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Le Livre de Poche [corriger]

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The Expanse, tome 6 : Les cendres de Babylone

En neuf romans et un recueil de nouvelles, sans doute la plus passionnante série de science-fiction spatiale et politique de ces dernières années.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/05/11/note-de-lecture-the-expanse-james-s-a-corey/



Tout démarre (en tout cas, on le croira longtemps) à bord du Scopuli, un vaisseau spatial d’apparence anodine en transit entre les astéroïdes Cérès et Éros. D’apparence anodine seulement, car il est en réalité en mission pour l’Alliance des Planètes Extérieures, organisation semi-clandestine qui conteste activement la domination politique et économique de la Terre et de Mars sur le reste du système solaire, myriade d’astéroïdes habités, de lunes jupitériennes ou saturniennes et de stations spatiales qui constituent la frontière active de l’économie globale sous le nom générique de « la Ceinture ». Lorsque le Scopuli est mystérieusement attaqué par ce qui semble être une bande pirate lourdement armée et bien déterminée, une certaine Julie Mao semble être la seule survivante à bord.



Le Canterbury, transportant de la glace entre les anneaux de Saturne et Cérès (l’eau est une question cruciale pour la vie sur ces « planètes extérieures » – qui n’en sont pas vraiment -, bien entendu), capte alors un signal de détresse venant du Scopuli. Arrivé sur place, l’équipage de la navette dépêchée par le lourd vaisseau de transport réalise que le signal en question était un leurre. Alors qu’un étrange vaisseau furtif surgit de nulle part et détruit le Canterbury, Holden, le second du bord, embarqué à bord de la navette, décide de transmettre en clair à l’ensemble du système solaire l’attaque qui vient d’avoir lieu ainsi que la présence de technologies martiennes au sein du système de leurre utilisé – ce qui crée un tollé dans les opinions publiques et un état de guerre, de facto, entre Mars et les différentes entités de la Ceinture. Consignés à bord du Donnager, vaisseau de ligne martien arrivé le premier sur les lieux du crime, Holden et ses compagnons d’infortune assistent impuissants à la destruction de celui-ci par de nouveaux vaisseaux furtifs inconnus, fuient de justesse à bord d’une corvette martienne qu’ils vont bientôt rebaptiser Rossinante, et informent le système solaire que l’analyse d’une puce électronique des assaillants récupérée à bord par miracle indique cette fois une fabrication… terrienne. Désormais, la Terre, Mars et la Ceinture sont tous au bord de la guerre totale.



Parallèlement à ces événements déclencheurs (et de quelle ampleur !), Josephus Miller, enquêteur au sein de la société privée Hélice Étoile, qui détient le contrat de sécurité sur Cérès, est embauché en marge de ses activités officielles pour retrouver la trace de Julie Mao, qui se révèle être l’une des filles de Jules-Pierre Mao, l’un des plus riches multi-milliardaires du système solaire, aux commandes d’un conglomérat hautement diversifié. Bientôt, alors que le Rossinante cherche à échapper aux recherches de la Terre comme de Mars, l’enquête s’étend et révèle qu’une certaine protomolécule secrète, possiblement extra-solaire, n’est peut-être pas étrangère aux cataclysmiques événements en cours…



Publié en neuf volumes (plus un dixième contenant plusieurs nouvelles dans le même univers) entre 2011 et 2022, « The Expanse » est certainement l’une des plus passionnantes séries littéraires de science-fiction – et au-delà – créées ces dernières années, justement récompensée par le prestigieux prix Hugo en 2020.



Issue à la base d’un univers de jeu (en ligne et sur table) développé en extrême détail par Ty Franck, que son ami l’auteur Daniel Abraham rejoint sous le pseudonyme commun de James S.A. Corey pour en extraire les romans, la série se distingue par la profondeur et la logique de son background, par son sens rebondissant de l’aventure et des développements de personnages, par la richesse de la véritable cosmopolitique du système solaire qu’elle imagine, par le réalisme de ses anticipations technologiques (même s’il a bien fallu, d’emblée, inventer la propulsion Epstein – avec ses accélérations inhumaines et donc ses adjuvants chimiques indispensables – pour que les distances à l’intérieur du système solaire se comptent en mois plutôt qu’en années), mais peut-être surtout par la puissance du réalisme politique (et d’ailleurs de diverses formes de Realpolitik) qui y est déployé.



