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sur 1451 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Irène travaille aux Archives Arolsen, anciennement International Tracing Service, le centre de documentation, d'information et de recherche sur la Shoah et la persécution nazie, basées à Bad Arolsen ( en Hesse, Allemagne ) depuis 1948. Elle est à la fois archiviste et enquêtrice. Elle se voit confier la mission de restituer des objets retrouvés dans des camps nazis à leurs propriétaires survivants ou leurs descendants  : un pierrot en tissu, un mouchoir brodé, un médaillon.

Forcément, le thème de la Shoah peut susciter quelques craintes tant on peut avoir l'impression qu'il a été labouré voire essoré par la littérature contemporaine. le choix de recourir à des personnages et histoires fictifs peut également interroger de prime abord, la force du réel et le poids des témoignages apparaissant comme générateur d'une intensité que le romanesque aurait du mal à restituer. Très rapidement, les premiers chapitres ont totalement emporté mes quelques inquiétudes préalables tant le souffle extraordinairement prenant du roman m'a embarquée.

Moi qui croyait - très immodestement- avoir un peu fait le tour de la Shoah, j'ai découvert l'ampleur de ces incroyables Archives Arolsen ( trente millions de documents ) qui reçoivent encore un millier de demandes par mois provenant des quatre coins du monde, notamment de jeunes générations en quête d'informations sur leurs aïeuls dont les effroyables destins ont pu être tus. Ou encore la révolte des Kaninchen de Ravensbrück ( jeunes femmes servant de cobayes médicaux ) cachées dans le camp par d'autres déportés à la résistance obstinée.

Irène doit donc retrouver l'identité des déportés qui possédaient les objets à restituer, puis suivre la piste de leurs descendants, en espérant qu'il y est quelqu'un au bout de l'enquête, quelqu'un pour qui la restitution ait un sens, comme un policier à l'envers pour « renouer les fils que la guerre a brisés » et éclairer « à la torche des fragments d'obscurité. » La composition du roman est remarquablement propulsive, jamais elle ne se contente d'empiler les enquêtes, chaque histoire faisant écho à la précédente avec parfois des connexions inattendues. le scénario apporte de la lumière sur chacune des vies fracassées au coeur du récit, tisse des liens entre le passé et le présent avec intelligence et fluidité, sans jamais sombrer dans la surécriture artificielle.

Malgré le caractère fictif des personnages, on a l'impression qu'ils ont existé. Ils sont là, vivants, réels, ils ont de la chair, du corps et du coeur. A commencer par notre guide dans ce voyage dans le passé, Irène, dont le travail est la colonne vertébrale, au point qu'elle éprouve des difficultés à s'extraire de ses enquêtes. On sent la fièvre qui s'empare d'elle lorsqu'elle s'approche de la vérité, on sent son découragement lorsque les pistes refroidissent, sa suffocation à découvrir son propre passé, inattendu.

Et puis, il y a ces destins éclaircis. Inoubliables Lazar avec son parcours de Treblinka à Thessalonique, Wita à Ravensbrück qui se demande si elle a encore un visage après des mois de ravage physique, Eva la mentor d'Irène, Sabina, Karol ... Ce roman vibre d'une rare intensité émotionnelle qui étreint le lecteur quasi en continu. Si mes larmes ont souvent coulé, ce n'est jamais sous l'injonction d'un sujet dramatique ni parce que Gaëlle Nohant joue avec un grossier tire-larme sulfatant vulgairement du pathos à tout-va . Si elles ont coulé, c'est parce que tout est juste, tant dans l'écriture, sobre et ciselée, que dans le propos, pudique et énergique.

Certaines scènes sont exceptionnelles - comme celle de l'EHPAD – car elle construise une réflexion puissante et limpide sur la mémoire et la transmission. En restituant ces objets sans autre valeur que sentimentale- le Pierrot, le mouchoir, le médaillon - Irène délivre les fantômes qui y étaient emprisonnés. « Ne pas laisser leur mort éclipser leur vie », comme une cérémonie en mémoire des disparus à laquelle elle convie des descendants qui n'avaient rien demandé, qui vont être percutés par le tragique du passé et voir leur présent bouleversé à jamais. «  Quelquefois, en cherchant les morts, on trouve des vivants »

Impossible de se détacher des personnages une fois ce magnifique roman refermé. Gaëlle Nohant a trouvé l'équilibre parfait entre le romanesque et l'historique, sublimant ce dernier dans jamais le dénaturer ou l'atténuer. Enorme coup de coeur.



