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Mayalen Goust (Autre)
EAN : 9782211336727
224 pages
L'Ecole des loisirs (20/03/2024)
4.34/5   73 notes
Résumé :
Depuis des jours, les écuelles sont vides, tout comme les estomacs. Dans leur maison au fond des bois, le père et la mère désespèrent de nourrir leur chère progéniture. Sept bouches voraces. Sept enfants espiègles qui ont déjà bien grandi. Sauf Tipou. Difficile de trouver sa place, quand on en prend si peu… Du haut de ses treize ans, Tipou rêve d’aventure. Cela tombe bien : la forêt noire et profonde cache d’inquiétants mystères. Qui sème ces feuilles et baies... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (26) Voir plus Ajouter une critique
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« Une bouche pleine se tait, alors qu'une bouche vide… Ah ! ça oui, ils parlent ! »

De délectables pages que celles mijotées par Flore Vesco ! L'as de la littérature ado n'a pas son pareil pour pulvériser les contes pour mieux en révéler les partis pris et les petites morales pénétrantes. Dès l'annonce de ce nouveau titre, nous étions donc sur les dents.

Le prologue donne le ton et nous met en garde : l'histoire ne convient pas aux jeunes âmes – mes moussaillons se sont donc évidemment jetés dessus. Pour découvrir, éberlués, des pages charnelles et organiques, gorgées de sang, de bile, de salive, de larmes et d'entrailles qui crient famine. Ne comptez pas sur moi pour révéler le moindre centimètre carré de la chair de ce roman, vous n'avez qu'à enfourcher vos bottes de sept lieues et vous risquer au coeur de la forêt interdite pour vous faire une idée par vous-même !

« Je prends la parole au collet, ne vous déplaise. Si je ne l'attrape pas, jamais on ne me la donnera. Ce sont toujours les mêmes qu'on écoute : les rois soucieux, les reines en mal d'enfants, les princes en quête d'une épouse étonnamment spécifique. Parfois, oui, on veut bien s'intéresser à un pauvre, s'il est jeune et part à l'aventure. Mais les parents coincés dans leur chaumière, qui grattent la terre pour nourrir leurs enfants, et qu'on accable encore de taxes : eux n'ont pas voix au chapitre. »

Ce qui est étourdissant, c'est la narration chorale qui fait parler ceux que l'on n'a pas l'habitude d'entendre, renversant brusquement la perspective.

Dans ces pages, les existences sont ramenées aux corps qui ploient, craquent, frémissent et… aiguisent certains appétits. Car celle qui règne en maître sur l'ensemble est bien la Faim, celle qui gronde et tort le ventre, mine de l'intérieur et brouille le discernement au point que le drame semble inévitable. Perturbant, voire dérangeant, mais addictif.

J'ai trouvé que ce texte restait plus près de l'univers des contes que les précédents qui créaient une sorte de choc par leur décor historique plutôt réaliste. Nous avions adoré l'idée de transporter l'histoire du joueur de flûte de Hamelin dans le Saint empire romain germanique ou le conte de la princesse au petit pois dans l'Angleterre victorienne. Ici, l'ancrage réaliste m'a semblé moins clair : sommes-nous au Moyen-Âge ? S'agit-il plutôt d'une famille survivaliste vivant aux marges d'une époque plus récente ?

Ce sont peut-être ces doutes qui ont rendu la résonance contemporaine moins évidente que dans les romans précédents. Quoique des personnes soient régulièrement condamnées en France pour avoir volé de quoi manger et qu'on n'en parle pas beaucoup en littérature. Ce roman apporte aussi de l'eau au moulin des réflexions déjà amorcées sur les carcans genrés et les cinquante nuances de domination masculine. Il est encore question de l'âge adolescent, ses vertiges et prises de conscience. Et de l'hypocrisie bourgeoise qui boude les corps, s'efforce de les effacer et de dissimuler la bête qui sommeille en chacun de nous sous un vernis de conventions.

Saupoudrez l'ensemble de clins d'oeil à Saint Nicolas et Tomi Ungerer, Cendrillon et Boucle d'Or, et vous obtiendrez une savoureuse pépite gothique et féministe, à laquelle le rouge et le noir de la couverture siéent à ravir !
Lien : https://ileauxtresors.blog/2..
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Merci à L'école des Loisirs de m'avoir permis de découvrir ce roman !
La plume virevoltante de Flore Vesco est toujours à l'origine d'histoires riches à tous points de vue et "De délicieux enfants" ne fait pas exception à la règle.
Comme dans "D'or et d'oreillers", elle joue dès le prologue sur les attentes du lecteur et bouscule les clichés.

