AVANT-PROPOS: Je viens de relire ce billet avant de le poster et je me rends compte que c'est autant une critique du livre qu'une critique du lecteur. Ceux de mes amis qui ne pourront pardonner ce narcissisme peuvent donc arreter ici. Ils auront droit a mes excuses.
La lecture de ce livre a dure des mois et je l'ai alternee avec beaucoup d'autres. C'est que j'en attendais beaucoup. Beaucoup trop. Je savais d'avance que c'etait la saga d'une famille juive de Sarajevo. Sarajevo, Saray la juive! Qui ne s'est extasie devant les enluminures de la celebre Haggadah de Pessah (de Paque) de Sarajevo! Je savais aussi d'avance que l'auteure brodait sur l'histoire de sa propre famille, mettant en scene entre autres sa tante, Laura Papo. Laura Papo “Bohoreta"! La premiere femme de lettres de Bosnie! Qui ecrivit nombre de pieces de theatre, saynetes, nouvelles, contes, et de nombreux articles! En ladino, en judeo-espagnol! Qui traduisit en cette langue des oeuvres
De Maupassant, entre autres! Qui se revela resolument moderne, feministe, dans ses articles et dans son essai “La muzer sefardi de Bosna" (La femme sepharade de Bosnie)! J'avais hate de decouvrir le portrait qu'en ferait l'auteure!
Bon, apres tous ces points d'exclamation, je dois dire, pour etre honnete, que
Parfum de pluie sur les Balkans est une saga interessante. Mais moi je manquais de patience. Les petites affaires et les amours des soeurs Salom ne m'interessaient pas beaucoup. Quoi, beaucoup plus de pages sur un magasin de chapeaux que sur Bohoreta! Et tellement s'etendre sur la petite de la famille, toute danseuse etoile qu'elle fut! Et toutes ces amourettes! Tout m'avait l'air ecrit a l'eau de rose, pas pour mon gout. Alors j'ai lache, et j'ai repris, et j'ai lache, et j'ai repris. Et ce n'est qu'apres un bon tiers du bouquin que je me suis fait prendre par ma lecture. Que j'ai vu ce que represente cette famille. Une famille juive de Sarajevo en route vers la modernite et vers l'assimilation. Qui vers l'assimilation, qui vers une modernite juive. Cinq soeurs et deux freres. Une qui devient ecrivaine, luttant autant pour l'emancipation de la femme que pour la sauvegarde de la langue judeo-espagnole. Une qui ouvre la premiere boutique de mode de Sarajevo et se marie avec un serbe. Une autre qui se marie avec un catholique et le suit a Paris. Une qui apres de longues annees de concubinage se marie elle aussi avec un serbe et se convertit au christianisme orthodoxe. Une petite derniere qui devient danseuse etoile a Belgrade et triomphe en tournee dans des capitales europeennes. Un garcon qui, chasse de la maison, s'installe a Zagreb. Et le dernier, qui s'installera en Palestine. Une generation qui personnifie l'explosion de la judeite traditionnelle des Balkans. Une generation qui change tout, qui part dans tous les sens, dans des directions inimaginables jusque la. Et de facon naturelle ou fortuite, sans besoin de grands manifestes insurrectionnels. Et ce, avant que la deuxieme guerre mondiale ne chamboule tout.
La deuxieme guerre mondiale, justement, occupe la deuxieme partie du livre, que j'ai parcourue en apnee. Bien sur j'ai suivi la persecution des juifs, les rafles, les tueries. J'ai accompagne ceux qui jusqu'a la fin n'ont pu imaginer leur destin, ceux qui ont essaye de se cacher, de fuir, ceux qui ont rejoint des maquis. Et j'ai surtout assiste a l'embrasement des hostilites interbalkaniques, les oustachis croates envahissant Sarajevo et la Bosnie, persecutant serbes et musulmans et s'appropriant leurs biens, l'armee bulgare detruisant des villages entiers et violant leurs femmes dans leur passage en terres serbes. Tout cela en sus de la froide cruaute, de la ferocite de l'occupation allemande.
Et miracle, la famille protagoniste de ce livre arrive a passer a travers les mailles de cet horrible filet. Seule Laura, l'ecrivaine, la Bohoreta, mourra de maladie dans un hopital en1942. Tous les autres seront vivants a la fin de la guerre. J'ai dit miracle? C'en est peut-etre un, mais il est du aussi, il est du surtout au sang-froid, a la debrouillardise, aux initiaves tenaces des differents heros et heroines.
Je conclus donc que c'est un livre pittoresque, captivant a plus d'un titre, meme si son debut a failli me decourager.
Il y a quand meme un detail, pour moi d'importance, qui m'a gene, tout le long. L'auteure essaie de faire folklorique et multiplie les petites phrases en judeo-espagnol. Et cela m'a semble deplace beaucoup de fois. Quand deux soeurs parlent entre elles, c'est naturel; mais quand une des soeurs est seule avec son mari serbe, pourquoi
lui assener du ladino? Un serbe est cense le comprendre?
Et surtout, l'orthographe utilisee, donc la prononciation du judeo-espagnol que l'auteure nous inculque, m'a indispose (bon…disons que j'ai quelques notions de cette matiere...). Des exemples: “Pur luke?” (= pourquoi?); ou “Tantu ki lu kieru ki no mi lu kreyu!” (= je le voudrais mais je ne le crois pas); Ou “Tristi di mi! Dizgrasiadus! Pokus turin!” (= Pauvre de moi! Les maudits! Puissent-ils crever!) [Ca c'est la traduction donnee dans le livre, qui en donne le sens, alors que la traduction litterale de pokus turin serait plutot: que peu les regardent, que peu les suivent].
Qu'est-ce que c'est que ca? Tous ces “I”s et ces “U”s? Au debut je me suis dit que c'est peut-etre la prononciation bosniaque, influencee par les musulmans du lieu, vu que l'arabe, du moins l'arabe classique, ne connait ni le “E" ni le “O". Mais, gene de plus en plus, je me suis mis a verifier chez des ecrivains bosniaques judeo-espagnols. J'ai feuillete des ecrits de la propre Laura Papo Bohoreta, de Kalmi Baruh, d'Avram Romano, tous du debut du XXe siecle. Je me suis penche sur la prose de Eliezer Papo, un des derniers sarajeviens qui ecrit encore de nos jours. Tous utilisent beacoup plus de e et de o a la place des i et des u que l'auteure place a mauvais escient. Ils auraient tous ecrit: “Tanto ke lu kiero ke no me lu kreyo”, ou: “Triste de mi, dezgrasiados”, a la place des enormites (mal prononcees) citees plus haut. Et jamais ils n'auraient ecrit “pur luke”, mais utilisent a chaque fois un simple “porke", pourquoi, ou parce que. Alors, n'ayant pas compris le choix de l'orthographe et de la prononciation, je suis reste sceptique face a l'eventail folklorisant de l'auteure, le trouvant aberrant, ou carrement faux. Ca m'a un peu gate ma lecture.
Mais bon, ce sont mes tics personnels de lecture, des marottes. Cela ne genera surement aucun autre lecteur. Je peux donc conseiller le livre. Il plaira surement, il a ete un best seller dans les balkans.