J'avais placé «
La vraie vie » d'
Adeline Dieudonné dans ma liste de livres à lire à la suite de très bonnes critiques parues dans plusieurs journaux, et je ne suis pas sûre d'avoir compris alors combien ce roman est un coup de poing dans le ventre. En tout cas, c'est l'effet qu'il m'a fait, sans vouloir faire de mauvais calembour sur le thème traité par cet ouvrage.
La violence, la narratrice du roman (dont on ne connaîtra jamais le prénom) de onze ans et son petit frère Gilles, six ans, en font l'expérience au quotidien dans leur foyer, à cause d'un père qui fait régner la terreur et bat régulièrement sa femme, pour rien, devant eux. Une femme que la narratrice surnomme d'ailleurs « l'amibe », en raison de son apathie face à un mari qui l'a probablement détruite psychologiquement. Elle s'intéresse peu à ses enfants, au contraire de ses chèvres à qui elle prodigue tous ses soins, tandis que le mari, lui, collectionne également les animaux exotiques, mais morts (à la suite de braconnages qu'il effectue à travers le globe), dans une pièce spéciale – appelée par la narratrice « la chambre des cadavres ». Ambiance.
Cette accumulation de traumatismes en tous genres que traversent les enfants trouvent malheureusement leur acmé dans un accident d'une violence inouïe dont Gilles et sa soeur sont témoins, finissant de briser le mental du petit garçon, qui jusque-là était d'une joie de vivre exceptionnelle. Son sourire disparaît pour laisser la place à un mutisme et un refoulement de tout émotion glaçants, doublés de tendances psychopathes grandissantes sur les animaux.
Dès lors, la narratrice n'aura plus qu'une obsession : revenir dans le passé afin de changer les événements, à la manière de « Retour vers le futur » puis à l'aide de l'étude des sciences physiques, pour « retrouver le sourire plein de dents de lait » de son petit frère, pour qu'il vive sa « vraie vie », et lui éviter d'être englouti par la sauvagerie, symbolisée par l'hyène empaillée dans la chambre des cadavres du père. Une quête qui lui permettra par la même occasion de se sauver elle-même dans une certaine mesure, car elle se rendra compte que personne n'est exempt d'une certaine violence (pas même le Champion, son voisin qui l'a aidée au prix d'action violentes, ou même elle-même, bien qu'elle semble plus animée par des pulsions de vie, qui se manifestent par son désir physique pour le Champion).
Quel personnage que cette jeune fille ! Dotée d'une grande intelligence et d'une exceptionnelle maturité pour son âge (qui lui permettent d'assumer le drôle de fardeau qui lui tombe sur les épaules), elle réussit à analyser le plus souvent les situations avec justesse, mais également à être lucide sur elle-même et les autres ; tout en restant en permanence d'une grande force psychique pour ne pas céder au désespoir et entrevoir que malgré tout, il y a aussi de la beauté dans la vie.
Ce récit est ainsi celui de la survie de deux enfants dans un monde marqué par une violence irrémédiable (celle des hommes systématiquement). L'écriture, qui adopte uniquement le point de vue de la narratrice, est brute, directe, rédigée en un seul souffle, comme si s'arrêter d'énoncer, c'est à l'horreur, abandonner un peu. C'est le portrait d'une jeune adolescente, un peu mère avant d'être devenue femme, qui grandit dans une lutte acharnée contre les ténèbres, ses propres ténèbres. Un grand petit bout de femme.
Bravo à
Adeline Dieudonné pour ce premier roman qui a été justement salué par plusieurs prix, et a même figuré sur la première liste du prix Goncourt en 2018.