Et nous voilà embarqué dans une réécriture du "Petit Poucet". Encore que réécriture soit un terme bien faible pour qualifier la virtuosité avec laquelle Flore Vesco s'empare des thématiques initiales du conte (famille affamée, nombreuse fratrie, forêt inquiétante, enfants abandonnés...) pour y insuffler un message sur la puissance des femmes en usant d'un vocabulaire extraordinaire.

Une famille vivant isolée dans la forêt peine à traverser l'hiver faute de nourriture. Mais l'amour qui lie ses membres empêche d'envisager les extrémités auxquelles cèdent les parents du conte original. Tous les géniteurs n'ayant pas la même grandeur d'âme, voilà que sept garçons abandonnés frappent à la porte de la chaumière. Comment ne pas les accueillir ? Et dans le même temps comment les nourrir alors que les sept enfants de la famille n'ont rien dans le ventre non plus ?

L'arrivée de ces garçons fait entrer la société et ses jugements dans le foyer, et remet en cause l'organisation familiale et les valeurs transmises. Elle agit aussi comme un venin, rompant la belle unité qui liait la famille.
Chaque personnage (ou groupe de personnages) à la possibilité de s'exprimer en s'emparant de la narration des certains chapitres. Ce procédé a pour mérite de valoriser l'amour parental et la difficulté pour le père de voir grandir et changer ses enfants. Des passages que j'ai trouvé très touchants.
Et le lecteur de se rendre compte que le méchant n'est pas toujours celui que l'on croit. Les stéréotypes en prennent pour leur grade !

Sans trop en dire pour ne pas divulgâcher, j'ai adoré ce jeu sur l'identité et toutes les nuances et les variations de vocabulaire qu'il implique. le champ lexical de la chair, l'omniprésence de la couleur rouge (la couverture est magnifique et très bien vue à ce niveau-là) et quelques autres indices installent le lecteur dans une atmosphère étrange et l'invitent à être à l'affut de tout nouvel élément. C'est à la fois subtil et incontournable. Quel talent !

La vision de la famille est tout en nuances, entre volonté d'émancipation, douceur et poids du rôle attiré. J'ai particulièrement aimé les personnages de Tipou et de son père, leur énergie et leur amour l'un pour l'autre.
Je ne saurais que trop recommander ce roman riche et enlevé à tous les amoureux des contes et de la langue. Une nouvelle fois, Flore Vesco invite ses lecteurs à remettre en cause leurs préjugés et modernise une histoire connue de tous, tout en respectant fondamentalement son esprit. Une lecture très stimulante !
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Après la revisite de la Princesse au petit pois, Flore Vesco nous entraîne cette fois-ci au pays du Petit Poucet. Que se passe-t-il lorsque les 7 frères perdus rencontrent les 7 soeurs recluses de l'ogre ? Leurs nombreux points communs vont-il les réunir ? Ou leurs différences vont-elles se confronter et faire exploser les groupes et duos ?

J'avais beaucoup aimé D'or et d'oreillers et je suis ravie que Flore Vesco s'attaque à présent au Petit Poucet et ses frères, et surtout aux ogresses, qui sont au centre de son conte. Car à chaque personnage abandonné correspond une personne aimée et chérie... Flore Vesco nous rappelle qu'il faut se méfier des apparences, que la beauté extérieure n'a de sens que dans un cadre socio-normé et que les sentiments ont plus de valeur que les ambitions.
En nous immisçant dans la tanière de l'ogre et de l'ogresse, l'autrice met en exergue les liens qui unissent les êtres, entre fraternité, entre sororité, entre parents et enfants... bref, en famille. le père m'a beaucoup touchée, surtout dans ses angoisses de dépossession vis à vis de ses enfants. Il est beaucoup question de parentalité, d'entraide, de féminité, de survie et de famine. Car tous les personnages ont tellement faim, tout le temps, au propre comme au figuré. Faim de nourriture avant tout, évidemment, mais aussi faim d'émancipation, d'amour, de rédemption, de résilience...

