Le deuxième roman des Éditions Métailié de la rentrée littéraire est écossais, il nous vient de l'auteur Andrew O'Hagan, et a su emporter tout mon enthousiasme. Et celui d'autres encore, nettement plus prestigieux que le mien, je parle de critiques littéraires qui vont à
The Guardian, The Sunday Times, jusqu'au Financial times, The Independent et The Scotsman, et enfin le supplément littéraire du Times, Times Literary Supplement, qui titre son article d'un joli Brief lives but an endless summer (De courtes vies mais un été éternel). Il s'agit du sixième roman de l'auteur écossais, et si on prend le temps de lire sa biographie, ne serait-ce que sur Wikipédia, on sera frappé par les points communs qu'il a avec les jeunes – puis moins jeunes – gens de son roman.
S'il y a bien un protagoniste principal, Jimmy Collins, sous l'angle duquel nous découvrons l'histoire, tout reste néanmoins centré autour d'une petite bande de garçons écossais, originaires du comté d'Ayrshire, situé au sud-ouest du pays. Deux parties découpent ce roman comme le récit de Jimmy, la première se déroule dans les années quatre-vingt, en pleine thatchérisation de la société, ce qui se traduit par la fermeture massive des industries qui faisaient vivre les gens du coin, et donc par du chômage, par la paupérisation de la société, l'alcoolisme et les violences, avec les manifestations qui vont avec, le train habituel des choses lorsque l'ultralibéralisme fait des siennes. La seconde se passe quelques décennies plus tard, lorsque les jeunes Écossais délurés, biberonnés au rock et à la new-wave anglais, un peu punk sur les bords, sont devenus des hommes bien propres sur eux, parfaitement intégrés dans la société, titulaires d'un poste plus ou moins prestigieux dans une université.
C'est l'été 1986, et le tout premier garçon à apparaître, en pleine lumière sur la scène, est Tully Dawson l'ami de notre narrateur, un jeune homme de dix-huit ans, plein de fougue, d'humour et de générosité, qui pourtant porte pas mal de boulets, à commencer par sa relation défectueuse avec son père Woodbine, et le milieu ouvrier dans lequel ils vivent tous et qui fait les frais de la politique de la Dame de fer. La fougue de Tully est contagieuse et entache le récit de son ami, plus posé, tout le long du roman jusqu'à l'épisode final – que je me garderai bien de révéler ici. Si c'est Jimmy qui raconte, après tout, ces jeunes adultes sont peu ou prou dans la même situation et ne diffèrent pas tellement, tant dans leurs goûts footballistiques que musicaux, ils évoluent également à la même condition sociale, c'est justement pour mettre en exergue Tully et sa
personnalité lumineuse, et bien éphémère. L'une de ces
personnalités qui rayonne sur tout son entourage. C'est ainsi le roman d'une formidable amitié qui se lie assez tôt, qui se déliera au fil des années comme bien souvent, mais qui finira par se retrouver. Et c'est la célébration de cette amitié, ou chacun a contribué l'autre à s'élever, pour mieux sortir de leur condition de départ, avec le rock, le punk et l'amour de la littérature qui les accompagne sur le chemin de vie.
Le contraste entre les deux parties est saisissant, deux écosses séparées par trente années, dont ces années quatre-vingt, où les mines des mineurs à bout de souffle ont connu des débâcles retentissantes, à force de manifester pour leurs droits, et de se faire rejeter par le coup de grisou du système de façon encore plus retentissante, laissant les travailleurs K.O. sur le carreau, exsangue de volonté et d'envie, maintenus par la perfusion de whiskys du terroir et les pintes de bière, les Tories n'ont jamais aussi bien porté leur nom face au Labour, le parti travailliste.
Une grande histoire d'amitié jalonnée par de multiples drames, à commencer par ceux de tous ces travailleurs étouffés et écrasés par le politique individualiste matraquée par cette première ministre, qui entraîne la désintégration de familles entières, aux parents qui sombrent, les enfants qui se perdent eux-mêmes dans l'alcool, ou la drogue, avant de pouvoir prétendre à quoi que ce soit dans la société qui était pourtant la leur. Les drames sociaux qui ont marqué l'ère de
Margaret Thatcher, et puis les tragédies plus personnelles, celle qui concerne cette deuxième partie de roman, celle qui renoue intensément le fil des amitiés un peu négligées. L'auteur a su, ici, justement doser l'humour, la dérision des jeunes Écossais et la gravité qui ressort forcément du tableau social qu'il nous dessine en arrière-plan, plus de cette malédiction de seconde partie qui renvoie chacun des hommes que les jeunes garçons sont devenus à leur propre fugacité. J'ai eu quelques éclats de rire – et ma foi, cela est toujours bon à prendre – et il a toujours su trouver le bon équilibre, celui qui maintient la vie, pour ne pas sombrer complètement d'un côté comme de l'autre. Et toujours avec la pudeur adéquate, particulièrement en ce dénouement très touchant, qui évite de sombrer dans le voyeurisme trivial et sans intérêt, car les mots ne suffisent simplement pas, quelquefois.
Mayflowers, le titre anglophone tellement poétique, rendu par Les Éphémères, garde ce vocabulaire de l'horticulture, de ces fleurs qui ne vivent qu'une journée, la métaphore est à la fois simple et sublime, on n'aurait pas mieux décrit le flux de vie qui s'élance vivement, dans cette jeunesse écossaise, pour déjà s'éteindre. Les Éditions Métailié nous offrent là un beau roman, qui a par ailleurs connu une adaptation télévisuelle par la BBC One en décembre 2022, avec en distribution, des acteurs, que je n'ai pas l'honneur de connaître.
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