Ce qui me frappe, à chaque fois que j'entame un roman de
Douglas Kennedy, c'est cette façon qu'il a de nous happer tout de suite dans l'univers de ses personnages en nous racontant leur quotidien en détails, à grands renforts de digressions. C'est un exercice périlleux dans lequel d'autres écrivains pourraient se perdre, et nous avec, mais pas lui. C'est ce qui lui permet de donner corps à ses histoires, souvent en appuyant là où ça fait mal. Laura, ça pourrait être moi, ça pourrait être vous. J'oserais même ajouter que ça a été moi à un moment donné. Comme elle, j'ai pu avoir le sentiment d'être passée à côté de ma vie. Comme elle, j'ai longtemps eu l'impression que quand on est jeune, le monde semble offrir plein de possibilités et que ce nombre de possibilités se réduit d'année en année jusqu'à ce qu'on ait l'impression d'étouffer. Il m'a fallu du temps pour me dire que je suis bien à la place où je suis et que je ne regrette rien. Laura, elle est pleine de regrets. Elle s'est mariée trop jeune, elle n'a pas fait médecine et elle n'a jamais quitté l'Amérique du Nord, elle qui rêvait de voir le monde.
Et voilà qu'elle rencontre, lors d'un séminaire de radiologie à Boston, un homme avec qui elle partage l'amour des mots et de la littérature. Leurs discussions passionnantes vont mettre en évidence le désert affectif qu'est devenue leur vie. Mais est-il possible de changer ? Peut-on se dire tout à coup que l'on reprend sa vie en mains ? Il n'est pas si facile d'oser être soi-même et de surmonter la peur du changement, la peur du regard des autres et même la peur d'être heureux...
Le propos est, comme toujours, d'une grande justesse. Bien souvent, nous vivons dans des prisons que nous nous sommes nous-mêmes construits et bien que personne d'autre n'en ait la clé, nous n'arrivons pas à nous en échapper. La peur et les habitudes nous empêchent souvent d'aller de l'avant, et nous passons ensuite énormément de temps à nous reprocher ce manque de courage, sans pour autant voir - ou accepter - l'issue qui s'offre à nous. Et quelle plongée passionnante dans la vie et dans la tête des deux personnages ! Je n'aurais sans doute pas supporté le quart de ce que eux ont accepté d'endurer pendant des années, je n'ai pas du tout le tempérament pour ça. Pourtant, à aucun moment, je ne les ai jugés. C'est là que réside toute l'habileté de l'auteur car, face à un personnage qui mérite pourtant d'être sévèrement jugé tant il est épouvantable de lâcheté, il nous amène à éprouver de la compassion pour lui en nous montrant comment il se construit son enfer personnel.
C'est le troisième livre de
Douglas Kennedy que je découvre après
Les charmes discrets de la vie conjugale et
Quitter le monde. Ces trois romans, je les ai dévorés comme des thrillers qu'ils ne sont pas (malgré quelques éléments d'intrigue policière dans les deux que je viens de citer). À chaque fois, l'auteur réussit le tour de force de nous raconter la vie de femmes ordinaires comme s'il s'agissait d'une palpitante chasse au tueur en série. Impossible de lâcher ces romans qui m'ont coûté bien des heures de sommeil - je viens de finir
Cinq jours ce matin sur les coups de 3 ou 4h. Je ne qualifierais pas ses livres de feel-good books ; au contraire, au vu de l'ambiance et des constats qu'il établit, il y aurait même de quoi déprimer. Pourtant, à chaque fois, je suis ressortie de ma lecture le coeur plein d'espoir, parce que ses héroïnes font preuve d'une résilience insoupçonnée et nous montrent qu'avec un peu de courage et de ténacité, on peut toujours reprendre sa vie en main.
Lien :
http://www.aufildisa.com/201..