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EAN : 9782253245209
216 pages
Le Livre de Poche (23/08/2023)
  Existe en édition audio
4.3/5   1915 notes
Résumé :
Le 18 août 2021, j'ai passé la nuit au Musée Anne Frank, dans l'Annexe. Anne Frank, que tout le monde connaît tellement qu'il n'en sait pas grand-chose. Comment l'appeler, son célèbre journal, que tous les écoliers ont lu et dont aucun adulte ne se souvient vraiment? Est-ce un témoignage, un testament, une œuvre?
Celle d'une jeune fille, qui n'aura pour tout voyage qu'un escalier à monter et à descendre, moins d'une quarantaine de mètres carrés à arpenter, se... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (415) Voir plus Ajouter une critique
4,3

sur 1915 notes
°°° Rentrée littéraire 2022 # 37 °°°

Dans le cadre de la collection Une nuit au musée, Lola Lafon a choisi de passer la sienne dans la Maison d'Anne Frank à Amsterdam, celle du 18 août 2021, de 21 heures à 7 heures du matin, expérience qu'elle relate dans ce livre. Mais pas que. La nuit dans l'Annexe - où la famille Frank a vécu clandestinement de l'été 1942 à l'été 1944 avant d'être déportée – se transforme en récit très intimiste d'une ampleur insoupçonnée et d'une délicatesse rare.

Anne Frank. Un sujet sur lequel on croit tout connaître et dont découvre des aspects insoupçonnés et saisissants. Les romans de Lola Lafon ont tous pour coeur une jeune fille dont la parole n'a pas été entendue, de Nadia Comaneci ( La Petite communiste qui ne souriait jamais ) à Cléo ( Chavirer ). Anne Frank est leur soeur, elle aussi est une adolescente qu'on n'entend pas alors que le monde entier l'a lu.

Son journal a été manipulé, censuré, mal lu. Trop de personnes ont tenté de se l'approprier, à commencer par les producteurs hollywoodiens lorsqu'ils ont monté à la fin des années 50 un film ( oscarisé ) et une pièce de théâtre ... en éludant toute allusion à la judéité, au nazisme pour en faire un récit jugée universel et positif. La personnalité d'Anne Frank a été complètement lissée, très loin de la jeune fille irrévérencieuse et acide qu'elle était.

Lola Lafon rappelle également qu'Anne Frank n'a pas été entendue car on considère à tort comme un journal ou un témoignage ses écrits, très réducteur. C'est ce que lui rappelle Laureen Nussbaum, dernière personne en vie à avoir connu les soeurs Frank, qui a été la première à étudier le « journal » comme une oeuvre littéraire à part entière. Anne Frank voulait devenir écrivaine. Aussi lorsqu'elle entend à une radio clandestine qu'un ministre demandait aux populations des Pays-Bas de conserver leurs écrits comme preuves. Avec la folie que peuvent avoir les adolescents, elle s'est dit qu'elle pouvait être publiée. Elle a alors totalement réécrit son journal afin de leur tourner vers l'avenir et un lectorat. Sa célébrité a évincé son talent.

Lola Lafon a sur tout de suite que c'est dans ce musée qu'elle choisirait de passer une nuit. Pas uniquement parce qu'elle s'intéresse aux adolescentes. Aussi pour se confronter à sa judéité. Je ne savais pas qu'elle avait des origines juives, elle a toujours été très discrète sur ce point. Sa mère est une enfant qui a été cachée pendant la guerre, son grand-père est un rescapé d'Auschwitz ( seul d'une nombreuse fratrie à avoir survécu ). L'autrice force ainsi les silences et se confronte à son histoire familiale avec une sensibilité touchante.

Et puis, il y a ce titre, une chanson qui lui fait ouvrir la porte de la chambre d'Anne Frank. Elle ne parvient à y pénétrer qu'au dernier moment, au terme d'une nuit blanche. Et dans ce lieu du vide qui crie l'absence, elle peut se confronter aux fantômes de son histoire. Lorsqu'elle révèle tout cela via le pouvoir évocateur de la chanson, on est totalement bouleversés par la confidence qu'elle nous offre.