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Un roman tout à fait bouleversant, éprouvant et déroutant. L'auteure s'est basée sur des faits divers pour tisser son histoire. Nous faisons connaissance d'Irène, divorcée et mère d'un garçon, Cette dernière travaille à l'ITS, l'Internationnal,Trading Service, elle doit restituer, des objets ayant appartenus à des déportés de la Seconde Guerre Mondial. Nous sommes dans la découverte d'une investigation qui nous nous montre un autre pan de l'histoire passée,, un autre regard sur la déportation. Son point de départ, se résume par la découverte d'un Pierrot de tissu terni, un médaillon, et un mouchoir brodé. Un point de départ qui s'avère assez complexe, en sachant que nous sommes en 2016. Elle prend sa mission à coeur et se donne corps et âmes pour élucider, et retrouver les propriétaires, principalement au sein de leurs familles respectives. Je dois avouer mon ignorance , ne connaissant pas l'ITT, L'auteure , grâce à des recherches elle nous offre un livre extrêmement documenté, Elle sait de quoi elle parle, elle use des mots d'une facilité surprenante, nous baignant au sein de son récit. Pour ma part j'ai eu l'occasion de visiter le mémorial de Yad Vashem, qui est consacré aux atrocités de la guerre, j'ai vu l'inimaginable, l'impensable, impossible de d 'écrire ces horreurs. L'auteure, à travers sa plume sensible, visuelle , nous touche au plus profond de notre coeur, il est impossible de sortir indemne d'un tel récit Elle a réussi à m'émouvoir, à me toucher, Un roman qui se lit comme un documentaire historique, Irène arrive t'-elle à mener à bien sa mission? Un roman époustouflant, que je vous recommande de lire.
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Comment ne pas être ému aux larmes en lisant un tel livre ?
Certes je sais que comme disait Flaubert : " Je suis doué d'une sensibilité absurde, ce qui érafle les autres me déchire."
Mais comme Gaëlle Nohant, et pour des raisons qui me sont propres, à peu près au même âge qu'elle " la Seconde Guerre mondiale et la déportation ont fait effraction dans ma vie à travers des livres et des films, et ne m'ont plus quitté..."
Son roman refermé, je suis allé aussitôt sur Youtube écouter la voix de Claude Lanzmann et plus particulièrement cette vidéo de 2015 de 45 minutes, intitulée - Pourquoi Shoah - dans laquelle la personne qui l'interviewe lui pose d'entrée cette question, comme un écho au roman de Gaëlle Nohant : " Monsieur Lanzmann, dans votre film il n'y a ni archives, ni histoires individuelles, pourquoi ?"
Ce à quoi Lanzmann répond : " Il n'y a pas d'archives parce qu'il n'y en a pas...ça tient à la nature même de ce qu'a été la Shoah, à savoir que la destruction des traces du crime a été concomitante au crime lui-même..."
Et puis je suis allé faire un tour du côté de Treblinka. J'ai réécouté le témoignage d'Abraham Bomba ( "the barber" ), et retour en Pologne pour écouter celui toujours très interpellant de Jan Karski ( se référer au " Rapport Karski " ), et là j'ai eu la confirmation de l'excellence du travail romanesque de Gaëlle Nohant, un travail romanesque fondé sur la recherche historique.

J'ai tant lu sur la WW2, les camps de concentration et ceux d'extermination, sans avoir tout lu..., que je me réjouis de voir que de belles personnes dotées d'une plume d'exception continuent d'entretenir ou de raviver la flamme de la mémoire à travers des oeuvres de création contemporaines originales.
- le bureau d'éclaircissement des destins - ( le titre en est une première illustration tant il s'apparente à celui d'une série télé comme - le Bureau des légendes - ) a pour cousinage avec - La carte postale - d'Anne Berest, l'enquête à rebours, l'investigation généalogique.
La différence réside dans le "micro" et le "macro", le privé et l'institution.
Anne enquête pour son compte et celui de sa maman ; elle est impliquée à titre personnel.
Irène, l'archiviste enquêtrice travaille, elle, pour l'ITS ( International Tracing Service ), un institut " d'archives " situé à Arolsen en Allemagne, un centre créé à la fin de la guerre pour, à travers des "objets trouvés" ayant appartenu à des déportés, retracer l'itinéraire de ces déportés, mettre un nom sur l'objet, mieux encore un visage, et faire en sorte que ce nom et ce visage puissent retrouver le chemin qui les ramènent aux leurs.
J'ignorais l'existence du centre d'Arolsen ; avoir appris cette existence grâce à un roman "d'aujourd'hui" sur un thème que je continue à fouiller depuis plus de 50 ans est la preuve que parmi les romans écrits récemment sur la Seconde Guerre mondiale et sur la déportation, il y a encore beaucoup à attendre et à espérer.