La narration est absolument parfaite : les personnages racontent les événements de façon chronologique, chacun leur tour (Le père, la mère, les six enfants, Tipou...), nous donnant ainsi une version très personnelle et subjective de leur réalité. Les courts chapitres s'enchaînent à un rythme haletant. Même si les premières pages m'ont paru un peu lente, l'intrigue se met en place doucement, et tout s'accélère au fils des coups de théâtre (qui m'ont parfois bluffée !). L'ambiance est sombre, réaliste avec juste ce qu'il faut d'enchantement et de désenchantement, portée par la belle plume de Flore Vesco. L'autrice fait à nouveau preuve d'une maîtrise de la langue hors du commun. le style est fluide, travaillé, moyenâgeux, en totale harmonie avec l'époque et les personnages.

J'ai adoré dévorer ce conte revisité avec l'intelligence, l'acuité et toute l'élégance des mots dont est capable Flore Vesco !
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Que se passe-t-il quand les sept filles adolescentes de l'ogre rencontrent les sept garçons adolescents du bûcheron du conte du Petit Poucet ?

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Flore Vesco est devenue en peu de temps une autrice importante du paysage de la littérature pour la jeunesse française en quelques romans, tout d'abord chez Didier Jeunesse, de cape et de mots en 2015, Louis Pasteur contre les loups-garous en 2016, Gustave Eiffel et les âmes de fer en 2018 puis à l'Ecole des loisirs, L'Estrange Malaventure de Mirella en 2019, D'Or et d'oreillers en 2021 et enfin de délicieux enfants en 2024.

Flore Vesco est née en 1981. Après avoir enseigné le français en collège, elle publie son premier roman qui connaît immédiatement un grand succès. A partir de L'Estrange Malaventure de Mirella, elle revisite les contes, tout d'abord le Joueur de flûte de Hamelin des frères Grimm en y insérant des mots de la langue médiévale puis avec D'or et d'oreillers, La Princesse au petit pois de Hans-Christian Andersen mais aussi la Barbe-Bleue de Charles Perrault.

Flore Vesco a obtenu pour L'Estrange Malaventure de Mirella, le prix Vendredi 2019, le prix Sorcières 2020 dans la catégorie Carrément passionnant maxi et le prix Imaginales 2020 dans la catégorie Jeunesse. Elle a obtenu pour D'or et d'oreillers le prix Sorcières 2022 dans la catégorie Carrément passionnant maxi et a figuré dans la Honour List 2022 de l'International Board on Books for Young people, l'union internationale des livres de jeunesse. Elle a enfin été sélectionnée en 2024 pour le prix Astrid-Lindgren.

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Flore Vesco invente une variation sur le Petit Poucet avec aussi de multiples références au Petit chaperon rouge et à Hansel et Gretel. Elle imagine une toute autre histoire à la rencontre du Petit Poucet et ses six frères avec les sept filles de l'ogre. Elle joue sur la narration avec un roman choral donnant la parole dans de courts chapitres successivement à l'ogre, à la femme de l'ogre, aux six filles aînées et à la petite dernière, reflet féminin du Petit Poucet.

Il y a donc d'un côté Samuelle et Sophie, dix-sept ans, Andrée et Geneviève, quinze ans, Nicolette et Josine, quatorze ans et Pucelle, treize ans et de l'autre Guillaume, Guibert, Guichard, Guérin, Guillerand, Guimond et le Petit Poucet, accordés en âge aux ogrionnes.

Tous les héros ont atrocement faim, en permanence et Flore Vesco joue sur tout le champ lexical de cette faim. Il n'y a rien à manger, il n'y a rien à goûter, tout réveille alors les envies de dévoration, une pulsion inextinguible de bout en bout. Aussi est-il question de chair et de sang. le sang est omniprésent avec la couleur rouge obsédante, son odeur métallique, les taches, les giclées, les filets… C'est le sang de la viande que l'on ingère mais aussi le sang des jeunes filles qui deviennent femmes. Flore Vesco développe alors un message féministe, du sang menstruel aux jeunes ogrionnes qui assouvissent leurs désirs et sont appelées à dévorer les hommes qui se mettent sur leur route.

