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4,3

sur 1973 notes
Il y a quelques jours je suis tombée sur une photo qui m'a particulièrement touchée : celle d'Otto Frank qui revenait dans l'Annexe quelques heures avant l'inauguration à Amsterdam de la Maison d'Anne Frank en 1960...

Soixante-et-un ans plus tard, Lola Lafon va à son tour monter les marches de ce lieu sacré pour y passer la nuit... Depuis la déportation de la famille Frank, rares sont ceux à avoir vécu cette expérience marquante... Lola Lafon, par sa magnifique plume nous offre un roman bouleversant et très immersif. Alors que la nuit passe, nous avons l'impression que le temps s'est arrêté. L'écrivaine va, le temps de ces quelques heures nous faire part de son ressenti et donner ses impressions lors de ses déplacements entre l'annexe et le musée. Par ailleurs, l'auteure va également se livrer sur son histoire familiale qui comporte de nombreuses similitudes avec celles des Frank.  

Premier ouvrage lu de cette auteure dont j'avais beaucoup entendu parler, j'ai eu un coup de coeur pour "Quand tu écouteras cette chanson", un texte très abouti dont les paroles resteront longtemps en mémoire...

Je tiens à remercier les Éditions Stock et Netgalley France pour cette belle découverte livresque...
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Alors qu'elle pose ses valises dans cet hôtel d'Amsterdam, une carte lui promet qu'ici elle oubliera tout, alors que précisément elle est venue passer une nuit au musée, pour ne rien oublier : le musée Anne Franck. Un hommage vibrant, de toute beauté, d'une précision ahurissante : sur une première partie, plus émotionnelle, on retient son souffle, tant les réflexions sont renversantes quand elles ne font pas ou froid. Chaque phrase dit quelque chose, d'elle ou d'elle, ou de nous. Sur une seconde partie, c'est plus contemporain, plus historique, sur les procès faits à ce journal et à son écrivaine notamment. On en ressort tout autre de cette lecture : voilà pourquoi j'aime lire, quand il y a un avant et un après. je m'arrête là : à vous de faire le voyage dans ce lieu chargé... Cette collection une "nuit au musée" tient toujours ses promesses, et ce récit plus particulièrement encore : il est an-thro-po-lo-gique. Je m'arrête disais-je. Deux prix en 2022 : Prix Décembre et Prix les Inrockuctibles.
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Que d'émotions à la lecture de ce court ouvrage de la collection « une nuit au musée »
Émotion de (re)découvrir sous la plume de Lola Lafon l'annexe que j'ai visité le matin même à Amsterdam
Émotion de retrouver Anne Frank, l'adolescente, l'icône, la témoin, l'écrivaine
Émotion de lire le parcours de Lola Lafon, autrice mais également petite fille juive de Roumanie, à l'histoire familiale impactée par la Shoah
Émotion enfin de constater que les hommes n'apprennent jamais du passé et que des massacres subsistent toujours dans un coin du monde

« On ne pourra pas dire qu'on ne savait pas ; on pourra dire qu'on ne savait pas que faire de ce qu'on savait. On pourra dire l'impuissance qui nous saisit, qui nous écrase, plus on sait et moins on peut. »