Irène est une expatriée française qui vit et travaille en Allemagne depuis 25 ans.
Divorcée d'un Allemand et mère d'un jeune homme de 20 ans, Hanno, elle est entrée à l'ITS " par hasard ", en répondant à une petite annonce.
Le hasard s'est transformé en passion pour cette activité d'archiviste enquêtrice à laquelle l'a formée une vétérane de l'institut, devenue son mentor et son amie, Eva...une rescapée polonaise des camps de la mort... décédée d'un cancer il y a quelques années.
Eva qui lui avait expliqué que :
"- le sort de dizaines de millions de personnes s'est joué ici. Celles qui ont fui, celles qui ont été prises ou se sont cachées, celles qui ont résisté, celles qu'on a assassinées ou sauvées in extremis... Et puis il y a l'après-guerre. Des millions de personnes déplacées. de nouvelles frontières, des traités d'occupation, des quotas d'immigration, l'échiquier de la guerre froide... Tu devras apprendre tout ça, devenir savante. Plus tu maîtriseras le contexte, plus tu réfléchiras vite. le temps que tu gagnes, c'est la vie de ceux qui attendent une réponse. Et cette vie est un fil fragile." 
Irène est devenue ce qu'Eva avait compris qu'elle deviendrait : une parcelle de cette mémoire qui retisse des fils invisibles, quelquefois improbables.
Mais son travail va prendre une autre dimension lorsqu'il va lui être confié la mission de retrouver qui sont les propriétaires d'un vieux Pierrot usé sur le ventre duquel est inscrit un mystérieux numéro matricule, un pendentif rouillé à l'intérieur duquel est plié dessiné le portrait d'un enfant, des lettres de Thessalonique, un mouchoir brodé de prénoms.
L'enquête à remonter le temps peut commencer.
Irène va remuer ciel et terre pour faire revivre ces objets, qu'ils se décident à révéler leurs secrets et à lui parler.
" Irène repère le sceau de la barbarie, de la mort sur ces vestiges. Perçoit derrière ces riens le bruit des bottes, entend les aboiements des chiens dressés à tuer ".

Le projet de Gaëlle Nohant était particulièrement ambitieux, tellement dense, tellement sensible, complexe et visité qu'en attendre une totale maîtrise, une incontestable infaillibilité, eut relevé de la méconnaissance de la tâche qui l'attendait et qu'elle a accomplie de manière impressionnante.

Parvenir, sans concessions, sans facilités, à maintenir une telle tension tout au long de son roman, un tel niveau d'émotions en retissant les innombrables fils d'une toile dans laquelle s'enchevêtrent 80 ans d'Histoire, autant de destins qui se déclinent de l'Allemagne à la Pologne, en passant par la France, l'Angleterre, la Suisse, l'URSS, les États-Unis, la Grèce, l'Italie, l'Argentine...
Réussir à conjuguer des vies à des temps aussi divers que le présent, l'imparfait, le passé simple, le passé composé, le conditionnel, le futur sans que jamais ni l'espace ni la temporalité ne désincarnent, n'éloignent, pire ne décrédibilisent l'authenticité et la proximité des êtres auxquels ce livre donne souffle et chair, c'est le pari impossible que Gaëlle Nohant a rendu possible.

Il y aurait tant à dire à propos de ce roman qu'il vaut mieux le lire que de s'attarder sur mes quelques lignes.
Le lisant, à votre grand étonnement, vous allez continuer à apprendre.
Je croyais avoir beaucoup lu sur Ravensbrück ; ce n'était pas assez.
Sur Treblinka, Auschwitz, Sobibor, Dachau, Chelmno, Belzec...pareil
Sur le Ghetto de Varsovie, sur les lebensborn, sur la dénazification, sur la Guerre Froide ; c'était incomplet...
Tenez, avez-vous entendu parler du Camp de Mittwerda ?
Savez-vous ce qu'est le djudyo ?

Oui ou non, ce roman est un immanquable.
Lorsque je vous aurai dit que Laurent Joly a conseillé Gaëlle Nohant, vous conviendrez que la barre a été placée très haut...

Il y a des moments d'une exceptionnelle intensité dans cette oeuvre magnifique.
Le chemin de vie ou chemin de croix de Lazar en fait partie.
Celui de la berceuse polonaise chantée par Agata, vieille dame polonaise qui retrouve dans un Ehpad allemand son frère Karl souffrant d'Alzheimer, enlevé 75 ans plus tôt par les nazis dans le cadre du Lebensborn, est l'acmé à laquelle mes larmes n'ont pas résisté.
Il ne me reste plus qu'à ajouter que le tout est très bien écrit.