Dans leur excellent article de novembre 2018 pour Science Fiction Studies (« Solar Accumulation : The Worlds-Systems Theory of The Expanse »), Brent Ryan Bellamy et Sean O’Brien, avec une approche post-marxiste particulièrement adaptée au terrain et à l’enjeu, montrent élégamment comment « The Expanse » met en scène la mainmise continuée du capital (largement incarné par l’entreprise Protogen de Jules-Pierre Mao, mais pas uniquement par elle) sur les « sauts » de l’accumulation et sur le transfert hégémonique (pour reprendre ici notamment le vocabulaire précis de Michael Hardt et Toni Negri dans leur « L’Empire » de 2000) : dans ce modèle à trois mondes pour le 23e siècle, la rareté des ressources et l’épuisement écologique hantent la Terre, la colonie martienne a pris son autonomie (sous des formes qui sont à la fois un bel hommage et un rude désaveu à la « Trilogie martienne » de Kim Stanley Robinson, se rapprochant davantage in fine du « 2312 » du même auteur) et les minerais de la Ceinture préservent l’illusion de la poursuite d’un système d’accumulation « à l’infini » (qui jaillira encore renforcé du formidable rebondissement introduit dans le tome 3, « La Porte d’Abaddon », par l’une des actions encore moins prévisibles de la « proto-molécule » – si l’on persiste ici à essayer de ne pas trop dévoiler les éléments à moyen et long terme de l’intrigue). Derrière Fernand Braudel et Karl Polanyi, les auteurs de l’article lisent ici l’influence souterraine de Giovanni Arrighi et de son « Long vingtième siècle » de 1994. On pourrait ajouter que l’imagination déployée dans la série illumine son inconscient politique, au sens de Fredric Jameson, et que le mélange détonant de réchauffement climatique, d’épuisement des ressources et d’astro-capitalisme résonne étrangement tant avec l’Andreas Malm de « L’anthropocène contre l’histoire » qu’avec les Irénée Régnauld et Arnaud Saint-Martin de « Une histoire de la conquête spatiale ». Une fois de plus la terrible première phrase du « En panne sèche » d’Andreas Eschbach s’impose : « Même la dernière goutte d’essence permet encore d’accélérer ».



La série littéraire a donné lieu entre 2015 et 2022 à une série télévisée particulièrement réussie sous l’égide de Mark Fergus et Hawk Ostby. Le casting y colle magnifiquement aux personnages imaginés par James S.A. Corey, que ce soit du côté de l’équipage du Rossinante (Steven Strait en James Holden, Dominique Tipper en Naomi Nagata, Cas Anvar en Alex Kamal et Wes Chatham en Amos Burton), de l’enquêteur Josephus Miller (Thomas Jane) et de son fameux chapeau, de la marine martienne Roberta Draper (Frankie Adams), de chefs ceinturiens tels que Fred Johnson (Chad Coleman) ou Anderson Dawes (Jared Harris) – l’une des seules vraies libertés que s’est permise l’écran, en assemblant plusieurs personnages littéraires pour sa version de Camina Drummer, jouée par Cara Gee, est sublime – ou encore de la haute fonctionnaire terrienne Chrisjen Avasarala (Shohreh Aghdashloo). Le scénario est particulièrement fidèle aux romans d’origine, et la série a réussi à éviter le « piège de la précipitation » à la Game of Thrones au moment de conclure son aventure télévisuelle, préférant s’arrêter entre deux tomes à un moment où nombre d’arcs narratifs avaient atteint leur terme et où d’autres commençaient tout juste à s’ouvrir, pour, n’est-ce pas, ne pas insulter l’avenir.



J’avais insisté dans l’épisode 9 (à regarder ici) de Planète B, l’émission science-fiction et politique conçue pour Blast par Antoine Daer, notre librairie Charybde et les éditions La Volte, sur l’importance donnée par la série littéraire à une forme actualisée de lutte des classes du 23e siècle, à l’échelle du système solaire : la série télévisée amplifie encore cette thématique, dès sa présentation d’ensemble, en signalant d’emblée le contraste entre les élites terriennes et leurs masses inscrites au revenu minimum d’existence, les Martiens largement militarisés et les salariés de la Ceinture, précaires et fortement exploités par les propriétaires des moyens de production. Par bien des aspects, l’article d’Emma Johanna Puranen, « The Ethics of Extractivism in Science Fiction » (Strange Horizons, 2022), souligne le même point. Il en est de même du « Work, Horror and The Expanse » de Jamie Woodcock et du somptueux (on en reparlera ci-dessous à propos de langage) « We should have brought a poetry grad student: Higher education and organised labour in The Expanse » de Heather Clitheroe et Mark A. McCutcheon, deux articles à lire dans « The Expanse Expanded: A Special Issue of Red Futures », dont l’ensemble des onze contributions (à lire ici) méritent bien davantage qu’un simple détour.



Dans son passionnant article, « The Modality in Which Class is Lived : Literalizing Race and Class in The Expanse » (dans SPELL: Swiss Papers in English Language and Literature, « The Genres of Genre: Form, Formats and Cultural Formations », 2019), Bryan Banker note par ailleurs comment James S.A. Corey, en dépeignant les Ceinturiens dans leur unité et dans leur variété, rend concret ce que les théories contemporaines de l’identité gardent dans le domaine de l’abstrait, et plus particulièrement le lien difficilement déconnectable entre race et classe (ce que la série télévisée souligne aussi de son côté), ce dont on reparlera plus bas à propos de langues et de langage.



