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Critique de PetiteBichette


Lola Lafon décide de vivre l'aventure pas banale de se laisser enfermer une nuit dans un musée.
Son choix va se révéler encore moins banal, car elle jette son dévolu sur un musée qui n'en est pas vraiment un, ici pas d'oeuvres à découvrir ni devant lesquelles s'émerveiller, rêver, adorer, détester (vivre finalement). Non, ce musée est celui dans lequel le visiteur est ému par l'absence, le vide, les pas qui résonnent, le sentiment d'oppression, d'étouffement, de pesanteur.
Ce musée, je l'ai visité il y a plusieurs années à Amsterdam, c'est l'Annexe dans laquelle Otto Frank a décidé de se cacher avec cinq autres personnes et ses deux filles, Margot et Anne. Un lieu très singulier, chargé d'une histoire mondialement connue, et dans lequel on ressent un grand malaise.
Bien sûr, l'histoire d'Anne Frank tout le monde la connait me direz-vous, alors quel intérêt a ce livre ?
Lola Lafon remet les pendules à l'heure sur bon nombre de sujets, en particulier la croyance selon laquelle Otto Frank a voulu censurer dans Le Journal les passages relatifs à la sexualité de sa fille. L'auteure a interviewé plusieurs personnes qui ont côtoyé Anne Frank de leur vivant et elle nous livre leurs témoignages émouvants, en particulier celui de Laureen Nussbaum.
J'ouvre ici une petite parenthèse, la professeure d'histoire-géographie de 3ème de ma fille a eu une démarche très intéressante, elle a demandé à ses élèves d'établir leur arbre généalogique en remontant à leurs arrière-grands-parents, en précisant leurs dates et lieux de naissance. Elle voulait par là leur faire toucher du doigt que l'histoire qu'ils vont étudier cette année, les deux guerres mondiales, ont directement impacté leur famille, des membres pas si éloignés, leurs arrière-grands-parents ou leurs grands-parents, qui les ont vécues dans leur chair, ont connu la guerre, ses bombardements, ses privations, les hommes tués, faits prisonniers, les camps de travail, de concentration... Et je me suis fait la réflexion que je ne m'étais jamais posé la question de comment l'Histoire avait pu irrémédiablement impacter la vie de mes amis juifs, et que c'était un sujet que je n'avais jamais abordé avec eux. Et pourtant, cette Histoire, elle est là, tellement proche, même si peu à peu tous ses témoins directs sont en train de s'éteindre.
Ce récit m'en a rappelé un autre, celui d'Anne Berest avec sa magnifique Carte Postale. Ces deux autrices, sensiblement du même âge, s'interrogent sur leur judéité. Qu'est-ce que cela signifie pour elles d'être juives à notre époque, comment l'histoire de leur propre famille résonne en elles ? Quels stigmates en portent-elles ? Cela a-t-il influencé les femmes qu'elles sont devenues, la façon dont elles se sont construites ?
Dans leurs deux récits très pudiques, j'ai retrouvé, pour ces deux femmes, la difficulté de parler de la Shoah en famille, la douleur est encore trop pesante, les fantômes trop proches pour s'exprimer librement. Lola Lafon s'interroge très justement sur une question essentielle, comment parler de ce passé aux adolescents actuels, aux générations futures, que dire et comment ?
J'ai été très touchée par la sensibilité et la délicatesse de Lola Lafon, qui, tout en arpentant les pièces de l'Annexe, mêle avec beaucoup de naturel et de précision ses pensées concernant Anne Frank, les informations passionnantes sur leur vie quotidienne de reclus qu'elle a collectées et des pans de sa propre vie. Tout cela est d'une étonnante fluidité, et on passe d'un sujet à l'autre avec facilité, des temps d'intense émotion succèdent à des temps plus calmes, dans un rythme subtilement dosé. En refermant ce livre, j'ai eu l'impression d'une conversation avec une amie qui se serait livrée avec une profonde sincérité, m'aurait fait part de ses réflexions les plus intimes sur ce qui la définit, l'anime, la révolte, l'obsède.
Un superbe hommage très émouvant à Anne Frank rendu tout en finesse par Lola Lafon, ainsi qu'à ses propres aïeux.
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