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Irène, une Française divorcée établie en Allemagne avec son fils, travaille pour les Archives Arolsen, un centre de documentation et de recherche réellement créé au lendemain de la seconde guerre mondiale, longtemps appelé ITS - International Tracing Service -, et dont les missions sont, toujours aujourd'hui, l'éclaircissement du destin des victimes de la persécution nazie ; la recherche de proches ou d'informations à leur transmettre ; enfin la sauvegarde, à travers de millions de documents stockés sur des dizaines de kilomètres linéaires, de la mémoire de ceux que le nazisme a tenté d'effacer.


Elle qui n'était venue dans ce centre que par hasard, avec l'intention première de s'en tenir prudemment à la poussière des archives sans jamais se confronter directement aux familles et à leurs requêtes, se passionne bientôt pour son minutieux et peu ordinaire travail d'enquêtrice, au point de finir par s'y absorber corps et âme. Mais voici qu'au-delà de ses travaux documentaires, on la charge de restituer à d'éventuels descendants ou lointains parents, les objets personnels des disparus qui, recueillis dans les camps de concentration, hantent, depuis près de quatre-vingt ans, les rayonnages du centre.


Un mouchoir brodé de multiples prénoms, un pendentif renfermant un portrait d'enfant, une poupée de tissu sale et usé portant elle aussi un matricule : autant d'occasions, peut-être, d'exhumer du néant l'identité, l'intimité et la dignité des victimes, tout en apportant des bribes de réponse aux interrogations des jeunes générations sur leurs proches. « Même si on ne répare personne », pense Irène avec émotion, « si l'on peut rendre à quelqu'un un peu de ce qui lui a été volé, sans bien savoir ce qu'on lui rend, rien n'est tout à fait perdu. »


Alors, tandis qu'à l'aide de vieux documents, lettres ou photographies retrouvés, mais aussi de témoignages recueillis à travers l'Europe, elle retisse peu à peu, comme dans une enquête policière, les fils brisés de ces destins dont ces objets sont les témoins inanimés et silencieux, surgissent avec l'intensité de la vie, de ses espoirs et de ses douleurs, les visages de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants, tragiquement confrontés à la machinerie d'extermination nazie avec tout ce qu'elle représente d'atrocités, de souffrances et d'humiliations.


Malgré la barbarie très explicitement évoquée dans ses actes les plus abominables, Gaëlle Nohant réussit l'exploit d'un récit aussi terrible que lumineux, l'humanité des victimes survivant comme une flamme inextinguible jusqu'au plus profond des camps, du désespoir et de l'ignominie, grâce à mille gestes de résistance et de solidarité, mille manifestations de dignité et de volonté de témoigner par-delà la mort, qui, relayés jusqu'à nous par la chaîne de transmission de la mémoire, ont montré et continuent de montrer que, non, au grand jamais, le nazisme n'est pas parvenu à effacer pour de bon qui que ce soit de cette terre.


Au lendemain de la seconde guerre mondiale, rien n'était pourtant acquis d'avance, comme rien aujourd'hui ne semble définitivement gagné. Avant de pouvoir mener à bien ses missions, l'ITS s'est trouvé durablement noyauté de l'intérieur par les mêmes anciens nazis qui trustèrent longtemps le pouvoir et les administrations allemandes, tandis que dans le contexte de la guerre froide, le nouveau jeu des alliances déplaçait le centre de l'attention vers de nouveaux ennemis. Il aura fallu attendre Angela Merkel pour lever les derniers obstacles juridiques entravant la libre exploitation des archives, un droit d'autant plus essentiel quand on pense aux résurgences actuelles de l'antisémitisme, aux exactions de groupuscules néo-nazis et à la vague populiste qui monte un peu partout.