Un texte pudique, fort, que j'ai terminé la gorge serrée
Un ❤️
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Être enfermé une nuit durant dans un musée est une aventure rare lorsqu'elle est autorisée et qui, a priori, a de grandes chance d'être réjouissante. Lorsque le musée est la dernière demeure de l'adolescente la plus connue de la seconde guerre mondiale, l'épreuve a, en revanche, de quoi perturber. Pour Lola Lafon, un élément supplémentaire ajoute une dimension émotionnelle. Son histoire familiale est marquée par le drame de la Shoah. L'artiste, lors de cette visite nocturne, en s'interrogeant sur Anne Franck mais surtout sur les répercussions de son oeuvre, va questionner son parcours. Dire que Lafon écrit bien relève de l'euphémisme, il ne s'agit pas seulement de la clarté de ses propos mais de l'intelligence et la franchise avec lesquelles elle évoque sa judéité. Que Lola Lafon nous regarde droit dans les yeux sur la couverture du livre montre que l'auteure assume d'être l'héroïne principale de l'ouvrage. Ce sont d'ailleurs les pages où elle relate ses goûts, ses angoisses ou surtout quelques épisodes marquants de son adolescence qui sont les plus poignantes davantage que l'exégèse du Journal. L'introspection est un genre risqué. Quand vous lirez ce livre et que vous comprendrez pourquoi il s'intitule Quand tu écouteras cette chanson, vous admettrez peut-être que cet exercice nombriliste a une portée universelle. Anne Franck, victime de la barbarie, est une victime parmi des millions, à d'autres époques, dans d'autres lieux. Ce livre, récit d'une expérience intime, déclenchera sans doute pour vous aussi des souvenirs…
Deux classes de 3ème… Une grand-mère d'élève rejoint mon cours, je me glisse au dernier rang elle prend place au pupitre. Elle parle longuement puis répond aux questions. La mamie était une enfant juive cachée. Elle parle de son quotidien, évoque ses soeurs et frères et sa mère gazés, son père qui revient du camp, mort vivant, sa vie après. Elle doit s'arrêter parfois, les larmes montent. Les miennes, je les réprime… Ne pas céder à l'émotion devant les élèves. Tenir à distance la pathos pour se concentrer sur la transmission de connaissances essentielles. Mais, Super Mamie se rattrape vite, interpelle un de mes élèves particulièrement métissé et à la Réunion, elle a l'embarras du choix « Toi ! Les nazis, tu les aurais énervés avec ta belle gueule… », un peu plus tard « Moi, les rappeurs, je les comprends. Chaque fois, que je passe devant une gendarmerie, je pense à Vichy. Votre prof là-bas (je rougis), il vous a expliqué ce que c'était vraiment Vichy ? » le cours se termine… « Déjà ? » Une remarque rare… La grand-mère est entourée, remerciée… Deux ou trois élèves m'interpellent « Eh ! Monsieur, c'était trop bien ! Dommage que tous les cours ne soient pas comme ça ! » Allez ! Prendre cette phrase pour un compliment.
Nous avons ensuite continué notre discussion avec ma petite mamie de la Rochelle : elle m'a parlé du deuil, du silence pendant tant d'années et puis, un jour, le besoin de transmettre. Je me souviens qu'à un moment de ce passionnant échange, je me suis dit qu'elle n'aurait pu n'être qu'une Anne Franck anonyme, une parmi des millions… Heureusement qu'il y eut quelques Justes.
Quand je pense que j'ai pu lire sur Babelio des propos négationnistes, signe que cette lèpre mentale n'est pas éradiquée, j'ai la gerbe. Alors, merci à Lola Lafon pour ce livre qui entretient la mémoire, nos mémoires, ma mémoire…
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Par où commencer ?
Il s'agit d'un récit, dans lequel Lola Lafon raconte la nuit qu'elle a passée, en Août 2021, dans le musée Anne Frank d'Amsterdam. Seule avec le vide, pas sûre de son choix, pas sûre d'être au bon endroit.

