un recueil de nouvelles avant "Ce que nous avons perdu dans le feu" (Las cosas que perdimos en el fuego, 2016), actuellement en cours de traduction dans dix-huit pays.

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(POUR AFFICHER LES SOUS TITRES CLIQUEZ SUR L'ICONE SOUS TITRES) Vous vous demandez s'il existe une astuce commune à tous les écrivains pour progresser régulièrement, améliorer vos intrigues, maîtriser la structure de vos chapitres et affiner votre style d'écriture ? Tout comme les musiciens qui s'améliorent en écoutant et en analysant la musique, les écrivains recommandent la lecture. Mais attention, il ne s'agit pas d'une simple lecture divertissante, mais d'une lecture d'écrivain qui examine et décortique le travail d'autres auteurs. Dans cette vidéo, vous découvrirez les conseils de 6 écrivains internationaux : Claudia Durastanti (romancière italienne), Jan Carson (nouvelliste, romancière et professeure de creative writing irlandaise), Maria Sonia Cristoff (romancière et professeure de creative writing argentine), Jonathan Coe (romancier anglais), Mariana Enriquez (romancière et nouvelliste argentine) et Jakub Szamalek (romancier Polonais). Ils partagent leur point de vue sur l'importance de la lecture pour devenir écrivain. Ne manquez pas les moments clés de la vidéo : 00:10 Claudia Durastanti 01:15 Jan Carson 03:23 Maria Sonia Cristoff 03:47 Jonathan Coe 05:20 Mariana Enriquez 06:20 Maria Sonia Cristoff 06:43 Jakub Szamalek Avec leurs expériences variées et leurs perspectives uniques, ces écrivains vous guideront vers une pratique de la lecture qui vous permettra d'améliorer considérablement votre écriture. Regardez dès maintenant et prenez votre plume pour devenir un écrivain accompli ! Interview : Amoreena Winkle, Julie Fuster, Lionel Tran. Caméra : Lionel Tran - Montage : Ryu Randoin. QUI SOMMES-NOUS ? Les Artisans de la Fiction sont des ateliers d'écriture situés à Lyon. Nous prônons un apprentissage artisanal des techniques d'écriture et avons pour objectif de rendre nos élèves autonomes dans l'aboutissement de leurs histoires. Pour cela nous nous concentrons sur l'apprentissage et la transmission des techniques de base de la narration en nous inspirant du creative writing anglophone. Nos élèves apprennent en priorité à maîtriser : la structure de l'intrigue, les principes de la fiction, la construction de ses personnages… Nous proposons également des journées d'initiation pour vous essayer au creative writing et découvrir si cet apprentissage de l'écriture de fiction est fait pour vous. Retrouvez tous nos stages d'écriture sur notre site : http://www.artisansdelafiction.com/

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Citations et extraits (170) Voir plus Ajouter une citation
Le frapper, l'ouvrir avec mes ongles, lui imprimer d'autres cicatrices, une façon d'être au plus près de lui, qu'il m'appartienne davantage. Je devais contenir ce désir, ces envies de me rassasier, de l'ouvrir, de jouer avec ses organes, comme des trophées cachés. Je m'imposais de menus châtiments : ne pas manger de toute la journée, ne pas dormir pendant soixante-douze heures, marcher à en avoir des crampes dans les jambes...D'infimes rituels, comme une gamine qui a souhaité la mort de sa mère parce que cette dernière n'a pas voulu lui acheter quelque chose, puis les remords et les petites pénitences, "je ne dirai plus de gros mots, mon Dieu, je te le promets, mais ne fais pas mourir maman", et le gros mot qui lui échappe soudain et la cavalcade la nuit pour voir si maman dans son lit respire toujours.
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C'était l'après-midi, Juancho était bourré et faisait le caïd sur le trottoir, même si plus personne dans le quartier ne se sentait menacé, ni même inquiété, par sa présence toxique. Plus loin, Horacio lavait sa voiture comme tous les dimanches, en short et claquettes, ventre tendu, proéminent, poils blancs sur le torse, radio diffusant un match de foot. Au coin, les Espagnols du bazar buvaient le maté, la bouilloire posée par terre entre les deux fauteuils inclinables qu'ils avaient mis dehors, car il y avait un beau soleil. En face, les fils de la Coca prenaient une bière à
l'ombre, et un groupe de filles qui sortaient de la douche, trop maquillées, bavardaient devant la porte du garage de Valeria. Mon père avait tenté, plus tôt, de dire bonjour et de parler avec les voisins, mais il avait fini par rentrer à la maison, comme d'habitude, tête basse, légèrement contrarié, parce que c'étaient de braves gens mais ils n'avaient pas de conversation, tous les dimanches après-midi il disait la même chose.