Un livre remarquable, aussi finement documenté qu'intelligemment construit et sensiblement écrit, qui nous en apprend encore sur la Shoah et sur les incessantes difficultés du devoir de mémoire. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Le centre de documentation, d'information et de recherche sur la persécution national-socialiste est situé à Bad Arolsen en Allemagne. Il sauvegarde la mémoire des victimes du nazisme, il recherche des parents proches. Il possède plus de 30 millions de documents et un fichier de 17,5 millions de noms. Il conserve dans ses archives les effets de 3200 détenus, des papiers d'identité, des photos, des lettres, quelques bijoux fantaisie, des étuis à cigarettes, des porte-plume. "Tous ces objets qui viennent des camps, des reliques échappées de l'enfer, il est temps de les rendre à qui de droit. Ce sont des objets sans valeur marchande dont la modestie trahit celle de leurs propriétaires. "
Au Bureau central de recherches, Irène, une Française, « raccommode des fils tranchés par la guerre, éclaire à la torche des fragments d'obscurité. Elle doit retrouver à qui appartiennent ces objets et suivre la piste de leurs descendants, un parent, un ami. Quelqu'un pour qui ça aura du sens. Trois mille objets à restituer et une seule vie pour le faire. »
Un petit pierrot blanc dont le tissu terni s'effiloche, un médaillon de la vierge à l'enfant, un mouchoir brodé des prénoms des détenues, le visage dessiné d'un enfant dessiné au crayon sur un bout de papier. À partir de ces petits riens, Irène part à la recherche de Karol, Wita, Lazar, Eva, Allegra, Léon. C'est avec ces personnages que Gaëlle Nohant nous fait revivre le ghetto de Varsovie, les camps d'Auschwitz, Treblinka, Ravensbrück. Elle nous emmène « de l'autre côté des barbelés, se fraie un passage à travers l'horreur et la solitude. » Irène se rend sur leurs traces en Pologne " ce pays couturé encore à vif " où les femmes manifestent aujourd'hui pour qu'aucune d'entre elles ne soit forcée à être mère.
Avec beaucoup de pudeur et de sensibilité, Gaëlle Nohant évoque le sort de deux cent mille enfants, âgés de deux à douze ans, raflés dans les territoires occupés, dans les écoles, les orphelinats parfois en pleine rue pour être adoptés par des familles nazies. La douleur des jeunes femmes dont le corps sert à des expériences horribles. Les cheminots qui ramassent sur le ballast les messages écrits sur des bouts de papier par ceux qui s'entassent dans les wagons à destination de la mort. Les archives clandestines du ghetto de Varsovie, enterrées avant la liquidation du ghetto pour pouvoir témoigner après la guerre. Dix boîtes métalliques contenant des milliers de documents découvertes dans les ruines de Varsovie. Les personnages de ce livre sont fictifs mais ils sont tellement vrais, tellement vivants.

Il y a des romans dont j'hésite à faire la chronique tant j'ai peur que mes mots ne soient pas à la hauteur de la qualité du récit. Peur de ne pas pouvoir retransmettre toutes les émotions ressenties à sa lecture. le nouveau roman de Gaëlle Nohant est d'une telle richesse. La manière dont l'auteure traite ce sujet difficile et douloureux est remarquable. Les derniers chapitres sont tout simplement sublimes. Merci infiniment, Madame, de m'avoir offert pour ma dernière lecture de l'année un si beau moment.
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Connaissez-vous le centre d'Arolsen, ce centre de documentation et de recherche sur la Shoah et les persécutions nazies, situé en Allemagne ?
Les personnes qui y travaillent tentent de restituer des objets aux descendants de ceux qui sont passés par les camps et d'apporter des réponses aux familles quant au destin de leurs proches.
Ce centre reçoit encore près de 1000 demandes par mois, même 70 ans après la guerre, et est riche de plus de 30 millions de documents, rangés sur 26 kilomètres de rayonnages, sur cette période extrêmement douloureuse.
L'auteure nous fait découvrir cet endroit par le biais d'Irène, une française qui a émigré en Allemagne par amour et qui se dévoue corps et âme à ce travail qui mêle les compétences d'archiviste et d'enquêteur.
J'ai dévoré ce roman qui est véritablement passionnant, tout autant que bouleversant.
A partir d'un médaillon et d'un Pierrot en tissu, nous allons remonter le temps et découvrir les vies brisées de plusieurs personnes, à la fois à cause des atrocités qu'elles ont subies mais aussi à cause de la chape de secrets et de silence qui entoure cette période.
Cette enquête, qui a des allures de poupées russes, nous fait découvrir les parcours de dizaines de personnes, dont les destins sont liés.
Un roman captivant dont on ne ressort pas indemnes.
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Un titre bien intrigant : que se cache-t-il derrière ces mots ?

Il s'agit d'un bureau d'investigation et de recherches sur les persécutions nazies. il réunit un fond documentaire impressionnant, mais aussi des objets venant des camps :
« Ce sont des objets sans valeur marchande. les biens monnayables étaient dérobés sans retour. Ce sont les restes méprisés par les assassins, dont la modestie trahit celle de leurs propriétaires. »

Irène, employée du centre depuis 1990, est chargée depuis quelques années d'enquêter sur ces objets, pour tenter de les restituer à la famille de leur propriétaire. On va suivre en parallèle dans ce ce roman très documenté plusieurs de ces enquêtes
A ce propos, je vous conseille de noter quelques mots sur chacune d'entre elles, les noms, les circonstances : il y a beaucoup de personnages et cela facilite la compréhension. On peut sinon être facilement perdu, surtout que les prénoms ne nous sont pas familiers. C'est mon petit bémol sur ce roman.

