Un jeune poète
À dix-sept ans, j'écrivais des poèmes, évidemment. Il me
fallut d'abord des cargaisons d'images prophétiques et torturées, descendant des fleuves d'or et de sang. Après six mois d'épanchements hallucinés, je rougis de ma présomption. Je taillai alors, par contrecoup, quelques silex abscons ; aucune étoile arquée que je ne défigure. Je m'essayai donc à la comptine mélancolique, au sonnet symboliste ; il neigeait des flocons de sang à la fenêtre, et l'on pleurait des enfants morts (l'essentiel, c'était de faire joli. Ou grandiose, ou passionné. Je ne me souciais guère d'abriter un peu de vie grelottante, un peu d'amour intact, au creux de mes mains, entre quelques mots toujours trop sûrs d'eux).
p.38
Le chant de l'évidence
[…]
Donc l'évidence finit dans la rature, le reniement, la fuite en
avant vers le néant ? Elle redevient l'énigme douloureuse, ne
demeurant intacte que confite aux bocaux du souvenir, et ne
sachant renaître que dans l'oubli de sa propre déchéance ? La
leçon, c'est qu'il n'y a pas de leçon, le secret, c'est qu'il n'y a
pas de secret, l'évidence, c'est qu'il n'y a pas d'évidence, sauf
dans le visage pétrifié des cadavres ?
p.166.