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Il aimait les pluies violentes et brèves de Misiones, les fleurs de terre rouge, prévude à la nuit noire et chaude, avec les étoiles qui palpitaient dans le ciel. Un scintillement, le silence, un autre scintillement, comme un cœur fatigué.
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Nous avons continué d’avancer. Il y avait plus d’oxygène. Le tronc des arbres est devenu plus fin. Laura a remarqué, la première, quelque chose dessus, qu’il n’était pas facile de distinguer au premier coup d’œil : des mains. De nombreuses mains, les unes sur les autres, étreignant le tronc des arbres. Coupées, amputées, collées aux troncs, paumes pliées, doigts arqués. Des mains humaines, rigides et crispées. Toute la forêt était ainsi à cet endroit. Des arbres et des arbres de mains mortes. Quelqu’un les installait avant que survienne la rigor mortis. Sur le premier tronc, on en a compté douze. D’autres en avaient davantage encore. Certains n’en avaient qu’une. J’ai pensé à la Main de Gloire que je désirais tant.
C’est un collectionneur, ai-je dit. Un artiste. Ou bien ils sont plusieurs. À droite de la Forêt des Mains, telle que nous l’avons baptisée, se trouvait ce que Juan indiquerait plus tard sur la carte comme la Vallée des Torses. On aurait dit des pierres dressées ou des tombes. Aussi symétriques que dans un cimetière militaire. Mais c’étaient des torses humains. Sans bras, sans tête ni jambes. Certains avec la peau marquée de personnes âgées, d’autres avec de beaux seins de jeune fille, des torses d’enfants, gros, maigres, bruns, pâles, des ventres plats, des ventres obèses, des poitrines de femmes qui avaient allaité. J’ai reconnu sur un dos les cicatrices laissées par des ongles, identiques aux marques qu’exécute Juan pendant le Cérémonial, comme celles de Stephen.
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Quand j’étais petite, Florence Mathers séjournait avenue Libertador le
temps de récupérer après son voyage, puis elle acceptait notre invitation à
Chascomús. J’ignore le nombre de propriétés qu’elle possède dans la
pampa, sûrement beaucoup. Elle élève des chevaux et du bétail. Elle aime la
campagne argentine, l’espace et la tristesse du crépuscule, l’odeur
permanente de brûlé des feuilles en automne et la fumée des barbecues jour
et nuit.
Nos familles sont unies par l’histoire et une amitié séculaire, mais c’est
la sienne qui dirige l’Ordre. Plusieurs fois j’ai demandé à mon grand-père
pourquoi elle a ce privilège. D’après lui, en Europe ils étaient beaucoup
plus proches que nous du Culte de l’Ombre. Par ailleurs, l’Argentine est très
loin. Loin de quoi ? voulais-je savoir. C’est le trou du cul du monde,
répondait-il. On ne peut pas participer à l’organisation comme eux. Même
si, dans les moments clés, il y a toujours eu un Bradford. Nous sommes
importants bien que, parfois, au second plan. L’argent est un pays dans
lequel certaines villes sont plus prospères que d’autres. Mais elles sont
toutes riches, me disait-il.
Ce que j’ai appris, avec l’âge, c’est que la patrie de la fortune est
monotone. Les propriétés, les terres, les sociétés que gèrent d’autres
personnes à notre place, les vieilles maisons sombres, les nouvelles maisons
lumineuses, la peau fripée des femmes qui passent l’été dans le sud de la
France ou de l’Espagne ou de l’Italie, l’argenterie, les tapisseries, les
peintures, les collections d’art, les jardins, les employés à notre service,
dont on ne sait rien. Peu importe que ce soit à Buenos Aires ou à Londres.
Peu importe également que nos familles soient les fondatrices de l’Ordre.
Être riches nous rend semblables à tous les riches. Mais être fondateurs de
l’Ordre nous distingue du monde entier.