Les camps, les persécutions nazies, les sévices infligés, les conditions de vie inhumaines, tout cela on l'a lu déjà et relu, et pourtant aucun livre sur ce sujet n'est de trop. Et j'ai encore appris ou réappris certaines choses dans ce roman. Notamment l'épisode de la révolte de Treblinka ou celle des Kaninchen (petits lapins) de Ravensbrück, jeunes filles mutilées lors d'expériences médicales, ou encore ces enlèvements d'enfants « aryens » dans les pays occupés pour les faire adopter dans des familles de bons allemands.

J'ai été emporté par un torrent d'émotions, en lisant ces destins qui bien sur sont romancés, mais qui m'ont semblé sonner si juste. Certaines scènes m'ont mis les larmes aux yeux, notamment à la fin du roman, dans le jardin d'une maison de retraite. On se passionne à coté d'Irène pour ces investigations, et les échanges et les rencontres avec les familles sont décrits avec beaucoup de pudeur et de sensibilité.

Un beau roman historique, très bien documenté, sur une période de l'histoire, que personne ne doit oublier.
Merci à netGalley et aux éditions Grasset pour ce partage #Lebureaudéclaircissementdesdestins #NetGalleyFrance
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Malgré le titre qui ressemble à celui d'une série télévisée, le bureau d'éclaircissement des destins, première lecture d'un ouvrage paru en 2023, figure d'ores et déjà parmi les meilleurs livres de cette année. La barre est très haute pour faire plus instructif, plus émouvant et plus marquant que le dernier roman de Gaëlle Nohant.

Irène, française, a épousé un Allemand dont elle a divorcé, mais elle est restée vivre dans la Hesse, plus précisément à Bad Arolsen. Elle travaille à l'International Service Tracing, organisme chargé de retracer le sort des victimes des nazis. Elle est convoquée dans le bureau de la directrice qui lui confie une mission : trouver les descendants des disparus à qui appartenaient des objets sans valeur et le leur remettre.

Le premier objet sur lequel Irène enquête est une marionnette, par chance l'enveloppe contient le nom de son propriétaire, un enfant de treize ans.
Le petit-fils d'une ancienne gardienne de camp fait parvenir à l'institut une lettre de sa grand-mère décédée et un médaillon qui appartenait à une femme, assassinée par les nazis. Dans le médaillon, le dessin d'un petit garçon.

Les enquêtes d'Irène ne sont que le prétexte à nous parler de vies, certes imaginaires, de personnes disparues, ou de celles qui ont survécu, traînant avec elle un traumatisme qui ne s'effacera jamais.

J'ai aimé que cette histoire soit racontée par le biais des recherches d'Irène. Faute de pouvoir ressentir ce que les victimes ont vécu — ce qui, de toute éternité, crée un fossé entre les victimes et les autres — j'ai éprouvé les émotions d'Irène, son indignation aussi devant certains faits plus récents.

J'ai fait la grimace devant certains évènements relatés parce qu'ils ne paraissaient pas vraisemblables (la résistance des Kaninchen), ces jeunes femmes ont pourtant existé.

Gaëlle Nohant a trouvé une façon originale de nous rappeler les horreurs du nazisme sans prétendre le moins du monde avoir connu les camps. Elle évoque pourtant les chambres à gaz, les expériences sur les détenus, les enfants enlevés à leurs parents pour qu'ils soient adoptés par les nazis, mais aussi les communautés dont on a peu parlé : prostitués, homosexuelles, roms…

Lien : https://dequoilire.com/le-bu..
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Square des Poètes-11 mai 2023


MASGISTRAL !

Un immense MERCI à l'Inconnu(e) à qui je suis redevable de cette lecture fulgurante, captivante et bouleversante que j'ai lue en 2 jours...à la suite d'un hasard heureux.
Venant déposer des livres, comme je le fais de plus en plus souvent..., dans un kiosque de " Livres- voyageurs" au Square des Poètes ( Paris), J'ai ainsi croisé Gaëlle Nohant pour la première fois et pour son tout dernier livre...

Je m' y suis immergée aussitôt, prise d'emblée de sympathie pour Irène, jeune femme récemment mariée, répondant à une offre d'emploi au très important Centre de recherches et de documentation sur les persécutions nazies, l'International Tracing Service.