Elle partage ses doutes avec nous. Son analyse du "Journal". Ses informations sur Otto Frank, et sur la façon dont le "Journal" a été publié, déformé, détourné, nié. L'histoire de sa propre famille. Sa propre histoire et celle de cette chanson qu'elle ne veut/peut plus écouter. C'est un récit bizarre, qui part dans tous les sens mais demeure maîtrisé du début à la fin. Un récit court (même pas 200 pages) mais très dense, truffé de réflexions profondes sur le poids du passé, les modèles inatteignables, les impitoyables bégaiements de l'Histoire -et sur l'écriture aussi : "Certains vont à la rencontre de leur vie, s'en saisissent, d'autres se tiennent légèrement de biais : ils l'écrivent." Tout au long de ma lecture, j'ai eu l'impression d'écouter une amie me livrer ses souvenirs et pensées ; le ton est à l'intimité dans la pénombre de "l'Annexe".
Etrangement, je me suis sentie "en communion" avec ce livre. Impossible de l'exprimer autrement, mais je me suis sentie bien, dans la tête de Lola Lafon. J'ai aimé ses colères et ses indignations contenues. J'ai aimé sa sensibilité, son humilité, sa sincérité. En fait, il s'agit davantage d'un livre sur Lola Lafon que sur Anne Frank, mais ça ne m'a pas dérangée.
Et puis, j'ai aimé retrouver le style délicat et touchant de l'auteur, sa façon d'utiliser le mot le plus juste au bon endroit, celui qui éclabousse le coeur et crée un lien direct entre l'écrivain et son lecteur.

Alors, oui, c'est un récit à lire sans hésiter si l'envie se manifeste, tant il est beau, pur, à la fois fragile et puissant, terriblement émouvant dans son honnêteté.
Et oui aussi, il s'agit encore d'une autofiction, mais celle-ci est généreuse et universelle -trop rare pour ne pas la saisir !
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Lola Lafon en août 2021 a passé une nuit au musée Anne Franck à Amsterdam. Elle a installé son lit de camp dans l'Annexe, un appartement vide, vide de ses occupants, c'est le vide qui transforme cet appartement en musée. C'est dans cette cachette que vivront Otto Franck, sa femme Édith, Margot et Anne ses filles, de juillet 1942 au 4 août 1944 le jour où la Gestapo a pénétré dans l'Annexe. le 3 septembre 1944, le dernier convoi part pour Auschwitz-Birkenau avec mille dix-neuf femmes, hommes et enfants, dont la famille Frank. Anne Frank est morte un mois avant la Libération.
La propre mère de l'auteur a été cachée pendant la guerre, Lola Lafon est juive, mais cela n'a pas d'importance ou du moins, ce n'est pas suffisant pour expliquer sa volonté d'écrire ce livre.

Dans une première partie émouvante et passionnante, Lola Lafon nous offre une relecture du journal d'Anne Frank. Elle nous replonge dans le quotidien d'Anne pendant ces vingt-cinq mois de vie cachés dans des pièces exiguës, une contrainte permanente. Elle nous dresse le portrait d'une adolescente drôle, futile en dépit de la situation, une jeune fille irrévérencieuse qui rêve de voir son journal publié.

Dans la seconde partie, l'auteur revient sur sa propre histoire, une réflexion sur la judaïté, un retour sur sa famille, sur sa grand-mère Ida, sur son identité, les souvenirs d'enfance dans la Roumanie de Ceausescu, le récit devient intimiste à l'évocation d'un jeune Cambodgien. Quelques lignes aussi sur les négationnistes qui ajoutent à l'horreur. C'est sans aucun doute sa propre histoire qui l'a conduite à écrire ce récit et à passer une nuit dans l'Annexe.

Un livre tout en sensibilité et délicatesse qui a le mérite de démystifier Anne Frank, de nous la présenter comme elle était vraiment, une écrivaine témoin de son époque.

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Collection : série d'ouvrages, de publications ayant une unité.

Dans le maelström marketing qu'est un peu (trop) devenu l'édition contemporaine, où le bizarre côtoie parfois l'étrange, il faut rendre hommage et encourager les professionnels qui poursuivent, sans compromis, le principe de collection.

Alina Gurdiel est de ceux-là et sa collection Ma nuit au musée est un enchantement perpétuel, ouvrant à chaque opus un cadre nouveau qui trouve son unité dans le fil conducteur que crée la confrontation d'un auteur avec un lieu, une histoire et – surtout – avec lui-même.