Lola Lafon est une formidable passeuse qui redonne à Anne Frank sa vérité dans une superbe clarté. Elle sublime l'exercice de style de l'écrivain racontant sa nuit au musée en un vagabondage littéraire d'une grande richesse, couplé à un récit introspectif et intimiste qui s'ouvre à l'universel avec une subtilité vibrante et sobre. Magnifique.
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Après avoir apprécié « La petite communiste qui ne souriait jamais », qui retraçait le parcours de la gymnaste roumaine prodige Nadia Comaneci, j'étais curieux de voir ce que Lola Lafon pouvait encore nous apprendre sur Anne Frank et son célèbre « Journal ».

Dans le cadre de cette collection « Ma nuit au musée » des Editions Stock, Lola Lafon choisit donc de passer une nuit dans le musée de la maison d'Anne Frank à Amsterdam, dans cette fameuse annexe où Anne Frank vécu recluse avec sept autres personnes de juillet 1942 au 4 août 1944. Vingt-cinq mois de clandestinité et d'enfermement racontés dans son journal intime, avant d'être déportée et tuée à Bergen-Belsen…

« Quand tu écouteras cette chanson » retrace certes le parcours d'Anne Frank et de sa famille, mais s'intéresse également au destin de ce célèbre « Journal », adapté au théâtre, puis édulcoré par Hollywood, tout en soulignant l'ambition de cette jeune adolescente mondialement connue de devenir écrivaine. Anne Frank a en effet elle-même retravaillé son journal en espérant un jour être lue… mais qu'avons-nous fait de ses écrits ?

En passant une nuit en compagnie du fantôme d'Anne Frank, Lola Lafon réveille également ses propres fantômes, transformant cet ouvrage au cahier des charges pourtant assez claire en récit beaucoup plus intimiste que prévu. L'histoire d'Anne Frank fait en effet écho à l'histoire familiale de l'autrice, de sa propre judéité à l'exil familial en France au début des années 1930, en passant par les membres de sa famille décédés à Auschwitz… et par cette grand-mère maternelle, Ida Goldman, survivante de la Shoah, qui lui a un jour offert une médaille dorée frappée du portrait d'Anne Frank, accompagnée d'une consigne : « N'oublie jamais ! »

Cette nuit passée dans l'Annexe, confronte également l'autrice au silence et à l'absence d'Anne Frank, qui en réveille forcément d'autres, dont ce vide laissé par Charles Chea, un jeune adolescent d'origine cambodgienne qu'elle a connu à Bucarest, également privé d'avenir… mais par les Khmers rouges.

« Quand tu écouteras cette chanson » est finalement l'histoire de deux écrivaines, qui se font écho le temps d'une nuit passée dans un musée.
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« C'est elle. Une silhouette, à la fenêtre, surgie de l'ombre, une gamine. Elle se penche, la main posée sur la rambarde, attirée sans doute par un bruissement de rires […] Elle est vivante, elle trépigne, celle qu'on ne connaît que figée, sur des photos en noir et blanc. Elle a 12 ans. Il lui en reste quatre à vivre. […] Ce sont les uniques images animées d'Anne-Frank […] Sept secondes de vie, à peine une éclipse »
C'est sur une image fugitive de la jeune adolescente que débute cette magnifique introspection de Lola-Lafon une nuit d'août 2021 dans l'Annexe secrète où les membres de la famille Frank vécurent entassés deux ans durant, avant leur déportation au camp de Bergen-Belsen. A la lumière de ma liseuse, ses mots poignants empreints de pudeur et de sensibilité m'ont emportée d'emblée. Sa nuit dans l'annexe où Anne-Frank écrivit son célèbre journal, elle la doit aux éditions Stock et à leur sublime collection « ma nuit au musée ».
Le choix de ce lieu culte, lui, elle le doit à sa grand mère juive, qui lui a offert à ses dix ans une médaille dorée frappée du portrait d'Anne Franck en prononçant ces mots qui résonnent encore « N'oublie pas ».
Elle ne sait pas ce qui ressortira de cette immersion car « L'écriture est un chemin sans destination, L'écriture à la beauté inquiétante de ce qui ne mène nulle part ». Elle se défend pourtant d'écrire un roman sombre alors même que Anne « a été drôle, futile, adolescente en dépit du reste. Ce reste qu'elle n'a pas pu nous écrire ».
Son journal s'arrête brusquement un matin d'août 1944 lorsque des agents de la Gestapo envahissent l'annexe et mettent tout à sac, ses cahiers sont éparpillés sur le sol car ces sentinelles de la mort, ces pilleurs, n'y voient rien d'interessant. Ils seront rendus à Otto Frank, le père, seul survivant, des mois plus tard. Par un jeu de miroir l'autrice raconte l'héritage traumatique des descendants des déportés, la lourdeur de survivre à la place des disparus, son attachement pour les déracinés.
Figée devant la porte de la chambre d'Anne, incapable d'y pénétrer car trop de voix y font écho, c'est finalement le souvenir traumatisant d'un fantôme de son enfance qui l'aidera à pousser la porte…
L'aube commence à poindre. Il est temps de partir. Elle dépose le talkie-walkie qui la relie au gardien du musée, tourne le dos à la maison aux portraits en noirs et blanc et s'échappe dans le petit matin abandonnant l'annexe où résonne encore la voix des enfants disparus dans et de par L Histoire laissant le lecteur profondément ému.