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- L'autre jour j'ai lu un truc sur Internet qui m'a semblé... je ne sais pas, n'importe quoi.
- Tu ne devrais pas passer autant de temps sur Internet, ça rend fou. Mais raconte-moi.
- Je ne me souviens pas très bien, mais plus ou moins les Japonais croient qu'après la mort les âmes migrent dans un lieu où le nombre de places est limité, disons. Et quand cette limite est atteinte, quand il n'y a plus de place pour les âmes, elles reviennent dans ce monde. Ce retour annonce la fin du monde, en réalité.
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Lorsque j’arrivai devant la chambre de Juan, je m’aperçus que sa porte
était ouverte. Il n’y avait rien d’étrange, mon oncle lui demandait de ne pas
la fermer. Pourtant j’eus un pressentiment et je m’approchai. Il n’était pas
dans son lit. Je pensai qu’il était allé aux toilettes et j’attendis. Dix minutes,
quinze minutes. Je finis par m’inquiéter. S’était-il senti mal ? J’avançai
jusqu’aux toilettes. Personne. Alors je sortis dans le jardin et l’appelai. Seul
le silence des oiseaux de nuit me répondit, et les chiens de la maison
accoururent autour de moi. Le silence était impressionnant, ce qui m’étonna
car la forêt est assourdissante de bruits. Quand elle se tait, c’est parce qu’il
y a un danger. Je caressai le dos d’Osman, le chien le plus jeune, au pelage
noir, très doux, qu’il fallait tout le temps rassurer sinon il était sans cesse
aux aguets.
J’avais peur, je m’en souviens, qu’on m’accuse d’être responsable de la
disparition de Juan. Je retournai dans la maison, pieds nus, et frappai à la
porte de la chambre de mon oncle. Il ouvrit aussitôt. Il avait enfilé sa
chemise, qu’il n’avait pas eu le temps de boutonner, et mis son pantalon.
Juan est parti, lui annonçai-je. Je n’en étais pas sûre du tout, bien
entendu, mais c’est ce qui m’est venu spontanément. On réveilla mon père.
Qu’est-ce qui se passe, putain de bordel ? demanda-t-il. Je lui expliquai la
situation. Mon oncle se tordait les mains d’angoisse. J’avais la nausée.
Les hommes s’organisèrent pour aller à la recherche de Juan et
m’ordonnèrent de rester à la maison. Je ne leur obéis pas. Pas question de
me plier à leurs décisions d’ivrognes. Ils sortirent tous les trois, habillés
n’importe comment. Mon grand-père avait une lanterne, les autres des
lampes de poche. Les chiens partirent avec eux, en aboyant. Ils appelaient
Juan en criant. Je les suivis, en chemise de nuit et chaussures.
J’ignore pourquoi nous étions si sûrs que Juan ne se cachait pas dans la
maison, personne n’avait le moindre doute. Osman laissa les hommes et fit
demi-tour pour venir à mes côtés. Je lui caressai la tête et levai ma lampe.
Je pensai que Juan s’était noyé dans le fleuve. Qu’il était tombé dans un
trou profond, inatteignable. Qu’il avait été attaqué par une bête. Soudain je
vis ses vêtements par terre. Plus exactement, je marchai dessus. Je les
examinai avec ma lampe et me rendis compte qu’il s’agissait de son pyjama
à manches courtes et rayures blanches et bleues. Était-il tout nu dans la
forêt ? Je criai son nom, criai c’est moi, Rosario, où es-tu ? Et je courus
entre les arbres, me griffant les jambes dans l’herbe haute. Ensuite je fis
quelque chose que j’avais vu dans un film : je fis sentir à Osman les
vêtements de Juan. Le chien ne comprit pas. Il gémit.