Dans les mots de la série littéraire comme, naturellement, dans les images en parfaite continuité de la série télévisée, on sera frappé par la force de l’esthétique spécifique développée dans « The Expanse ». Lorsque les deux membres de James S.A. Corey sont interrogés sur leurs influences, ils citent régulièrement (aux côtés de la série « La Grande porte » de Frederik Pohl, pour des raisons évidentes, mais qui obligeraient à dévoiler ici certaines surprises des tomes 3 et 4) « Alien ». On se doute bien que ce n’est pas à propos de forme de vie extra-terrestre prédatrice que cette influence se manifeste : c’est avant tout à propos de précision technique imaginée et de vie matérielle omniprésente. Ici, le vide c’est le vide, les semelles électromagnétiques ne comptent pas pour du beurre, les hémorragies internes ne peuvent pas coaguler en apesanteur, et le silence est omniprésent (là où justement, on le sait, on ne vous entend pas crier). Même le célèbre duo contestant les conditions de travail formé par Dennis Parker (Yaphet Kotto) et Samuel Brett (Harry Dean Stanton) dans le premier film de Ridley Scott, en 1979, trouve son écho ici (comme le soulignent Heather Clitheroe et Mark A. McCutcheon dans leur article sus-cité), dans l’une des rarissimes représentations d’activité syndicale dans la science-fiction contemporaine (et toute l’ambiguïté subtile du personnage d’Anderson Dawes – et de l’interprétation qu’en donne à l’écran Jared Harris).



Dans le même article, on trouve une analyse portant à un degré encore supérieur cette esthétique de la matière, lorsque Miller explique à Holden, dans les tomes 3, 4 et 5, à diverses reprises, l’importance de l’incarnation de l’humanité vis-à-vis de l’immatérialité qui est désormais l’apanage des Constructeurs (je n’expliquerai pas ce terme ici, sinon ce serait un spoiler significatif), d’une manière que ne renierait pas « un enseignement marxiste de la distinction entre infrastructure et superstructure ». Et que dire dans ce cas du trait encore souligné par un autre article du même numéro spécial de Red Futures, celui de John Roselli, « The Heart of the Expanse: Discovering Humanity in the Void » ?



Comme Daniel Abraham, l’une des composantes du duo James S.A. Corey, a longtemps été un proche collaborateur de George R.R. Martin (impliqué notamment de très près dans les déclinaisons en bandes dessinées et romans graphiques du premier livre du « Trône de Fer », entre 2011 et 2014), il a beaucoup été écrit sur le foisonnement d’intrigues, de personnages, de situations géopolitiques (médiévales ou non), de coups de théâtre, de trahisons et de rebondissements de toute nature qui hantent « The Expanse » comme « Game of Thrones ». Disons-le tout net : en la matière, il me semble que l’élève (si élève il y eut) a su magnifiquement dépasser le maître (même si celui-ci n’est pas directement responsable de l’achèvement télévisé de sa série), et ce pour plusieurs raisons.



Tout d’abord, l’art (presque) immémorial du feuilleton (celui défendu jusqu’au bout avec acharnement par un Valerio Evangelisti, par exemple) est ici construit de manière ouverte : pas de dénouement inexorable (dont seules, finalement, les modalités et la place des personnages candidats et candidates restent à débattre : comment s’ouvrira le grand Mur ? qui tuera le Roi des Morts ? qui vaincra la détermination de Cersei ? qui règnera sur Westeros ?), mais au contraire une narration ouverte, qui excelle à enchaîner les intrigues dont la résolution même donne naissance à une autre, qui manie avec une réjouissante expertise l’enchevêtrement des niveaux des différents arcs narratifs – et qui n’utilise jamais de deus ex machina, même soigneusement dissimulé comme chez son illustre prédécesseur. Toujours dans le numéro spécial de Red Futures cité plus haut, l’article de Horst Trenkwill-Heiser, « The Expanse or: How Holden Kept Worrying and Learned to Embrace Division », propose un éclairage supplémentaire et passionnant sur ce point.



Ensuite, même des situations hautement interrogatives (Attention spoilers ! Que peut bien f… la protomolécule sur Vénus ? Comment communique-t-on avec les Constructeurs ? Pourquoi Miller est-il toujours là ? Où se situe la démarcation entre guerre de libération légitime et terrorisme aveugle ?) sont résolues avec grâce et logique, en parfaite cohérence (coucou Daenerys !) avec l’évolution intime et politique des personnages (et sans recours à de mystérieuses et rétrogrades « lois de l’hérédité »).



Enfin, « The Expanse » se caractérise par un véritable refus du manichéisme instinctif et instantané. Même les « pires » personnages (scientifiques dévoyés, ultra-milliardaires mégalomanes, politiciens corrompus, officiers rebelles ou indépendantistes jusqu’au-boutistes et terroristes) présentent plus que de simples lueurs d’humanité, offrent des justifications souvent complexes et pour partie « écoutables » et présentent une cohérence interne extrêmement forte qui ne se limite pas à « être psychopathe » ou « être sociopathe » (même si ces éléments sont bien entendu régulièrement disponibles). Et les « meilleurs » personnages ont leur beau contingent de failles, mais cela est relativement plus courant dans les grandes fresques dont nous traitons dans ce paragraphe. L’article « Heroism in the Expanse » de Mary B. Smith (toujours dans Red Futures) est particulièrement précieux pour pleinement apprécier cette dimension-là.