Merci infiniment à #netgalley #NetGalleyFrance @netgalleyfrance pour cette lecture #quandtuecouterascettechanson
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Lola Lafon décide de vivre l'aventure pas banale de se laisser enfermer une nuit dans un musée.
Son choix va se révéler encore moins banal, car elle jette son dévolu sur un musée qui n'en est pas vraiment un, ici pas d'oeuvres à découvrir ni devant lesquelles s'émerveiller, rêver, adorer, détester (vivre finalement). Non, ce musée est celui dans lequel le visiteur est ému par l'absence, le vide, les pas qui résonnent, le sentiment d'oppression, d'étouffement, de pesanteur.
Ce musée, je l'ai visité il y a plusieurs années à Amsterdam, c'est l'Annexe dans laquelle Otto Frank a décidé de se cacher avec cinq autres personnes et ses deux filles, Margot et Anne. Un lieu très singulier, chargé d'une histoire mondialement connue, et dans lequel on ressent un grand malaise.
Bien sûr, l'histoire d'Anne Frank tout le monde la connait me direz-vous, alors quel intérêt a ce livre ?
Lola Lafon remet les pendules à l'heure sur bon nombre de sujets, en particulier la croyance selon laquelle Otto Frank a voulu censurer dans Le Journal les passages relatifs à la sexualité de sa fille. L'auteure a interviewé plusieurs personnes qui ont côtoyé Anne Frank de leur vivant et elle nous livre leurs témoignages émouvants, en particulier celui de Laureen Nussbaum.
J'ouvre ici une petite parenthèse, la professeure d'histoire-géographie de 3ème de ma fille a eu une démarche très intéressante, elle a demandé à ses élèves d'établir leur arbre généalogique en remontant à leurs arrière-grands-parents, en précisant leurs dates et lieux de naissance. Elle voulait par là leur faire toucher du doigt que l'histoire qu'ils vont étudier cette année, les deux guerres mondiales, ont directement impacté leur famille, des membres pas si éloignés, leurs arrière-grands-parents ou leurs grands-parents, qui les ont vécues dans leur chair, ont connu la guerre, ses bombardements, ses privations, les hommes tués, faits prisonniers, les camps de travail, de concentration... Et je me suis fait la réflexion que je ne m'étais jamais posé la question de comment l'Histoire avait pu irrémédiablement impacter la vie de mes amis juifs, et que c'était un sujet que je n'avais jamais abordé avec eux. Et pourtant, cette Histoire, elle est là, tellement proche, même si peu à peu tous ses témoins directs sont en train de s'éteindre.
Ce récit m'en a rappelé un autre, celui d'Anne Berest avec sa magnifique Carte Postale. Ces deux autrices, sensiblement du même âge, s'interrogent sur leur judéité. Qu'est-ce que cela signifie pour elles d'être juives à notre époque, comment l'histoire de leur propre famille résonne en elles ? Quels stigmates en portent-elles ? Cela a-t-il influencé les femmes qu'elles sont devenues, la façon dont elles se sont construites ?
Dans leurs deux récits très pudiques, j'ai retrouvé, pour ces deux femmes, la difficulté de parler de la Shoah en famille, la douleur est encore trop pesante, les fantômes trop proches pour s'exprimer librement. Lola Lafon s'interroge très justement sur une question essentielle, comment parler de ce passé aux adolescents actuels, aux générations futures, que dire et comment ?
J'ai été très touchée par la sensibilité et la délicatesse de Lola Lafon, qui, tout en arpentant les pièces de l'Annexe, mêle avec beaucoup de naturel et de précision ses pensées concernant Anne Frank, les informations passionnantes sur leur vie quotidienne de reclus qu'elle a collectées et des pans de sa propre vie. Tout cela est d'une étonnante fluidité, et on passe d'un sujet à l'autre avec facilité, des temps d'intense émotion succèdent à des temps plus calmes, dans un rythme subtilement dosé. En refermant ce livre, j'ai eu l'impression d'une conversation avec une amie qui se serait livrée avec une profonde sincérité, m'aurait fait part de ses réflexions les plus intimes sur ce qui la définit, l'anime, la révolte, l'obsède.
Un superbe hommage très émouvant à Anne Frank rendu tout en finesse par Lola Lafon, ainsi qu'à ses propres aïeux.
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Je n'avais aucune envie de lire ce livre de Lola Lafon ! En premier lieu, tous ces romans sur la Shoah éveillent en moi une suspicion, je ne parle pas des livres d'histoires, ni des témoignages, ni des documents, ni des récits-enquêtes, mais plutôt de ces écrits romanesques sur la Shoah ! Il me faut néanmoins reconnaître une qualité à ces récits, ils enseignent, ils relèvent d'un défi majeur, celui de la lutte contre l'oubli bien qu'ils soient en dessous de la réalité mais les mots peuvent-ils être à la hauteur de la réalité ? En deuxième point, j'avais déjà lu de Lola Lafon « Mercy, Mary, Patty ». L'auteure s'emparait d'un fait divers des années 70 : l'enlèvement de Patricia Hearst, petite-fille du magnat de la presse, William Randolph Hearst, récit qui ne m'avait absolument pas convaincue. C'est en lisant le retour de Dominique @larmordbm et sur ses encouragements que je me suis lancée dans cette lecture habitée.