Elle y est embauchée en 1990, et s'engage très rapidement dans ce travail d'investigation, s'en faisant même un jardin secret chez elle, craignant les réactions de son mari allemand, dont le père fut engagé dans la Wehrmacht, et entraîné dans le sombre flot nazi...

Wilhelm et Irène divorceront dès la naissance de leur premier enfant,un fils, Hanno, après une violente dispute avec son beau-père,totalement dans le déni...

Deux portraits féminins inoubliables : Irène, notre héroïne mais aussi Eva, personnalité hors du commun, qui embauchera et formera Eva...dans ce Centre de recherches ...

Même si l'extrait est un peu long, je tiens à insérer la genèse de ce roman que Gaëlle Nohant explique , on ne peut mieux, dans ses remerciements, à la fin de l'ouvrage :

"Les enquêtes et les personnages de ce roman sont fictifs.Tout en évoquant la véritable histoire du centre d'archives d'Arolsen, j'ai pris certaines libertés nécessaires à mon intrigue et à la trame romanesque.
À l'origine de ce roman, il y a ce jour de l'hiver 2020 où mon amie Aurélie Serfaty- Bercoff m'a appris que les archives d' Arolsen conservaient des traces de la déportation de Robert Desnos.Je me suis demandé pourquoi je n'avais jamais entendu parler de ce fonds qui existait depuis l'après-guerre .Ma curiosité aiguisée, je suis tombée au fil de mes recherches sur un article d' Élise Karlin, qui parlait de la restitution d'objets hérités des camps de concentration. Je veux la remercier ici, car c'est en le lisant que l'idée de ce roman m'est venue.
Pour autant, je crois que j'avais rendez-vous avec lui depuis longtemps. "

Irène depuis près de 30 ans s'investit sans compter dans ces travaux d'investigation, impactant grandement sa vie.Divorcée, elle vit seule et élève son fils unique, Hanno, qui va, par ailleurs, régulièrement chez son père .
Il est certain que le contenu " délicat "du poste de recherches d'Irène est difficilement oubliable ou
" déposable"lorsque le soir et ferme la porte de son " chez- elle" !

À l'automne 2016, Eva, sa directrice, historienne brillante, décide de lui confier une mission inédite et pas des moindres " émotionnellement ": restituer aux descendants des disparus déportés, les milliers d'objets dont le Centre a hérité à la libération des camps...

Au fil des enquêtes, Irène se heurte à toutes sortes de difficultés, à des mystères, à des aberrations de gestion ( au début de l'existence de ce Centre de Documentation, où d'anciens SS y travaillaient et ont pu détruire des archives compromettantes?!)

Heureusement, sa directrice, Eva, avait à l'époque alerté son Supérieur, afin qu'une tutelle plus large contrôle ces Archives et non plus la seule
Allemagne !...

Gaëlle Nohant réussit un magistral tour de force en ne rendant jamais,ce sujet lourd et
tragique,rébarbatif ou fastidieux...à lire. Bien au contraire; on est emporté dans un flot
d'émotions , et d'informations concernant les tourbillons de la grande Histoire...

On avance, on accompagne Irène dans ses nombreuses pérégrinations, déplacements qu'elles soient fructueuses ou décevantes ! On se réjouit , on s'attriste, on s'enthousiasme avec elle lorsque les recherches progressent et soulagent des familles brisées," endeuillées "...depuis si longtemps...

On la suit de Varsovie à Paris et Berlin, en passant par Thessalonique et l'Argentine...

Il y aurait tant à dire sur ce " vaste" roman; " vaste", car moult sujets, thématiques universels s'y croisent, s'y confrontent.

Parmi tous les éléments riches de réflexions, j'ai aussi retenu des passages précieux sur les rôles primordiaux des Archives et des archivistes...

"- Les archives ne mentent pas, sourit Pierre.C'est pour ça que tant de gens s'évertuent à les garder sous clef."

Une lecture vibrante que l'on a beaucoup de mal à quitter.Un grand livre qui réunit avec brio une abondante documentation, des personnages arattachants et complexes, des destinées incroyables parfois quelque peu réparées par le colossal travail d'Irène ,et par par delà cette fiction, par tous ces enquêteurs " internationaux ", archivistes, historiens, traducteurs de tous pays....

Pour ma part j'ai appris moult, moult choses dont un approfondissement de l'Histoire allemande ainsi que celle des pays annexés...sans omettre le rappel du sort de tous ces " enfants non accompagnés "
( orphelins ou enfants kidnappés pour être adoptés par des familles aryennes)...