Quand tu écouteras cette chanson de Lola Lafon n'y échappe pas et s'impose en titre majeur de la collection. le déroulé de cette nuit au Musée Anne Franck et les évocations en forme d'échos entre l'Annexe et le célèbre Journal contribuent à rafraîchir ou compléter l'histoire de la jeune martyre.

Mais c'est surtout le cheminement, rapide mais intense, de l'auteure en ces lieux qui a animé ma lecture : appréhension de la bonne approche et respect du lieu et de l'histoire ; puis fulgurances, révélations et libérations de souvenirs et émotions plus ou moins enfouies.

« Mes grands-parents ont survécu en faisant comme si la France avait vraiment été une terre d'accueil. Ils ont fait de l'oubli un savoir. Ils ont prêté allégeance à l'amnésie. »

Comme Jakuta Alikavazovic avant elle au Louvre, c'est vers sa famille, son passé, son propre rapport à sa religion que cette confrontation avec la famille Frank (Anne certes, mais aussi Otto le rescapé ou Margot « évanouie dans l'histoire… celle qui m'indique le chemin ») a emporté Lola Lafon.

Cela donne de très belles pages sur le doute, l'éloge du flou - « Les créatures floues ont pour elles l'espace de la fiction, qui n'aime rien tant que les personnages dont on ne saura jamais tout » - l'engagement ou son absence.

Et puis cette phrase au détour d'une page, brûlante d'actualité, qui nous renvoie à nos faiblesses ou contradictions, et touche juste :

« On ne pourra pas dire qu'on ne savait pas ; on pourra dire qu'on ne savait pas que faire de ce qu'on savait. On pourra dire l'impuissance qui nous saisit, qui nous écrase, plus on sait et moins on peut. Ce dont on est témoin est semblable à une question qui nous serait adressée. Nous pouvons choisir de l'ignorer. »

Oui, cette collection est précieuse.
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Tout le monde a entendu parler d'Anne Frank et de son Journal. On sait qu'elle est morte en déportation, à seize ans, à quelques semaines de la fin de la guerre. On sait aussi qu'à Amsterdam, dans l'espoir d'échapper aux rafles nazies, sa famille s'était cloîtrée secrètement pendant deux ans dans un ersatz d'appartement, au-dessus des bureaux de son père : un lieu devenu aujourd'hui le Musée Anne Frank, devant lequel s'allonge, chaque jour, une file d'attente de centaines de visiteurs. Mais qui connaît vraiment la véritable personnalité de cette jeune fille qui n'a pas pu devenir adulte ?

Quand tu écouteras cette chanson est le titre d'un livre dont le rôle principal est partagé entre Lola Lafon, son autrice (*), et Anne Frank. « Anne Frank est un symbole. Mais de quoi ? » s'interroge Lola Lafon avec pertinence. « De l'adolescence ? de la Shoah ? de l'écriture ? » Quel est le véritable sens de son Journal, « que tous les écoliers ont lu et dont aucun adulte ne se souvient vraiment » ?… Moi-même, à douze ou treize ans, j'en avais reçu une version édulcorée destinée aux enfants. Je l'avais lue rapidement, sans en saisir les implications profondes. Je n'y suis pas revenu depuis.

Danseuse, chanteuse, écrivaine, Lola Lafon est une personne surprenante. D'origine russo-polonaise et juive par sa mère, elle a vécu son enfance en Bulgarie, puis dans la Roumanie de Ceausescu, avant que ses parents s'installent en France. Elle a écrit plusieurs livres, dont un best-seller, il y a une dizaine d'années, La petite Communiste qui ne souriait jamais. Elle y relatait le parcours d'une autre jeune fille, Nadia Comaneci, la petite gymnaste roumaine championne olympique.

Lola Lafon a été écorchée par le regard des autres. A son arrivée en France, elle avait ressenti une sorte de mépris de classe, attribué à sa judéité et aux pedigrees d'immigrés modestes de ses proches. A l'adolescence, elle avait refoulé son histoire familiale et s'était complu dans les combats d'autres révoltés : anarchistes, écologistes, féministes, communistes. Elle s'était, pendant des années, refusée à regarder en face son identité juive et à s'intéresser à la Shoah… jusqu'au jour où le personnage d'Anne Frank s'est révélé à elle.