Je me suis enfoncée dans la nuit de l'Annexe avec Lola avec autant d'appréhension qu'elle. J'ignorais sa judéité comme j'ignorais que sa mère fut une enfant cachée, nous avons donc pu fonctionner en miroir. Lola Lafon est originaire de la Roumanie de Ceausescu. Elle porte en elle une révolte, un désir de vivre sans aucune limitation, qui se traduit par ses aspirations libertaires : ce qui se conçoit aisément au regard de l'histoire familiale.

Je me posais la question « qu'allait-elle chercher dans cette annexe sacralisée ? ». Dans cette intimité littéraire, encouragée par son projet de passer la nuit du 18 août 2021 dans l'Annexe, j'y ai retrouvé les perpétuelles questions existentielles qui peuvent tarauder les descendants des rescapés du génocide. Lorsque Ronald Léopold, directeur du musée, lui demande ce que représente la jeune fille pour elle, elle adopte un ton détaché qui masque son obsession irraisonnée pour la jeune fille. A la vérité, elle ne comprend même pas son désir ; pas plus que je ne saurais expliquer cette attirance, ce besoin impérieux qui me pousse à lire régulièrement des livres d'histoire, des témoignages qui ont trait à la Shoah. Ce sont les mêmes symptômes qui trouvent leur origine dans les mêmes ténèbres, c'est une relation angoissée qui relie le passé au présent.

Lola ouvre son coeur et se confie, elle parle d'Anne Frank, d'Otto Frank, elle n'oublie pas Margot - Margot qui est la première à recevoir la funeste convocation puisqu'elle vient d'avoir seize ans. Je découvre chez l'auteure une intense sensibilité, une grande profondeur de réflexion, un réel talent d'auteure, elle pèse ses mots, ils sont justes, émeuvent, chaque page tournée suscite un recueillement, une méditation approfondie sur la nature et le sens de ce qu'il y a de plus intime dans la vie de chacun d'entre nous. Et je capte chez Lola, une personne authentique, altruiste. Ses questions portent sur l'identité juive, est-elle façonnée par l'Histoire ou ontologique, déterminée par les relations aux autres ou les relations aux parents, aux enfants ? Dans cette traversée de la nuit, hantée, connectée à la Shoah, c'est un véritable dialogue qui s'installe entre La famille Frank, l'auteure et la lectrice que je suis.