En tant qu’œuvre de science-fiction, « The Expanse » se livre à un intense travail de démythification de l’anticipation. Comme le soulignent à leur manière Irénée Régnauld et Arnaud Saint-Martin dans leur récent « Une histoire de la conquête spatiale » du côté historique et sociologique ou Gil Bartholeyns dans son également récent « L’occupation du ciel » (dont on vous parlera très prochainement sur ce blog) du côté purement fictionnel, il n’y a pas ici de vertueux changement de paradigme ayant pris place d’ici le 23e siècle. Le capitalisme et l’extractivisme triomphent, la foi en la croissance (on ne parle plus guère de ruissellement, toutefois, à part sous sa forme résiduelle et minimale de revenu universel maintenu au plus juste) resplendit de toute part, et la science poursuit imperturbablement sa marche en avant – sans souci réel du bonheur du plus grand nombre. C’est le « Réalisme capitaliste » de Mark Fisher qui est ici, plus que jamais, aux commandes. Il n’y a pourtant là rien de réellement dystopique, à proprement parler : le fait même de distinguer au plus haut degré la puissance des rapports sociaux, comme cela a été développé plus haut et comme cela est devenu au fond si rare dans la science-fiction contemporaine, suffit à obtenir ce précipité chimique aussi inquiétant que passionnant.



On pourra noter que Ian McDonald dans son excellente « Trilogie Luna », en se contentant finalement, au plan socio-politique, d’ironiser sur les nouveaux ultra-riches du système solaire en gestation (en parfaite cohérence, ceci dit, avec sa focalisation sur une nouvelle ère des « barons-voleurs ») ne parvenait pas à obtenir la même puissance de shock & awe systémique que « The Expanse » – et que Kim Stanley Robinson, dans son remarquable « 2312 », ne pouvait, lui, comme souvent, se résigner à un futur dans lequel aucune prise de conscience de masse n’aurait pu changer significativement les fondations de la société et de la polis.



Davide Mana (« The Politics of Anthropocene: Environment and Society in The Expanse »), Grigor Velkovsky (« The Expanse on the Cyclical Nature of History ») et Marcin Stolarz (« The Future Society of The Expanse »), trois autres contributeurs du numéro spécial de Red Futures déjà mentionné apportent des éclairages précieux dans ce domaine.



On ne saurait achever une lecture de « The Expanse » sans dire un mot de la langue et des langues. Il ne s’agit pas ici de se confronter véritablement à la nature communicationnelle du langage, comme dans le « Babel 17 » de Samuel Delany ou dans « L’enchâssement » de Ian Watson (même si ces aspects sont bien présents, à leur manière, dans les volumes 7, 8 et 9 de la série) : il s’agit bien plutôt de se pencher sur la forme de traduction sociale et politique qui est à l’œuvre dans les langues créoles éminemment cosmopolites et volontiers cryptées imaginées par James S.A. Corey pour les Ceinturiens, et des aspects coloniaux et décoloniaux qui y créent du jeu et du travail (comme un bois travaille), et donc de lorgner en direction des travaux théoriques de Cécile Canut (« Provincialiser la langue », 2021) ou fictionnels de Michael Roch (« Tè Mawon », 2022).



On trouvera d’intéressants compléments sur ce sujet dans l’article « Unfamiliar Races in Untimely Places: Anti-Essentialism and the Science Fiction Television Series The Expanse » de Christine Scodari (The Journal of Popular Culture, 2022), dans le « Lang Belta: The Language of The Expanse » de C.D. Covington (Reactor Magazine, 2020) ou encore dans le « Language Games in The Expanse » de Andrew Magrath (in « The Expanse and Philosophy: So Far Out into the Darkness », ouvrage collectif sous la direction de Jeffery L. Nicholas, publlié en 2021).



Un deuxième aspect, moins immédiat mais tout aussi riche à l’investigation, est signalé par Heather Clitheroe et Mark A. McCutcheon dans leur article décidément si précieux déjà mentionné plusieurs fois ci-dessus : la manière dont langue de l’ingénieur (et savoir associé, dont le personnage de Naomi Nagata, absolument central dans l’ensemble de la série, porte haut le flambeau) et langue littéraire – jusque dans son rameau directement poétique – interagissent pour créer de l’humanité et distiller de la transmission culturelle, même dans les circonstances les plus improbables. C’est ce qu’indiquent à leur manière, dans leurs apparitions fugaces ou plus régulières, le professeur de littérature anglaise Arjun, mari de Chrisjen Avasarala, le « Don Quichotte » de Cervantès, le « La Tempête » de Shakespeare (avec ses formes dérivées par Aimé Césaire ou par Marina Warner), ou encore les nombreux poèmes cités en diverses occasions, tels ceux de Dionne Brand.