Flore Vesco développe donc, sous la forme d'un exercice de style, un roman à thèse sur le patriarcat - l'ogre possessif et dévoreur d'enfants, les frères du Petit Poucet bien décidés à dompter les ogrionnes -, la libération des femmes mais aussi un message politique avec cette famille ostracisée en raison de sa monstruosité. L'héroïne, c'est bien Tipou et son émancipation. le Petit Poucet disparaît et avec lui, une certaine lecture du conte dans laquelle le plus petit sauve sa famille.
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Flore Vesco a une nouvelle fois su m'envoûter avec de délicieux enfants, un ouvrage qui mêle habilement plusieurs contes, pour aboutir à une histoire fantasque et fantastique, un ouvrage sombre et fascinant, effrayant parfois, dans laquelle les femmes sont à l'honneur.

Des parents inquiets dans leur maison au milieu de la forêt. L'hiver est rude, et ils s'inquiètent pour leur progéniture : sept enfant qui grandissent. Trois paires d'enfants robustes, et le dernier, Tipou, différent, plus maigre, plus curieux aussi. Un décor bien inquiétant : une forêt peuplée de loups et de monstres. Au milieu, l'amour qui lie cette famille.

Et soudain, une rencontre inattendue : sept garçons abandonnés par leurs parents. Que faire ?

***

L'inconnu, à la fois attirant et inquiétant. Cette forêt sombre, interdite, qui attire Tipou.

Le rouge, celui de la couverture, si attirant. le rouge du sang, symbole de mort, mais aussi de vie. Symbole de puissance.

Le jugement de personnes « bien-pensantes » qui remet en cause le naturel et la fraîcheur. Une vision archaïque de la société et des femmes, un poison qui corrompt la belle harmonie qui régnait jusqu'alors.

Avec de délicieux enfants, Flore Vesco frappe fort. Elle nous perd, nous emmène là où on ne s'y attend pas. Elle joue avec nos attendus, nos souvenirs des contes, pour développer une histoire féministe, qui dénonce les stéréotypes et les préjugés.

Sa plume est toujours aussi agréable à lire : légère même dans les moments les plus sombres, virevoltante, juste. Les très nombreux points de vue, qui donnent la parole à toute la famille - un enchevêtrement de voix qui se superposent - tissent un scénario surprenant, dans lequel je me suis laissée porter. Dans lequel je me suis laissée perdre, pour mieux savourer cette histoire originale et moderne dans le propos.

Un titre à découvrir !

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critiques presse (1)
Elbakin.net
18 avril 2024
C’est un roman délicieux, qui se savoure, qui pétille sous la langue et qui surprend à chaque page. C’est un roman sur la faim, la vraie, sur la pauvreté la plus grande, celle où l’on en vient à perdre son humanité.
Lire la critique sur le site : Elbakin.net
Citations et extraits (21) Voir plus Ajouter une citation
"Il etait une fois un bûcheron et une bûcheronne qui avaient sept enfants, tous garçons. Ils étaient fort pauvres, et leurs sept enfants les incommodaient beaucoup. Ce qui les chagrinait encore c'est que le plus jeune était fort délicat et ne disait mot. Il était fort petit, et, quand..."
La bonne femme s'interrompit :
-Mais qu'est-ce que ces niaiseries ?
Elle feuilleta plus avant, le nez froncé. Les enfants espéraient qu'elle reprendrait la lecture...
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Je savais que les contes disent quelque vérité, et qu'une histoire peut être changée.
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- Et votre Perrault, il peut ranger sa plume délicate, qui s'offense de la chair et du sang. Qu'il ravale ses moralités, son désir d'éduquer les marmots et de recadrer les filles. Dans ma chanson, il y aura des larmes, de la bile, des méchancetés et des enfants crus. Ça ne vous apprendra rien du tout, quà trouiller. Mon récit ne sort pas d'un beau livre illustré, mais de mes boyaux : alors vous pensez bien qu'il ne fait pas joli sur le papier.
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Qui serait aussi méchant ? La fatigue nous fait perdre la tête. Nous ne voulons plus penser à tout cela. Dormons. Oublions. Ce soir de mauvais rêves viendront.
Sommes-nous bien bêtes ? Ou sommes-nous des bêtes ?
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Un conte pour point de départ, et pas n'importe lequel, celui du Petit Poucet. Comment est née cette idée de roman ?
- Comme pour mes précédentes réécritures, je pars d'un élément qui, dans le conte initial, m'interpelle. Dans Le Petit Poucet, je trouve fascinante la symétrie entre les deux familles : en lisière de la forêt, deux parents qui n'arrivent pas à nourrir leurs sept garçons. Au cœur de la forêt, une autre famille pareillement composée, sauf que les garçons sont des filles, et que les humains sont des ogres. Il y avait là de quoi jouer... Et puis, dans Le Petit Poucet, il y a cette scène centrale du conte, à peine esquissée et pourtant terrible, digne des Atrides et de toute notre culture antique pleine de cannibalisme : le moment où le père mange ses filles. Elle s'incarne, pour moi, dans la merveilleuse gravure de Gustave Doré. Le père, sans le savoir, met le couteau sous la gorge de sa progéniture. Les fillettes ont l'innocence des enfants endormis. Mais leurs bonnes joues, et les petits os qu'elles tiennent serrés dans leurs poings, nous rappellent qu'elles ne sont pas totalement inoffensives... Cette scène est incroyable, et bien sûr, le conte ne s'attarde pas dessus. Il m'a semblé intéressant de vraiment l'exploiter : poser les bases pour la faire doucement venir, la raconter, et dire l'après.