Elle écrit des mots sur l'absence qui peuvent résonner en chacun de nous : « Tout ici se veut plus vrai que vrai, or tout est faux sauf l'absence, Elle accable, c'est un bourdonnement obsédant, strident. »

Elle sollicite notre sensibilité, notre réflexion sur le mot « essentiel » en donnant du sens à un petit objet familier qui prend symboliquement toute son importance :

« Je m'approche du papier peint encadré et au coeur même du vide, je ne vois que quelques chiffres et de fines lignes, bien droites. Au coeur même du vide, un père inscrit, tous les mois, au crayon à papier, des preuves de vie. Otto Frank note qu'ici, en deux ans, Margot a pris un centimètre et Anne, treize. »

Lola écrit sur Ida, sa grand-mère, de très jolies lignes. Ida qui n'a pas eu le temps d'apprendre à lire et à écrire en français mais qui ne répondait plus au téléphone dès qu'il y avait Apostrophes à la télévision, Ida qui lui a offert une médaille dorée frappée du portrait d'Anne Frank en lui intimant « N'oublie pas ».

Avant d'être une icône, Anne Frank fut surtout une adolescente irrévérencieuse, rebelle, ne supportant pas d'avoir tort et qui voulait être absolument journaliste ou écrivaine et qui espérait être un jour éditée. C'est avec colère que j'ai appris la trahison des éditeurs, des metteurs en scène de cinéma comme du théâtre, chacun retouchant les écrits d'Anne Frank selon « le politiquement correct du pays ou le désir d'avoir la main sur le destin d'une jeune fille », c'est une part de son histoire qui lui a été confisquée. C'est odieux !

Lola Lafon a écrit un récit contre l'oubli, elle y a mis tout ce qu'elle voulait oublier, ignorer, comme sa judéité, la Shoah. Ce livre, elle le portait en elle depuis longtemps, parvenu à maturité, le résultat est puissant. Je le rapprocherais d'une pierre tombale, « une matzevah » d'autant plus qu'au moment où Lola trouve le courage de pénétrer dans la chambre d'Anne Frank, elle n'est pas seule, elle est accompagnée du souvenir d'un ami d'enfance, un jeune homme rencontré à Bucarest dont l'ombre vient renforcer la symbolique.

Après une telle expérience, une telle réconciliation avec elle-même, Lola se doit de reconstruire son identité en prenant en compte son histoire, une histoire qui se veut parsemée de silences, de paragraphes absents mais qui est son héritage comme l'étoile que nos mères ont portée. Lola Lafon nous offre avec ce livre une très belle introspection à l'écriture maîtrisée que je suis ravie d'avoir lu.

