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Critique de Kirzy


Irène travaille aux Archives Arolsen, anciennement International Tracing Service, le centre de documentation, d'information et de recherche sur la Shoah et la persécution nazie, basées à Bad Arolsen ( en Hesse, Allemagne ) depuis 1948. Elle est à la fois archiviste et enquêtrice. Elle se voit confier la mission de restituer des objets retrouvés dans des camps nazis à leurs propriétaires survivants ou leurs descendants  : un pierrot en tissu, un mouchoir brodé, un médaillon.

Forcément, le thème de la Shoah peut susciter quelques craintes tant on peut avoir l'impression qu'il a été labouré voire essoré par la littérature contemporaine. le choix de recourir à des personnages et histoires fictifs peut également interroger de prime abord, la force du réel et le poids des témoignages apparaissant comme générateur d'une intensité que le romanesque aurait du mal à restituer. Très rapidement, les premiers chapitres ont totalement emporté mes quelques inquiétudes préalables tant le souffle extraordinairement prenant du roman m'a embarquée.

Moi qui croyait - très immodestement- avoir un peu fait le tour de la Shoah, j'ai découvert l'ampleur de ces incroyables Archives Arolsen ( trente millions de documents ) qui reçoivent encore un millier de demandes par mois provenant des quatre coins du monde, notamment de jeunes générations en quête d'informations sur leurs aïeuls dont les effroyables destins ont pu être tus. Ou encore la révolte des Kaninchen de Ravensbrück ( jeunes femmes servant de cobayes médicaux ) cachées dans le camp par d'autres déportés à la résistance obstinée.

Irène doit donc retrouver l'identité des déportés qui possédaient les objets à restituer, puis suivre la piste de leurs descendants, en espérant qu'il y est quelqu'un au bout de l'enquête, quelqu'un pour qui la restitution ait un sens, comme un policier à l'envers pour « renouer les fils que la guerre a brisés » et éclairer « à la torche des fragments d'obscurité. » La composition du roman est remarquablement propulsive, jamais elle ne se contente d'empiler les enquêtes, chaque histoire faisant écho à la précédente avec parfois des connexions inattendues. le scénario apporte de la lumière sur chacune des vies fracassées au coeur du récit, tisse des liens entre le passé et le présent avec intelligence et fluidité, sans jamais sombrer dans la surécriture artificielle.

Malgré le caractère fictif des personnages, on a l'impression qu'ils ont existé. Ils sont là, vivants, réels, ils ont de la chair, du corps et du coeur. A commencer par notre guide dans ce voyage dans le passé, Irène, dont le travail est la colonne vertébrale, au point qu'elle éprouve des difficultés à s'extraire de ses enquêtes. On sent la fièvre qui s'empare d'elle lorsqu'elle s'approche de la vérité, on sent son découragement lorsque les pistes refroidissent, sa suffocation à découvrir son propre passé, inattendu.

Et puis, il y a ces destins éclaircis. Inoubliables Lazar avec son parcours de Treblinka à Thessalonique, Wita à Ravensbrück qui se demande si elle a encore un visage après des mois de ravage physique, Eva la mentor d'Irène, Sabina, Karol ... Ce roman vibre d'une rare intensité émotionnelle qui étreint le lecteur quasi en continu. Si mes larmes ont souvent coulé, ce n'est jamais sous l'injonction d'un sujet dramatique ni parce que Gaëlle Nohant joue avec un grossier tire-larme sulfatant vulgairement du pathos à tout-va . Si elles ont coulé, c'est parce que tout est juste, tant dans l'écriture, sobre et ciselée, que dans le propos, pudique et énergique.

Certaines scènes sont exceptionnelles - comme celle de l'EHPAD – car elle construise une réflexion puissante et limpide sur la mémoire et la transmission. En restituant ces objets sans autre valeur que sentimentale- le Pierrot, le mouchoir, le médaillon - Irène délivre les fantômes qui y étaient emprisonnés. « Ne pas laisser leur mort éclipser leur vie », comme une cérémonie en mémoire des disparus à laquelle elle convie des descendants qui n'avaient rien demandé, qui vont être percutés par le tragique du passé et voir leur présent bouleversé à jamais. «  Quelquefois, en cherchant les morts, on trouve des vivants »

Impossible de se détacher des personnages une fois ce magnifique roman refermé. Gaëlle Nohant a trouvé l'équilibre parfait entre le romanesque et l'historique, sublimant ce dernier dans jamais le dénaturer ou l'atténuer. Enorme coup de coeur.



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