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Critique de Kirzy


°°° Rentrée littéraire 2022 # 37 °°°

Dans le cadre de la collection Une nuit au musée, Lola Lafon a choisi de passer la sienne dans la Maison d'Anne Frank à Amsterdam, celle du 18 août 2021, de 21 heures à 7 heures du matin, expérience qu'elle relate dans ce livre. Mais pas que. La nuit dans l'Annexe - où la famille Frank a vécu clandestinement de l'été 1942 à l'été 1944 avant d'être déportée – se transforme en récit très intimiste d'une ampleur insoupçonnée et d'une délicatesse rare.

Anne Frank. Un sujet sur lequel on croit tout connaître et dont découvre des aspects insoupçonnés et saisissants. Les romans de Lola Lafon ont tous pour coeur une jeune fille dont la parole n'a pas été entendue, de Nadia Comaneci ( La Petite communiste qui ne souriait jamais ) à Cléo ( Chavirer ). Anne Frank est leur soeur, elle aussi est une adolescente qu'on n'entend pas alors que le monde entier l'a lu.

Son journal a été manipulé, censuré, mal lu. Trop de personnes ont tenté de se l'approprier, à commencer par les producteurs hollywoodiens lorsqu'ils ont monté à la fin des années 50 un film ( oscarisé ) et une pièce de théâtre ... en éludant toute allusion à la judéité, au nazisme pour en faire un récit jugée universel et positif. La personnalité d'Anne Frank a été complètement lissée, très loin de la jeune fille irrévérencieuse et acide qu'elle était.

Lola Lafon rappelle également qu'Anne Frank n'a pas été entendue car on considère à tort comme un journal ou un témoignage ses écrits, très réducteur. C'est ce que lui rappelle Laureen Nussbaum, dernière personne en vie à avoir connu les soeurs Frank, qui a été la première à étudier le « journal » comme une oeuvre littéraire à part entière. Anne Frank voulait devenir écrivaine. Aussi lorsqu'elle entend à une radio clandestine qu'un ministre demandait aux populations des Pays-Bas de conserver leurs écrits comme preuves. Avec la folie que peuvent avoir les adolescents, elle s'est dit qu'elle pouvait être publiée. Elle a alors totalement réécrit son journal afin de leur tourner vers l'avenir et un lectorat. Sa célébrité a évincé son talent.

Lola Lafon a sur tout de suite que c'est dans ce musée qu'elle choisirait de passer une nuit. Pas uniquement parce qu'elle s'intéresse aux adolescentes. Aussi pour se confronter à sa judéité. Je ne savais pas qu'elle avait des origines juives, elle a toujours été très discrète sur ce point. Sa mère est une enfant qui a été cachée pendant la guerre, son grand-père est un rescapé d'Auschwitz ( seul d'une nombreuse fratrie à avoir survécu ). L'autrice force ainsi les silences et se confronte à son histoire familiale avec une sensibilité touchante.

Et puis, il y a ce titre, une chanson qui lui fait ouvrir la porte de la chambre d'Anne Frank. Elle ne parvient à y pénétrer qu'au dernier moment, au terme d'une nuit blanche. Et dans ce lieu du vide qui crie l'absence, elle peut se confronter aux fantômes de son histoire. Lorsqu'elle révèle tout cela via le pouvoir évocateur de la chanson, on est totalement bouleversés par la confidence qu'elle nous offre.

Lola Lafon est une formidable passeuse qui redonne à Anne Frank sa vérité dans une superbe clarté. Elle sublime l'exercice de style de l'écrivain racontant sa nuit au musée en un vagabondage littéraire d'une grande richesse, couplé à un récit introspectif et intimiste qui s'ouvre à l'universel avec une subtilité vibrante et sobre. Magnifique.
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