Je courus jusqu’à la forêt. J’arrivai dans une clairière, entre de
nombreux arbres. La lampe scintillait légèrement, mais je la secouai et la
lumière redevint nette. Je ne voyais plus la maison. Je pensai que je ne
pouvais pas m’aventurer plus loin sans risquer de me perdre. J’éclairai les
arbres. Alors je vis Juan. Osman, à côté de moi, gémissait comme si on le
torturait. Je ne le fis pas taire car j’étais muette de peur. Juan était
entièrement nu et marchait entre les arbres comme un somnambule. Il ne
s’était pas aperçu de notre présence, ni de la lumière de la lampe. Il
trébuchait. Ses yeux étaient recouverts d’une pellicule jaunâtre, comme une
seconde paupière. Il semblait épuisé. Il heurta un tronc d’arbre et, même s’il
ne tomba pas, il s’immobilisa, agité, en sueur. Je dirigeai la lampe vers ses
mains. Ce n’étaient plus celles d’un enfant. C’étaient de très grandes mains,
avec des ongles très longs, dorés, comme ceux d’un animal en bronze. J’eus
un doute, ce n’était peut-être pas Juan. Mais je reconnus la cicatrice sur sa
poitrine. Il se remit en mouvement, à quatre pattes, faisant des cercles, ses
énormes mains raclant la terre, les arbres, sa propre peau. Il cherchait
quelque chose, désespérément, et ne réagissait pas quand je l’appelais. Je
compris ce qui se passait. Alors j’attendis la lumière noire. J’étais tellement
émue que mes jambes tremblaient. J’avais peur aussi. Mon Dieu, dis-je, et
pour la première fois de ma vie ce n’était pas une exclamation, ni une
phrase toute faite, mais une reconnaissance.
Il se releva. Le corps maigre et trop grand de Juan était entouré de ce
qui semblait être des insectes, coléoptères ou papillons de nuit,
bourdonnant, plus sombres que l’obscurité de la forêt. Quand la lumière
noire commença à l’encercler, il tendit les bras et joignit les mains, paume
contre paume, au niveau de sa poitrine, comme s’il allait plonger. Le silence
était absolu. Osman s’était tu, on n’entendait pas une feuille, ni le vent, ni le
fleuve au loin, rien, le silence et cette pellicule obscure autour de Juan.
Quelque chose changeait, et ce changement était aussi terrible que
merveilleux.
Le corps de Juan se mit à flotter dans la lumière noire. Alors je reculai :
je savais que l’Obscurité pouvait bondir, trancher, blesser.
C’est à ce moment-là que les hommes arrivèrent, avec leurs souffles
chauds et l’éclat de leurs lampes. Mon grand-père leva sa lanterne :
l’Obscurité cachait les arbres derrière un lourd rideau, en apparence
impénétrable. Il s’agenouilla, tel un fervent chrétien. Le silence fut brisé par
le bruit de l’Obscurité, qui était aquatique et vorace. Inodore. Je n’ai jamais
senti quoi que ce soit. Certaines personnes sentent une odeur de
décomposition ; d’autres, de fraîcheur. C’est différent pour chacun. Mon
père était bouche bée, comme un imbécile. Quant à mon oncle, il pleurait et
se précipita vers Juan, les bras tendus, criant je ne me rappelle plus quoi, je
n’ai pas compris. Mon grand-père réussit à l’arrêter. Cependant, sa main
gauche frôla tout de même l’Obscurité et il tomba par terre, en sang : il lui
manquait plusieurs doigts. Il hurlait, mais nous ne lui prêtions pas attention.
Nous regardions Juan, qui avait la tête penchée, les cheveux sur le visage, et
paraissait mort. Il resta suspendu dans l’air encore quelques instants, puis
l’Obscurité sembla réintégrer son corps. (Je continue de penser que c’est ce
qui se passe : il expulse l’Obscurité et la reprend.) Quand il leva la tête, je
ne reconnus pas ses yeux. Ce n’étaient plus les siens. Il se mit à marcher,
déterminé, droit, quitta l’espace entre les arbres, l’ombre l’entourant comme
un écran de fumée, et il vint s’accroupir au côté de mon oncle, qui cessa de
gémir. Juan effleura sa blessure avec ses mains immenses. Elle cicatrisa
aussitôt. Auparavant, le sang éclaboussa son corps nu.
Alors la lanterne de mon grand-père s’éteignit et les hommes
entourèrent mon oncle, ne prêtant plus attention à Juan, qui s’éloigna à
quatre pattes. J’ignore pourquoi ils ne le suivirent pas. L’Obscurité désirait
peut-être que nous soyons seuls lui et moi. Juan ne pouvait pas aller loin, il
n’avait plus de force, transpirait à grosses gouttes, se touchait la poitrine,
qui lui faisait mal, avec la main. On aurait dit un nouveau-né trop grand,
mouillé, s’étouffant à moitié. Je m’assis dans l’herbe et l’appelai comme on
appelle un chien, la seule façon pour qu’il m’entende. Il se traîna vers moi.