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critiques presse (13)
Telerama
28 août 2023
Un récit parfaitement maîtrisé.
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LeJournaldeQuebec
09 janvier 2023
On a à peu près tous lu ou entendu parler du Journal d’Anne Frank, qui s’est écoulé à plus de 30 millions d’exemplaires à travers le monde. En revanche, on en sait très peu sur la jeune fille qui l’a écrit. Lola Lafon va donc la raconter, nous en dire plus sur elle. Et la façon dont elle le fait est tout simplement magnifique.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
LaPresse
28 novembre 2022
Une ode poignante aux absents.
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Elle
30 septembre 2022
Lola Lafon offre un splendide récit intime où l’on comprend l’importance des silences et la difficulté de trouver sa place
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Bibliobs
13 septembre 2022
Dans « Quand tu écouteras cette chanson », l’auteure de « Chavirer » raconte sa nuit dans la maison, devenue musée, d’Anne Frank, à Amsterdam.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Culturebox
13 septembre 2022
L'autrice a passé une nuit dans le musée de la maison d'Anne Frank à Amsterdam où l'adolescente allemande a vécu recluse pour échapper aux nazis. Elle raconte cette expérience très forte mais aussi les résonances avec l'histoire de sa propre famille.
Lire la critique sur le site : Culturebox
LePoint
09 septembre 2022
Après s’être enfermée une nuit dans l’Annexe d’Amsterdam où l’autrice du Journal vécut cachée deux ans, Lola Lafon lui rend un émouvant hommage.
Lire la critique sur le site : LePoint
Elle
06 septembre 2022
Au cours d’une nuit passée au musée Anne-Frank, Lola Lafon fait résonner la voix de l’adolescente fauchée par l’histoire avec les fantômes de son propre passé. Bouleversant.
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LesInrocks
31 août 2022
L’autrice de “Chavirer” a passé une nuit dans le musée Anne Frank à Amsterdam. Elle s’y est confrontée à l’histoire de sa famille juive, tout en restituant à l’adolescente sa vraie place d’écrivaine.
Lire la critique sur le site : LesInrocks
LesEchos
30 août 2022
Transcendée par sa nuit passée au musée Anne Frank à Amsterdam, Lola Lafon signe un récit introspectif d'une beauté sidérante, hommage à la jeune martyre juive et à tous les « absents », victimes de la barbarie des hommes. Un des événements de cette rentrée littéraire.
Lire la critique sur le site : LesEchos
LeMonde
26 août 2022
L’écrivaine passe une nuit dans le plus vide de tous les musées, pour se confronter à son histoire familiale et quelques autres fantômes.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LeSoir
22 août 2022
« Quand tu écouteras cette chanson » est un dialogue entre deux écrivaines, même si l’une d’elles est morte en 1945.
Lire la critique sur le site : LeSoir
Telerama
19 août 2022
Ce livre est une commande, extérieure et intérieure. Une expérience personnelle, extrême, ambivalente, relatée avec honnêteté. Un acte nécessaire, sous contrainte consentie.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (499) Voir plus Ajouter une citation
Les vraies images, sur le mur, étaient jaunies, pour certaines déchirées. Elles se superposaient, s'annulaient, au rythme des désamours de la jeune fille. Une mosaique pop qui s'en fichait, du bon goût : des chimpanzés réunis autour d'une table côtoyaient des fillettes trop blondes, la Pietà de Michel-Ange effaçait la silhouette d'une patineuse collaborationniste, Michel-Ange et Hollywood s'inclinaient devant une princesse rieuse âgée de douze ans à peine, Élizabeth d'York.
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(Les premières pages du livre)
C’est elle. Une silhouette, à la fenêtre, surgie de l’ombre, une gamine. Elle se penche, la main posée sur la rambarde, attirée sans doute par un bruissement de rires, dans la rue : celui d’un élégant cortège de robes satinées et de costumes gris.
Elle se retourne, semble héler quelqu’un : c’est un mariage, viens, viens voir. Elle insiste, d’un geste de la main, impatiente, elle appelle encore, qu’on la rejoigne, vite. C’est si beau, ce chatoiement d’étoffes, ce lustre des chignons. C’est elle, au deuxième étage d’un immeuble banal, une petite silhouette qui rentre dans l’histoire, au hasard d’un mouvement de caméra.
Elle est vivante, elle trépigne, celle qu’on ne connaît que figée, sur des photos en noir et blanc. Elle a douze ans. Il lui en reste quatre à vivre.
Ce sont les uniques images animées d’Anne Frank. Des images muettes, celles d’un court film amateur tourné en 1941, sans doute par des proches des mariés. Sept secondes de vie, à peine une éclipse.

Comme elle est aimée, cette jeune fille juive qui n’est plus. La seule jeune fille juive à être si follement aimée. Anne Frank, la sœur imaginaire de millions d’enfants qui, si elle avait survécu, aurait l’âge d’une grand-mère ; Anne Frank l’éternelle adolescente, qui aujourd’hui pourrait être ma fille, a-t-on pour toujours l’âge auquel on cesse de vivre.
Anne Frank, que le monde connaît tant qu’il n’en sait pas grand-chose. Une image, celle d’une pâle jeune fille aux cheveux sagement retenus d’une barrette, assise à son petit secrétaire, un stylo à la main. Un symbole, mais de quoi ? De l’adolescence ? De la Shoah ? De l’écriture ?
Comment l’appeler, son célèbre journal, que tous les écoliers ont lu et dont aucun adulte ne se souvient vraiment ? Est-ce un témoignage, un testament, une œuvre ? Celle d’une adolescente enfermée pour ne pas mourir, dont les mots ne tiennent pas en place.
Celle d’une jeune fille, qui n’aura pour tout voyage qu’un escalier à monter et à descendre, moins d’une quarantaine de mètres carrés à arpenter, sept cent soixante jours durant.

Anne Frank à laquelle sont dédiés des chansons, des poèmes et des romans, des requiems et des symphonies. Son visage est reproduit sur des timbres, des tasses et des posters, son portrait est tagué sur des murs et gravé sur des médailles. Son nom orne la façade de centaines d’écoles et de bibliothèques, il a été attribué à un astéroïde en 1995. Ses écrits ont été ajoutés au registre de la « Mémoire du monde » de l’Unesco en 2009, aux côtés de la Magna Carta.
Anne Frank qui, à l’été 2021, fait la une des actualités néerlandaises : à Amsterdam, des manifestants anti-pass sanitaire brandissent son portrait, ils scandent : « Liberté, liberté. »
Anne Frank vénérée et piétinée.