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Le Porteur de Mort, tome 2 : Tenshin

Ce deuxième tome me conforte dans mon amour pour cette saga, qui correspond en tous points à ce que j’attends d’une fantasy : il y a un savant mélange entre la complexité de l’univers et la profondeur des interactions entre les personnages. Le tout est sublimé par la plume de l’autrice qui est franche, impactante, immersive, sans perdre sa poésie. Ce tome pose encore les bases et s’avère plus politique que son prédécesseur. La tension monte d’un cran. Il y a encore tellement d’interrogations, de révélations à venir, de combats imminents, de magie à explorer et exploiter ! Seïs et Naïs en ont bavé dans ce tome et ce n’est sans doute que le début. Je soupçonne leur évolution incroyable, ensemble ou séparés ! Tout ne semble pas aussi manichéen qu’il n’y paraît… Je sais que j’aime un livre quand même ses lenteurs me semblent lues trop rapidement.
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The Expanse, tome 5 : Les jeux de Némésis

En neuf romans et un recueil de nouvelles, sans doute la plus passionnante série de science-fiction spatiale et politique de ces dernières années.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/05/11/note-de-lecture-the-expanse-james-s-a-corey/



Tout démarre (en tout cas, on le croira longtemps) à bord du Scopuli, un vaisseau spatial d’apparence anodine en transit entre les astéroïdes Cérès et Éros. D’apparence anodine seulement, car il est en réalité en mission pour l’Alliance des Planètes Extérieures, organisation semi-clandestine qui conteste activement la domination politique et économique de la Terre et de Mars sur le reste du système solaire, myriade d’astéroïdes habités, de lunes jupitériennes ou saturniennes et de stations spatiales qui constituent la frontière active de l’économie globale sous le nom générique de « la Ceinture ». Lorsque le Scopuli est mystérieusement attaqué par ce qui semble être une bande pirate lourdement armée et bien déterminée, une certaine Julie Mao semble être la seule survivante à bord.



Le Canterbury, transportant de la glace entre les anneaux de Saturne et Cérès (l’eau est une question cruciale pour la vie sur ces « planètes extérieures » – qui n’en sont pas vraiment -, bien entendu), capte alors un signal de détresse venant du Scopuli. Arrivé sur place, l’équipage de la navette dépêchée par le lourd vaisseau de transport réalise que le signal en question était un leurre. Alors qu’un étrange vaisseau furtif surgit de nulle part et détruit le Canterbury, Holden, le second du bord, embarqué à bord de la navette, décide de transmettre en clair à l’ensemble du système solaire l’attaque qui vient d’avoir lieu ainsi que la présence de technologies martiennes au sein du système de leurre utilisé – ce qui crée un tollé dans les opinions publiques et un état de guerre, de facto, entre Mars et les différentes entités de la Ceinture. Consignés à bord du Donnager, vaisseau de ligne martien arrivé le premier sur les lieux du crime, Holden et ses compagnons d’infortune assistent impuissants à la destruction de celui-ci par de nouveaux vaisseaux furtifs inconnus, fuient de justesse à bord d’une corvette martienne qu’ils vont bientôt rebaptiser Rossinante, et informent le système solaire que l’analyse d’une puce électronique des assaillants récupérée à bord par miracle indique cette fois une fabrication… terrienne. Désormais, la Terre, Mars et la Ceinture sont tous au bord de la guerre totale.



Parallèlement à ces événements déclencheurs (et de quelle ampleur !), Josephus Miller, enquêteur au sein de la société privée Hélice Étoile, qui détient le contrat de sécurité sur Cérès, est embauché en marge de ses activités officielles pour retrouver la trace de Julie Mao, qui se révèle être l’une des filles de Jules-Pierre Mao, l’un des plus riches multi-milliardaires du système solaire, aux commandes d’un conglomérat hautement diversifié. Bientôt, alors que le Rossinante cherche à échapper aux recherches de la Terre comme de Mars, l’enquête s’étend et révèle qu’une certaine protomolécule secrète, possiblement extra-solaire, n’est peut-être pas étrangère aux cataclysmiques événements en cours…



Publié en neuf volumes (plus un dixième contenant plusieurs nouvelles dans le même univers) entre 2011 et 2022, « The Expanse » est certainement l’une des plus passionnantes séries littéraires de science-fiction – et au-delà – créées ces dernières années, justement récompensée par le prestigieux prix Hugo en 2020.



Issue à la base d’un univers de jeu (en ligne et sur table) développé en extrême détail par Ty Franck, que son ami l’auteur Daniel Abraham rejoint sous le pseudonyme commun de James S.A. Corey pour en extraire les romans, la série se distingue par la profondeur et la logique de son background, par son sens rebondissant de l’aventure et des développements de personnages, par la richesse de la véritable cosmopolitique du système solaire qu’elle imagine, par le réalisme de ses anticipations technologiques (même s’il a bien fallu, d’emblée, inventer la propulsion Epstein – avec ses accélérations inhumaines et donc ses adjuvants chimiques indispensables – pour que les distances à l’intérieur du système solaire se comptent en mois plutôt qu’en années), mais peut-être surtout par la puissance du réalisme politique (et d’ailleurs de diverses formes de Realpolitik) qui y est déployé.