Je le pris dans mes bras. Il était tellement trempé qu’il glissait, mais il me
regardait, et je tâchai de le rassurer, il était avec moi. Puis je l’embrassai.
Un baiser d’enfant, bouche fermée, mais long et inapproprié. Pourquoi fis-
je ça ? Je me le demande encore. J’étais folle. Il passa ses bras autour de
mon cou et je me mis à pleurer. Je sentais son corps mouiller mes
vêtements, ses mains chaudes, son souffle qui brûlait mes joues, les
battements irréguliers de son cœur.
Les hommes vinrent le chercher. Je résistai, je ne voulais pas le leur
donner, même si, bien entendu, il m’était impossible de lutter contre eux.
C’est à cet instant précis que j’ai commencé à avoir mes règles. Le sang
tachait ma chemise de nuit, coulait dans l’herbe. Je les ai suivis, les jambes
pleines de sang, n’arrêtant pas de penser c’est moi qui l’ai trouvé, il est à
moi, personne ne me le prendra.
Je crois que pendant quelques minutes j’ai été folle, touchée par
l’Obscurité. Si mon père ne m’avait pas donné une bonne gifle quand nous
sommes arrivés à la maison, je serais restée hystérique. Mon père affirme
que dans l’Ordre tout le monde finit par devenir fou. Je l’ai compris cette
fois-là. Un jour mon père est venu me voir, avec sa bouteille de whisky,
c’était le lendemain d’un Cérémonial, et je lui ai demandé : comment peut-
on continuer après ça, comment pouvez-vous ? Le monde est stupide, les
ignorants sont méprisables. Et sa réponse a été si juste que parfois je la
répète à voix haute. C’est parce qu’il ne se passe rien après cela, ma fille.
Le lendemain, nous avons faim et nous mangeons, nous avons envie de
prendre le soleil, de nager, nous devons nous raser, recevoir des comptables
et aller inspecter nos champs, car nous voulons continuer de gagner de
l’argent. Ce qui se passe pendant le Cérémonial est réel, mais la vie aussi
est réelle.
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Il n'obtint pas de réponse, ferma les yeux. Il vit une fille blonde, nue, qui marchait sous un ciel sans étoiles. Perdue, mais pas effrayée. Elle dansait sur un chemin en terre rouge, avec des fils de laine qui pendaient de son bras et de ses jambes, libre, déchaînée. Il vit une planète noire au-dessus du fleuve. Il vit sa grand-mère sans lèvres et sans nez. Il vit des bougies dans la forêt et une jeune femme à quatre pattes marchant sur des os. Il vit des hommes et des femmes qui couraient, tous mutilés, certains sans jambes, se traînaient ou tournaient sur eux-mêmes. Il vit un chien blanc affamé, avec des sortes de boules de métal incrustées sur l'échine en guise de colonne vertébrale. Il vit une fille avec une robe rouge, assise à côté du marais ; quelque chose sortait de l'eau et lui mangeait les jambes, mais elle ne se plaignait pas. Il vit un tronc humain pâle dans un champ de fleurs jaunes.
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À cause de ces histoires, je suis devenue anthropologue. Mon carnet,
mes notes, mes enregistrements : tout puise son origine dans mon enfance.
J’ai commencé à noter des histoires et des mythes avant même de savoir
que je pouvais en faire l’objet de mes études. Je sais écouter, questionner,
aller dans la direction qu’on m’indique, dans la maison d’une guérisseuse
ou sur la tombe d’un mort dont on prétend qu’il fait des miracles, je
reconnais la peur dans les yeux de ceux qui se signent, j’aime attendre la
nuit pour voir les feux follets dans les cimetières. Je suis heureuse d’être
née dans cette famille, mais je ne l’idéalise pas, du moins j’essaie de ne pas
le faire. Toutes les fortunes se bâtissent sur la souffrance d’autrui, et
l’édification de la nôtre, même si elle possède des caractéristiques uniques
et insolites, n’est pas une exception.
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Comme il détestait ces films et feuilletons TV où on voyait des malades héroïques qui souffraient en silence ! Il connaissait suffisamment les hôpitaux et la maladie pour savoir que la plupart des patients étaient tyranniques, odieux, et faisaient tout pour que les autres souffrent autant qu’eux. (p.305)
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