Vous présentez un thème fort. questionné par les générations actuelles : l'emprise du patriarcat, et ici, sa mise en place avec l'arrivée des six frères du Petit Poucet, qui peu à peu régentent la maison. Mais pourquoi donc les filles s'y plient-elle si facilement ? Pourtant, et heureusement, elles ne sont pas aussi dupes que ça...
- Ça ne saute pas aux yeux, mais je crois que le thème du patriarcat est latent dans le conte initial. Pour que le Petit Poucet et ses six frères échappent à la fringale de l'ogre, il fallait nécessairement que ce dernier ait sept enfants. Mais quel besoin que ce soient des filles ? Sept petits ogrions auraient aussi bien fait l'affaire... or Perrault a choisi une sororité. Je ne crois pas que ce soit anodin. Dans le conte, les sept filles sont dévorées, et on passe à la suite. Dans mon histoire... vous verrez. J'aimais l'idée de rappeler qu'il y a toutes sortes de monstres. Les contes sont moralisateurs, ils peignent de grands méchants parfaitement odieux et des héros impeccablement droits. J'espère être sortie de cette dichotomie.

Il y a aussi la question du sauvage, de l'organique, du souterrain, Désir féminin, menstrues, chair ingérée, digérée... Vos romans explorent souvent les tréfonds, ce qu'il y a de plus secret. Comme les contes, finalement ?
- Oui, exactement ! Les contes, dans leurs versions oralisées, celles qu'on se racontait dans les campagnes et que Perrault et d'autres ont ensuite rapportées par écrit, étaient à la fois très sombres et très près des réalités du corps.
Le Petit Chaperon Rouge mange une soupe faite du sang de sa grand-mère, la Belle au bois dormant se réveille enceinte... Perrault a pas mal épuré les versions paysannes, et Disney a poursuivi ce mouvement d'enjolivement. Mais je crois qu'on ne peut pas totalement faire disparaître ces épisodes violents et organiques, ils sont dissimulés dans les contes qu'on se raconte aujourd'hui, on les devine dans ce père qui va perdre ses enfants en forêt, ou cet autre qui mange ses filles, même si Perrault passe vite dessus. Il me plaît d'aller déterrer tout ça. Et de chercher les mots pour en parler ! Ce n'est pas facile... Ce roman-ci parle de tripes et de menstrues, et c'était clairement un nouveau défi stylistique !

Ce roman est une expérience de lecture extraordinaire. C'est un livre choral, où ceux qui parlent ne sont pas forcément qui l'on croit qu'ils sont. Pourquoi ce choix ? Comment gérer, en tant qu'autrice, autant de “voix” sans que ce soit exhaustif ou fastidieux ? Car là, ça ne l'est pas. On a très envie de savoir ce qui se passe dans la tête de chacun.
- La forme de ce roman m'a clairement donné du fil à retordre. J'ai dû trouver la voix de chacun. Puis bâtir l'histoire de manière que les prises de parole s'enchaînent bien : chaque personnage a sa propre quête, son point de vue, pourtant il faut que le tout forme un tableau cohérent. Et dans le même temps, ne pas donner trop d'informations pour maintenir le suspense, qu'on ne devine pas qui va l'emporter... J'ai eu l'impression d'écrire en étant à la fois au four et au moulin. Mais quand cela commence à prendre forme, le résultat est très satisfaisant !

interview de Flore Vesco pour l'Ecole des loisirs
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