Dans leur excellent article de novembre 2018 pour Science Fiction Studies (« Solar Accumulation : The Worlds-Systems Theory of The Expanse »), Brent Ryan Bellamy et Sean O’Brien, avec une approche post-marxiste particulièrement adaptée au terrain et à l’enjeu, montrent élégamment comment « The Expanse » met en scène la mainmise continuée du capital (largement incarné par l’entreprise Protogen de Jules-Pierre Mao, mais pas uniquement par elle) sur les « sauts » de l’accumulation et sur le transfert hégémonique (pour reprendre ici notamment le vocabulaire précis de Michael Hardt et Toni Negri dans leur « L’Empire » de 2000) : dans ce modèle à trois mondes pour le 23e siècle, la rareté des ressources et l’épuisement écologique hantent la Terre, la colonie martienne a pris son autonomie (sous des formes qui sont à la fois un bel hommage et un rude désaveu à la « Trilogie martienne » de Kim Stanley Robinson, se rapprochant davantage in fine du « 2312 » du même auteur) et les minerais de la Ceinture préservent l’illusion de la poursuite d’un système d’accumulation « à l’infini » (qui jaillira encore renforcé du formidable rebondissement introduit dans le tome 3, « La Porte d’Abaddon », par l’une des actions encore moins prévisibles de la « proto-molécule » – si l’on persiste ici à essayer de ne pas trop dévoiler les éléments à moyen et long terme de l’intrigue). Derrière Fernand Braudel et Karl Polanyi, les auteurs de l’article lisent ici l’influence souterraine de Giovanni Arrighi et de son « Long vingtième siècle » de 1994. On pourrait ajouter que l’imagination déployée dans la série illumine son inconscient politique, au sens de Fredric Jameson, et que le mélange détonant de réchauffement climatique, d’épuisement des ressources et d’astro-capitalisme résonne étrangement tant avec l’Andreas Malm de « L’anthropocène contre l’histoire » qu’avec les Irénée Régnauld et Arnaud Saint-Martin de « Une histoire de la conquête spatiale ». Une fois de plus la terrible première phrase du « En panne sèche » d’Andreas Eschbach s’impose : « Même la dernière goutte d’essence permet encore d’accélérer ».



La série littéraire a donné lieu entre 2015 et 2022 à une série télévisée particulièrement réussie sous l’égide de Mark Fergus et Hawk Ostby. Le casting y colle magnifiquement aux personnages imaginés par James S.A. Corey, que ce soit du côté de l’équipage du Rossinante (Steven Strait en James Holden, Dominique Tipper en Naomi Nagata, Cas Anvar en Alex Kamal et Wes Chatham en Amos Burton), de l’enquêteur Josephus Miller (Thomas Jane) et de son fameux chapeau, de la marine martienne Roberta Draper (Frankie Adams), de chefs ceinturiens tels que Fred Johnson (Chad Coleman) ou Anderson Dawes (Jared Harris) – l’une des seules vraies libertés que s’est permise l’écran, en assemblant plusieurs personnages littéraires pour sa version de Camina Drummer, jouée par Cara Gee, est sublime – ou encore de la haute fonctionnaire terrienne Chrisjen Avasarala (Shohreh Aghdashloo). Le scénario est particulièrement fidèle aux romans d’origine, et la série a réussi à éviter le « piège de la précipitation » à la Game of Thrones au moment de conclure son aventure télévisuelle, préférant s’arrêter entre deux tomes à un moment où nombre d’arcs narratifs avaient atteint leur terme et où d’autres commençaient tout juste à s’ouvrir, pour, n’est-ce pas, ne pas insulter l’avenir.



J’avais insisté dans l’épisode 9 (à regarder ici) de Planète B, l’émission science-fiction et politique conçue pour Blast par Antoine Daer, notre librairie Charybde et les éditions La Volte, sur l’importance donnée par la série littéraire à une forme actualisée de lutte des classes du 23e siècle, à l’échelle du système solaire : la série télévisée amplifie encore cette thématique, dès sa présentation d’ensemble, en signalant d’emblée le contraste entre les élites terriennes et leurs masses inscrites au revenu minimum d’existence, les Martiens largement militarisés et les salariés de la Ceinture, précaires et fortement exploités par les propriétaires des moyens de production. Par bien des aspects, l’article d’Emma Johanna Puranen, « The Ethics of Extractivism in Science Fiction » (Strange Horizons, 2022), souligne le même point. Il en est de même du « Work, Horror and The Expanse » de Jamie Woodcock et du somptueux (on en reparlera ci-dessous à propos de langage) « We should have brought a poetry grad student: Higher education and organised labour in The Expanse » de Heather Clitheroe et Mark A. McCutcheon, deux articles à lire dans « The Expanse Expanded: A Special Issue of Red Futures », dont l’ensemble des onze contributions (à lire ici) méritent bien davantage qu’un simple détour.



Dans son passionnant article, « The Modality in Which Class is Lived : Literalizing Race and Class in The Expanse » (dans SPELL: Swiss Papers in English Language and Literature, « The Genres of Genre: Form, Formats and Cultural Formations », 2019), Bryan Banker note par ailleurs comment James S.A. Corey, en dépeignant les Ceinturiens dans leur unité et dans leur variété, rend concret ce que les théories contemporaines de l’identité gardent dans le domaine de l’abstrait, et plus particulièrement le lien difficilement déconnectable entre race et classe (ce que la série télévisée souligne aussi de son côté), ce dont on reparlera plus bas à propos de langues et de langage.