Début d'une fascination — d'une projection ? — qui l'amène à demander et à obtenir l'autorisation de passer une nuit dans le Musée Anne Frank. Quand tu écouteras cette chanson en est le récit. de courts chapitres racontent le moment de solitude nocturne sur place, l'histoire de la famille Frank, des anecdotes sur Anne, les péripéties éditoriales du Journal après la guerre. Lola évoque aussi ses lectures, sa jeunesse, son anorexie, ses révoltes, des réflexions sur l'antisémitisme, ainsi que des commentaires sur les exils successifs de ses grands-parents, sur leur détermination à s'assimiler en France. L'écriture est simple, parfois fruste, la structure est un peu brouillonne ; on sent la plume lâchée à l'état brut par l'écrivaine, sur un mode presque enfantin, reflétant sa sensibilité, sa sincérité.

Lola Lafon confirme que le Journal d'Anne Frank n'était pas le simple carnet de notes intime d'une jeune fille comme les autres. Anne Frank souhaitait être lue, elle voulait devenir écrivaine, elle l'était même déjà, avant d'avoir quinze ans ! Soucieuse de produire un témoignage vivant des souffrances infligées par l'occupation nazie, elle travaillait et retravaillait ses manuscrits, avec le projet d'en faire, la paix revenue, une véritable oeuvre romanesque. Son destin ne l'a pas permis.

Le titre du livre se rapporte à un épisode très personnel de l'enfance de Lola. Il n'a pas grand-chose à voir avec Anne Frank, si ce n'est l'idée de la présence spirituelle d'un être absent physiquement. A nous, il rappelle aussi qu'Hitler trouve des émules chez les idéologues extrémistes de tous bords. Lola évoque les événements au Cambodge dans les années soixante-dix, quand, sous prétexte de fonder une société idéale vraiment égalitaire, Pol Pot et les Khmers rouges assassinèrent méthodiquement ce qu'ils appelaient « un sous-peuple impossible à rééduquer », c'est-à-dire l'ensemble des cadres, intellectuels, croyants et étudiants du pays.

(*) : J'ai vraiment du mal à m'y faire !

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Texte fort et beau à la fois, où se mêlent l'histoire d'Anne Frank et l'histoire personnelle et familiale de l'auteure. Il est question d'exil, d'adolescence, de judéité laïque et de beaucoup d'autres choses. Lola Lafon nous apprend que, lors de la première édition, à la fin des années cinquante, les propos du journal d'Anne Frank, ont été atténués, de manière à les rendre supportables. Elle partage avec nous aussi ses doutes sur sa légitimité à écrire sur ce sujet et cette nécessité de l'écriture.

Un très beau texte à découvrir dans ces temps d'intolérance.
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Plaidoyer contre toutes les dictatures

Pour sa contribution à la collection «Ma nuit au musée» Lola Lafon a choisi de passer une nuit en août 2021 dans l'Annexe du musée Anne-Frank, à Amsterdam. Elle y a trouvé bien plus que les traces de la jeune fille.