Le 18 août 2021, j’ai passé la nuit au Musée Anne Frank, dans l’Annexe.
Je suis venue en éprouver l’espace car on ne peut éprouver le temps. On ne peut pas se représenter la lourdeur des heures, l’épaisseur des semaines. Comment imaginer vingt-cinq mois de vie cachés à huit dans ces pièces exiguës ?
Alors, toute la nuit, j’irai d’une pièce à l’autre. J’irai de la chambre de ses parents à la salle de bains, du grenier à la petite salle commune, je compterai les pas dont Anne Frank disposait, si peu de pas.

Comment l’appeler ? Je dis Anne, mais cette fausse intimité me met mal à l’aise. Je ne peux pas dire Anne, quelque chose m’en empêche, qui, au cours de ma nuit, se matérialisera par l’impossibilité d’aller dans sa chambre. Alors je dis Anne Frank, comme on fait l’appel, comme on évoque l’ancienne élève brillante d’un collège fantomatique. Deux syllabes.
La nuit, je me la figurais semblable à un recueillement, à un silence. J’imaginais la nuit propice à accueillir l’absence d’Anne Frank, je me préparais à être au diapason du vide, à le recevoir.
Je me suis trompée. La nuit s’est habitée, éclairée de reflets ; au cœur de l’Annexe, une urgence se tenait tapie encore, à retrouver.
En ce mois de mai 2021, Amsterdam, comme Paris, est encore partiellement confinée. L’entretien avec le directeur du Musée, Ronald Leopold, aura lieu par écrans interposés. Cette conversation est déterminante ; lui seul peut m’accorder l’autorisation de passer une nuit dans l’Annexe. Nous discutons de choses et d’autres, une façon de faire connaissance. S’il se réjouit de l’écho que rencontre encore l’histoire d’Anne Frank, le directeur regrette que cette adoration pour la jeune fille fasse de l’ombre à son œuvre, celle d’une autrice prodige.
Certains viennent chaque année, depuis des décennies, se recueillir dans sa chambre. Ils laissent des lettres, des peluches, des chapelets, des bougies. Il n’est pas rare qu’une visiteuse du musée refuse de quitter l’Annexe, persuadée d’être la réincarnation de la jeune fille.
S’identifier à ce point laisse le directeur perplexe. L’appeler par son prénom, comme le font certains de ses collègues, l’embarrasse également.
Bien sûr, travailler journellement au Musée crée une proximité avec elle, mais Anne Frank n’est ni une parente, ni une amie.
À ce propos, il n’a nullement l’intention de me soumettre à un questionnaire, mais Leopold aimerait savoir : que représente la jeune fille pour moi ?
Je fais comme si mon projet était mû par quelque chose de rationnel. J’adopte un ton détaché, je parle de mon travail, des jeunes filles qui sont au cœur de mes romans : toutes se confrontent à l’espace qu’on leur autorise. Toutes, aussi, ont vu leurs propos réinterprétés, réécrits par des adultes.
J’improvise.
Je n’ose lui dire la vérité, craignant que Ronald Leopold me prenne pour une illuminée, obsédée par Anne Frank. Je ne peux lui expliquer que ce projet d’écriture est un désir que je ne comprends pas moi-même, il me poursuit depuis qu’il s’est matérialisé, il y a quelques semaines.
Une nuit d’avril, deux syllabes, que je prononce, peut-être, dans mon sommeil, surgissent de l’enfance. Anne. Frank.
Je n’ai pas pensé à elle les jours précédents, je n’ai rien lu à son sujet. Je me souviens à peine du Journal. Son nom s’impose à la nuit. Anne Frank est l’objet de mon éveil, le sujet que rien ne dissipe les jours suivants. Elle résonne avec quelque chose dont je n’ai pas encore conscience.
Je ne peux pas avouer au directeur que je ne sais pas ce qu’elle est pour moi, mais que je dois écrire ce récit.
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Je ne peux m'empêcher de penser que, peut-être, Anne Frank aurait souri de lire qu'un négationniste affirma, comme preuve ultime de falsification, qu'aucune jeune fille de quinze ans n'aurait été capable de penser et encore moins d'écrire ce qu'il avait lu dans le Journal : c'était bien trop intelligent et irrévérencieux, pour une gamine.