Autre Extrait qui interpelle toujours avec autant d'urgence dans le monde entier. , au vu des actualités ukrainienne, birmane et tant d'autres peuples en guerre... !

"- Jusqu'en 1948, l' ITS s'appelait le Bureau central de recherches, lui avait expliqué Eva.
Cet endroit était né de l'anticipation des puissances alliées. Avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, elles avaient compris que la paix ne se gagnerait pas seulement au prix de dizaine de millions de morts, mais aussi de millions de déplacés et de disparus.Le dernier coup de feu tiré, il faudrait retrouver tous ces gens, les aider à rentrer chez eux.Et déterminer le sort de ceux qu'on ne retrouverait pas.
- Pour celui qui a perdu un être cher, ces réponses- là, c'est vital. Sinon, la tombe reste ouverte au fond du coeur."

Cette lecture difficilement oubliable m'aura donné de plus la curiosité de lire d'autres textes de cette auteure. Je m'adresse aux " fans" de Gaëlle Nohant pour connaitre leurs préférences ...afin de choisir au mieux le texte suivant que j'aimerais lire !
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Ne vous fiez pas au nombre d'étoiles. La vraie note est 5* , * étant ce fameux supplément d'âme qui différencie complètement un livre du reste de la littérature du moment.
J'ai pleuré deux fois dans cette lecture (mais je pleure assez facilement, il m'arrive de verser une larmichette devant Pocahontas par exemple).
Deux fois donc:

-En lisant une merveilleuse lettre d'amour, "Mi Kerido", qu'Allegra, rescapée des purges de Thessalonique, écrit à Lazar, son bel héros tchèque , rescapée de Treblinka. La lettre, c'est Iréne qui la lit après l'avoir récupérée dans les archives d'un service qu'elle dirige à l'Internianonal Tracing Service (l'ITS) en Allemagne. Et cette lettre a transité par Yad Vashem en 1978.
Le point de départ de l'enquête était une poupée de chiffon...avec un tatouage de déporté juif . Iréne , qui est une enquêtrice hors pair, a tiré les bonnes ficelles, reconstruit et éclaircit les destins d'un homme, de la femme dont il a eu un enfant et d'une fillette assassinée. Allegra et Lazar se sont aimés passionnément en 1944, quelques semaines, sans plus jamais se revoir.

- Iréne, après une enquête "à l'envers", qui lui a pris beaucoup de temps et d'énergie a pu remettre un médaillon à son destinataire. Et surtout réunir une famille dont les racines familiales ont été tronquées, presque coupée. Et là c'est une scène énorme où, dans un EHPAD allemand, un vieillard atteint d'Alzeimer, chante en polonais une vielle contine avec sa soeur retrouvée.

L'ITS existe réellement mais les acteurs de ce récit sont imaginaires et probablement plus vrais que nature.
J'ai beaucoup lu, entendu et vu de récits autour de la Shoah. Je pensais en avoir fait " un peu le tour" Que idiot je suis.
Gaëlle Nohant écrit ce roman essentiel avec la finesse d'une dentellière et la détermination de Pénélope, la tisseuse. Sans pathos mais portée par un grand souffle humanitaire, la narration est tout simplement parfaite.

On suit donc Iréne à partir de l'automne 2016. Cette française est venue travaillée en Allemagne en 1990. Elle a rapidement intégré l'ITS , s'est mariée eu un enfant et a divorcé dans la foulée ( pour des raisons qui nous seront expliquées). Son travail la passionne et elle nous embarque. Car la petite histoire rejoint la grande Histoire. Elle doit rendre des objets s'entassant dans les km d'archives à leurs destinataires . Ses objets sont des reliques des camps d'extermination (pour le dire vite). Elle doit renouer des filiations.
J'ai appris énormément de choses et la page 346 est l'une des plus importantes pages d'histoire de l'immédiate après-guerre . On y découvre les avantages de la dénazification partielle. Et l'intérêt des alliés, du Vatican , des dictatures sud-américaines , de Siemens(!), de la CIA pour l'enfouissement des dossiers et le recyclage des criminels de guerre. L'Allemagne d'avant Merkel n'est pas épargnée .
Tout le monde est-il susceptible , dans certaines circonstances , d'être du coté du Mal? comme le pense Hanno, le fils d'Iréne.
Ou bien a-t-on toujours la possibilité , le "Caïros", d'être un petit ou un grand héros ?, comme le pense Irène. Et on découvrira que le choix de vie d'Iréne (son destin) est liée évidemment à sa propre histoire

Merci à l'autrice pour ce livre génial qui nous laisse un peu groggy mais un peu plus juste.
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