Avec ce récit poignant, Lola Lafon donne une nouvelle direction à la collection imaginée par Alina Gurdiel. Délaissant les beaux-arts, elle va passer sa «nuit au musée» dans l'Annexe du musée Anne-Frank à Amsterdam. Et ce n'est pas sans une certaine appréhension qu'elle prend place dans ce lieu si chargé d'histoire, de symboles, de silences. On lui a accordé l'autorisation de passer la nuit dans ces murs à condition qu'elle respecte de strictes consignes. Et quand elle sort sa thermos de son sac, elle a déjà mauvaise conscience. Toutefois, le personnel de sécurité, renseigné par les caméras de surveillance, sera indulgent et sans doute un peu désorienté par tous ces va-et-vient dans la cage d'escalier. Car il faut d'abord s'habituer à l'espace, sentir physiquement ce qu'a pu être cette vie recluse dans ce réduit où un petit coin de fenêtre non opacifié permettait d'entrapercevoir le ciel.
Lola Lafon nous rappelle le quotidien de la famille Frank après qu'Otto, le père, ait choisi de se cacher avec sa famille plutôt que de tenter une fuite déjà très risquée. Avec le soutien de ses employés, qui se chargeaient de l'intendance, il espérait pouvoir ainsi assurer la survie des siens. Il sera le seul survivant à revenir des camps, alors même que ses filles le croyaient mort. Margot précédent de quelques jours sa cadette dans ce funeste destin. Ce livre nous permet du reste de mieux connaître l'aînée de la fratrie qui a sans doute aussi tenu un journal dont on a perdu toute trace. C'est après sa convocation devant les autorités en juillet 1942 que la décision a été prise de mettre le plan à exécution, car tout le monde savait le sort qui était réservé aux juifs raflés.
C'est du reste ce qui rapproche les Frank de la famille de Lola Lafon, «un récit troué de silences». Après avoir rappelé que leurs «arbres généalogiques ont été arrachés, brûlés, calcinés», elle explique qu'elles «sont en lambeaux, ces lignées hantées de trop de disparus, dont on ne sait même pas comment ils ont péri. Gazés, brûlés ou jetés, nus, dans un charnier, privés à jamais de sépulture. On ne pourra pas leur rendre hommage. On ne pourra pas clore ce chapitre.» Avant de conclure qu'il «y a ces pays où plus jamais on ne reviendra.»
Voici donc la Anne qui s'installe dans l'Annexe. Après s'être vêtue de plusieurs couches de vêtements, elle «choisit d'emporter ce cahier recouvert d'un tissage rouge et blanc à carreaux et orné d'un petit cadenas argenté, offert par son père» et qui sera soigneusement conservé avant d'être remis à Otto avec toutes les autres feuilles éparses qui avaient pu être rassemblées et qui permettront au survivant de proposer une première version du journal.
Après avoir retracé les péripéties des différentes éditions et traductions, la romancière nous rappelle qu'aucune «édition, dans aucun pays, ne fait mention du travail de réécriture d'Anne Frank elle-même. Le Journal est présenté comme l'oeuvre spontanée d'une adolescente.» En comparant les versions, on se rend cependant très vite compte du travail d'écriture et de la volonté littéraire affichée.
Mais il y a bien pire encore que cet oubli. Aux États-Unis, on travaille à une adaptation cinématographique «optimiste», on envisage même une comédie musicale, achevant ainsi la déconstruction de l'oeuvre.
La seconde partie du livre, la plus intime et la plus personnelle, se fait une fois que la visiteuse à franchi le seuil du réduit où Anne écrivait. Il est plus de deux heures du matin. Si l'émotion est forte pour Lola, c'est qu'elle peut communier avec Anne, car elle sait ce que c'est de vivre sous une dictature. Alors émergent les souvenirs pour l'autrice de la Petite Communiste qui ne souriait jamais. Alors reviennent en mémoire les mots échangés avec Ida Goldmann, sa grand-mère maternelle, la vie en famille dans le Bucarest de Ceausescu et la rencontre avec un Charles Chea, un fils de diplomate qui doit retourner au Cambodge après la prise de pouvoir des khmers rouges et avec lequel elle entretiendra une brève correspondance. C'est cette autre victime d'un système qui broie les individus qui va donner le titre à ce livre bouleversant. Et en faire, au-delà de ce poignant récit, un plaidoyer contre toutes les dictatures. Que Lola Lafon se devait d'écrire, car comme elle l'a avoué au magazine Transfuge «Je crois qu'on finit toujours par écrire ce qu'on ne veut pas écrire – et c'est peut-être même la seule raison pour laquelle on écrit.»

Lien : https://collectiondelivres.w..
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