L’irrévérence des jeunes filles devrait être l'objet de toutes nos attentions, elle devrait être archivée et transmise. Il faudrait les chérir, ces trop courtes années durant lesquelles les jeunes filles ignorent la prudence, le respect et le remords. Elles mentent avec métier et sans état d'âme, mangent avec les doigts, grimpent sur des toits et, bras dessus bras dessous, elles prennent toute la place sur les trottoirs. Leur seule peur est de nous ressembler. De devenir ces êtres à bout de souffle qui se plaignent qu'elles « ne manquent pas d'air ».
Les parents aiment à raconter les mots d'enfants de leurs tout-petits ; ils s'émeuvent de leur fantaisie, de leur drôlerie. L'adolescence à venir, elle, est redoutée à la façon d'une maladie, d'une comète menaçant le paysage, dévastatrice. Comme nous la craignons, l'extralucidité adolescente, ce regard de « voyant » qui met à nu nos compromis.
Relire son journal intime, c'est se confronter à l'adolescente qu'on a été. Lui ferait-on honte, ou de la peine ? A-t-on baissé les bras ? Est-on devenue sage, trop sage, par manque de courage ? Il faudrait relire régulièrement son journal pour rester à la hauteur de son adolescence. (p.188-190)
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La mémoire est un lieu dans lequel se succèdent des portes à entrouvrir ou à ignorer ; la mémoire, écrit Louise Bourgeois, "ne vaut rien si on le sollicite, il faut attendre qu'elle nous assaille".
Avant de rentrer dans la nuit de ce mois d'août 2021, je ne sais rien, sauf ceci : les fantômes, au contraire du mythe qui voudrait qu'ils nous hantent sans pitié, se tiennent sages. Ils nous espèrent, ils ont tout leur temps, celui que nous n'avons pas reçu.
Ils attendent qu'on accepte d'être déroutés. Que nos paupières se dessillent et qu'on devine, au travers du temps, leurs ombres patientes. Alors, on pourra faire place à ceux qu'ont dit avoir "perdus". On les retrouve.
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Anne n'œuvrait pas pour la paix. Elle gagnait du temps sur la mort en écrivant sa vie. N'oubliez pas ceci, insiste Laureen Nussbaum : Anne Frank désirait être lue, pas vénérée. Hannah Arendt qualifiait l'adoration dont elle est l'objet de « sentimentalisme bon marché aux dépens d'une immense catastrophe »... Elle n'est pas une sainte. Pas un symbole. Son Journal est l'oeuvre d'une jeune fille victime d'un génocide, perpétré dans l'indifférence absolue de tous ceux qui savaient. N'utilisez pas le mot espoir, s'il vous plaît.
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Vidéo de Lola Lafon
En juillet 2021, Lola Lafon passe une nuit dans l'Annexe du Musée Anne Frank, là même où la jeune fille vécut dans la clandestinité de juillet 1942 à août 1944, enfermée avec sept autres personnes et où elle écrira son Journal. Confrontée aux fantômes de sa propre famille victime de la Shoah, Lola Lafon livre dans Quand tu écouteras cette chanson le récit subtil et profond de cette expérience d'heures solitaires passées dans le silence et le vide de l'Annexe. Elle y questionne non seulement sa propre histoire et son rapport à la judéité, mais elle y retrace surtout le destin du Journal et la façon dont l'oeuvre de la jeune Anne Frank a été détournée, spoliée, censurée – réduite à tort à un simple témoignage. Dans la continuité d'autres textes de l'autrice, La petite communiste qui ne souriait jamais en 2014, ou Chavirer en 2020, elle décortique avec justesse les mécanismes d'usurpation de voix d'adolescentes qui ont été confisquées, niées dans leur singularité et leur talent.
Lola Lafon est écrivaine et musicienne, issue d'une famille aux origines franco-russo-polonaises. Elle est l'autrice de plusieurs romans, dont Une fièvre impossible à négocier et de ça je me console (Flammarion, 2003 et 2007), La petite communiste qui ne souriait jamais et Mercy, Mary, Patty (Actes Sud, 2014 et 2017) ou encore Chavirer (Actes Sud, prix France Culture/Télérama 2020). Elle a reçu le prix Décembre et le prix des Inrockuptibles 2022 pour Quand tu écouteras cette chanson (Stock, 2022).
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Quand tu écouteras cette chanson (Lola Lafon)

Quand Lola Lafon passe-t-elle une nuit dans l’Annexe du Musée Anne Frank à Amsterdam ?

Le 18 août 2021
Le 28 août 2021

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