Dans les mots de la série littéraire comme, naturellement, dans les images en parfaite continuité de la série télévisée, on sera frappé par la force de l’esthétique spécifique développée dans « The Expanse ». Lorsque les deux membres de James S.A. Corey sont interrogés sur leurs influences, ils citent régulièrement (aux côtés de la série « La Grande porte » de Frederik Pohl, pour des raisons évidentes, mais qui obligeraient à dévoiler ici certaines surprises des tomes 3 et 4) « Alien ». On se doute bien que ce n’est pas à propos de forme de vie extra-terrestre prédatrice que cette influence se manifeste : c’est avant tout à propos de précision technique imaginée et de vie matérielle omniprésente. Ici, le vide c’est le vide, les semelles électromagnétiques ne comptent pas pour du beurre, les hémorragies internes ne peuvent pas coaguler en apesanteur, et le silence est omniprésent (là où justement, on le sait, on ne vous entend pas crier). Même le célèbre duo contestant les conditions de travail formé par Dennis Parker (Yaphet Kotto) et Samuel Brett (Harry Dean Stanton) dans le premier film de Ridley Scott, en 1979, trouve son écho ici (comme le soulignent Heather Clitheroe et Mark A. McCutcheon dans leur article sus-cité), dans l’une des rarissimes représentations d’activité syndicale dans la science-fiction contemporaine (et toute l’ambiguïté subtile du personnage d’Anderson Dawes – et de l’interprétation qu’en donne à l’écran Jared Harris).



Dans le même article, on trouve une analyse portant à un degré encore supérieur cette esthétique de la matière, lorsque Miller explique à Holden, dans les tomes 3, 4 et 5, à diverses reprises, l’importance de l’incarnation de l’humanité vis-à-vis de l’immatérialité qui est désormais l’apanage des Constructeurs (je n’expliquerai pas ce terme ici, sinon ce serait un spoiler significatif), d’une manière que ne renierait pas « un enseignement marxiste de la distinction entre infrastructure et superstructure ». Et que dire dans ce cas du trait encore souligné par un autre article du même numéro spécial de Red Futures, celui de John Roselli, « The Heart of the Expanse: Discovering Humanity in the Void » ?



Comme Daniel Abraham, l’une des composantes du duo James S.A. Corey, a longtemps été un proche collaborateur de George R.R. Martin (impliqué notamment de très près dans les déclinaisons en bandes dessinées et romans graphiques du premier livre du « Trône de Fer », entre 2011 et 2014), il a beaucoup été écrit sur le foisonnement d’intrigues, de personnages, de situations géopolitiques (médiévales ou non), de coups de théâtre, de trahisons et de rebondissements de toute nature qui hantent « The Expanse » comme « Game of Thrones ». Disons-le tout net : en la matière, il me semble que l’élève (si élève il y eut) a su magnifiquement dépasser le maître (même si celui-ci n’est pas directement responsable de l’achèvement télévisé de sa série), et ce pour plusieurs raisons.



Tout d’abord, l’art (presque) immémorial du feuilleton (celui défendu jusqu’au bout avec acharnement par un Valerio Evangelisti, par exemple) est ici construit de manière ouverte : pas de dénouement inexorable (dont seules, finalement, les modalités et la place des personnages candidats et candidates restent à débattre : comment s’ouvrira le grand Mur ? qui tuera le Roi des Morts ? qui vaincra la détermination de Cersei ? qui règnera sur Westeros ?), mais au contraire une narration ouverte, qui excelle à enchaîner les intrigues dont la résolution même donne naissance à une autre, qui manie avec une réjouissante expertise l’enchevêtrement des niveaux des différents arcs narratifs – et qui n’utilise jamais de deus ex machina, même soigneusement dissimulé comme chez son illustre prédécesseur. Toujours dans le numéro spécial de Red Futures cité plus haut, l’article de Horst Trenkwill-Heiser, « The Expanse or: How Holden Kept Worrying and Learned to Embrace Division », propose un éclairage supplémentaire et passionnant sur ce point.



Ensuite, même des situations hautement interrogatives (Attention spoilers ! Que peut bien f… la protomolécule sur Vénus ? Comment communique-t-on avec les Constructeurs ? Pourquoi Miller est-il toujours là ? Où se situe la démarcation entre guerre de libération légitime et terrorisme aveugle ?) sont résolues avec grâce et logique, en parfaite cohérence (coucou Daenerys !) avec l’évolution intime et politique des personnages (et sans recours à de mystérieuses et rétrogrades « lois de l’hérédité »).



Enfin, « The Expanse » se caractérise par un véritable refus du manichéisme instinctif et instantané. Même les « pires » personnages (scientifiques dévoyés, ultra-milliardaires mégalomanes, politiciens corrompus, officiers rebelles ou indépendantistes jusqu’au-boutistes et terroristes) présentent plus que de simples lueurs d’humanité, offrent des justifications souvent complexes et pour partie « écoutables » et présentent une cohérence interne extrêmement forte qui ne se limite pas à « être psychopathe » ou « être sociopathe » (même si ces éléments sont bien entendu régulièrement disponibles). Et les « meilleurs » personnages ont leur beau contingent de failles, mais cela est relativement plus courant dans les grandes fresques dont nous traitons dans ce paragraphe. L’article « Heroism in the Expanse » de Mary B. Smith (toujours dans Red Futures) est particulièrement précieux pour pleinement apprécier cette dimension-là.



