Quel plaisir de retrouver
Jean-Baptiste Andrea !
Après avoir lu «
Cent millions d'années et un jour » dont j'avais apprécié l'équilibre entre la justesse de l'écriture et l'émotion autour des personnages, je m'étais promise de revenir un jour vers cet auteur.
Mon choix s'est porté sur «
Veiller sur elle », pas seulement en raison du prix Goncourt 2023 qu'il a obtenu, mais surtout à cause du mystère entourant son titre et de la thématique liée à l'Art.
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Cette histoire est celle d'une magnifique amitié entre Michelangelo Vitaliani, surnommé Mimo, un sculpteur de pierre de génie et Viola Orsini, l'héritière d'une famille issue de la noblesse italienne.
De cette rencontre improbable va naître la statue de la Piéta, dissimulée dans les sous-sols d'une abbaye. le Vatican tient en effet, à la garder à l'abri des regards et pour en saisir la raison, le lecteur va devoir plonger dans le destin incroyable de son sculpteur.
Ce roman commence par la fin. Mimo devenu vieux agonise dans sa cellule. Entouré et veillé par ses frères, il est le seul à ne pas être moine. On raconte une étrange histoire à propos de cet homme aux doigts de fée : il serait là pour
veiller sur elle. « Elle qui attend, dans sa nuit de marbre, à quelques centaines de mètres de la petite cellule. Elle qui patiente depuis quarante ans. »
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Le roman se déploie sur un demi-siècle d'Histoire pour élucider l'énigme autour de cette statue et de cet artiste au nom prédestiné.
Jean-Baptiste Andrea, en merveilleux conteur d'histoires, nous fait changer d'époque. Par une construction originale qui traverse le temps et convoque les souvenirs, on remonte au début du XXème siècle pour revivre, sur près de six cents pages, l'Histoire de l'Italie au rythme de ses grands bouleversements : la première et la seconde guerre mondiale, la montée du fascisme.
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Le récit porte en lui le dépaysement et le charme de l'Italie.
Si l'auteur saisit les bas-fonds de Florence et de Rome, il transcende la beauté des collines entourant Pietra d'Alba et le domaine des Orsini par son écriture vivante, rythmée et chaleureuse, pleine de poésie et de délicatesse. L'auteur en capture la beauté surannée, les parfums subtils des orangers, l'odeur iodée portée par le vent venu de la mer, la palette de couleurs chaudes et douces avec ses tonalités de terre cuite et le rose de son marbre.
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Jean-Baptiste Andrea offre des personnages hauts en couleur, charismatiques, pleins d'humanité, touchants de part leurs émotions, leurs rêves, leurs expériences, leurs failles et leurs erreurs. Leurs portraits provoquent l'empathie ou l'antipathie immédiates du lecteur.
Dès les premières pages, je me suis attachée au jeune Mimo, à son combat pour devenir un sculpteur respecté et estimé. Cela provient sans aucun doute du fait de vivre dans un même temps, l'émotion de ses derniers instants et l'élan de ses jeunes années.
Face à Mimo, Viola est tout en exubérance, fragile et rebelle à la fois.
Le lecteur est le témoin privilégié de leur amitié indéfectible, de leur complicité, de cette force magnétique qui les attire l'un vers l'autre tout en les repoussant inextricablement. Leurs destins s'effleurent, se frôlent, s'éraflent, se croisent et se décroisent sans jamais se rejoindre réellement.
« Elle me sourit, un sourire qui dura trente ans, au coin duquel je me suspendis pour franchir bien des gouffres. »
J'ai adoré et savouré ma rencontre avec Viola : j'ai aimé son extravagance, sa folie et son intelligence, sa force de caractère et son besoin de s'affranchir, d'aller contre son temps. Malgré ses fêlures, Viola a soif de connaissance, elle aspire intensément à la vie, la liberté.
« Viola était une funambule en équilibre sur une frontière trouble tracée entre deux mondes. Certains dirent entre la raison et la folie. Je me battis à plus d'une reprise, parfois physiquement, contre ceux qui l'accusèrent d'être folle. »
L'auteur a été aussi très attentif aux personnages secondaires, dressant de superbes portraits, bons ou mauvais. Celui d'Emmanuele Orsini, un des frères de Viola, est particulièrement réussi.
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C'est une lecture résolument romanesque et intimiste qui se concentre sur les personnages mais qui nous fait pareillement voyager dans le monde de l'Art, dans un passé à la fois proche et lointain. Elle parle de la puissance des rêves, du lien étroit entre le sculpteur et la pierre, de la force du savoir et de la connaissance par les livres, de la valeur des rencontres et de l'amitié malgré l'appartenance à des milieux sociaux différents.
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Je ressors enchantée de cette escale de quelques jours au coeur de l'Italie. Je retiendrai de ce superbe roman la qualité du texte, la sensibilité et la douceur de la plume de
Jean-Baptiste Andrea, la profondeur des deux personnages principaux, leur amour platonique et pudique et ce dénouement émouvant qui dévoile enfin le secret entourant la Piéta.
Entre humour et tragédie, un excellent moment de lecture !