En tant qu’œuvre de science-fiction, « The Expanse » se livre à un intense travail de démythification de l’anticipation. Comme le soulignent à leur manière Irénée Régnauld et Arnaud Saint-Martin dans leur récent « Une histoire de la conquête spatiale » du côté historique et sociologique ou Gil Bartholeyns dans son également récent « L’occupation du ciel » (dont on vous parlera très prochainement sur ce blog) du côté purement fictionnel, il n’y a pas ici de vertueux changement de paradigme ayant pris place d’ici le 23e siècle. Le capitalisme et l’extractivisme triomphent, la foi en la croissance (on ne parle plus guère de ruissellement, toutefois, à part sous sa forme résiduelle et minimale de revenu universel maintenu au plus juste) resplendit de toute part, et la science poursuit imperturbablement sa marche en avant – sans souci réel du bonheur du plus grand nombre. C’est le « Réalisme capitaliste » de Mark Fisher qui est ici, plus que jamais, aux commandes. Il n’y a pourtant là rien de réellement dystopique, à proprement parler : le fait même de distinguer au plus haut degré la puissance des rapports sociaux, comme cela a été développé plus haut et comme cela est devenu au fond si rare dans la science-fiction contemporaine, suffit à obtenir ce précipité chimique aussi inquiétant que passionnant.



On pourra noter que Ian McDonald dans son excellente « Trilogie Luna », en se contentant finalement, au plan socio-politique, d’ironiser sur les nouveaux ultra-riches du système solaire en gestation (en parfaite cohérence, ceci dit, avec sa focalisation sur une nouvelle ère des « barons-voleurs ») ne parvenait pas à obtenir la même puissance de shock & awe systémique que « The Expanse » – et que Kim Stanley Robinson, dans son remarquable « 2312 », ne pouvait, lui, comme souvent, se résigner à un futur dans lequel aucune prise de conscience de masse n’aurait pu changer significativement les fondations de la société et de la polis.



Davide Mana (« The Politics of Anthropocene: Environment and Society in The Expanse »), Grigor Velkovsky (« The Expanse on the Cyclical Nature of History ») et Marcin Stolarz (« The Future Society of The Expanse »), trois autres contributeurs du numéro spécial de Red Futures déjà mentionné apportent des éclairages précieux dans ce domaine.



On ne saurait achever une lecture de « The Expanse » sans dire un mot de la langue et des langues. Il ne s’agit pas ici de se confronter véritablement à la nature communicationnelle du langage, comme dans le « Babel 17 » de Samuel Delany ou dans « L’enchâssement » de Ian Watson (même si ces aspects sont bien présents, à leur manière, dans les volumes 7, 8 et 9 de la série) : il s’agit bien plutôt de se pencher sur la forme de traduction sociale et politique qui est à l’œuvre dans les langues créoles éminemment cosmopolites et volontiers cryptées imaginées par James S.A. Corey pour les Ceinturiens, et des aspects coloniaux et décoloniaux qui y créent du jeu et du travail (comme un bois travaille), et donc de lorgner en direction des travaux théoriques de Cécile Canut (« Provincialiser la langue », 2021) ou fictionnels de Michael Roch (« Tè Mawon », 2022).



On trouvera d’intéressants compléments sur ce sujet dans l’article « Unfamiliar Races in Untimely Places: Anti-Essentialism and the Science Fiction Television Series The Expanse » de Christine Scodari (The Journal of Popular Culture, 2022), dans le « Lang Belta: The Language of The Expanse » de C.D. Covington (Reactor Magazine, 2020) ou encore dans le « Language Games in The Expanse » de Andrew Magrath (in « The Expanse and Philosophy: So Far Out into the Darkness », ouvrage collectif sous la direction de Jeffery L. Nicholas, publlié en 2021).



Un deuxième aspect, moins immédiat mais tout aussi riche à l’investigation, est signalé par Heather Clitheroe et Mark A. McCutcheon dans leur article décidément si précieux déjà mentionné plusieurs fois ci-dessus : la manière dont langue de l’ingénieur (et savoir associé, dont le personnage de Naomi Nagata, absolument central dans l’ensemble de la série, porte haut le flambeau) et langue littéraire – jusque dans son rameau directement poétique – interagissent pour créer de l’humanité et distiller de la transmission culturelle, même dans les circonstances les plus improbables. C’est ce qu’indiquent à leur manière, dans leurs apparitions fugaces ou plus régulières, le professeur de littérature anglaise Arjun, mari de Chrisjen Avasarala, le « Don Quichotte » de Cervantès, le « La Tempête » de Shakespeare (avec ses formes dérivées par Aimé Césaire ou par Marina Warner), ou encore les nombreux poèmes cités en diverses occasions, tels ceux de Dionne Brand.


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