Parmi les personnages arthuriens qui a suscité autant de créations artistique pour lui, il y a l'inoubliable Perceval le Gallois, le preux chevalier qui commence comme le nice ignorant mais qui est le premier à trouver le célèbre Graal (avant la création de Galahad qui va lui ravir cet exploit plus tard). Il y a bien sûr le Conte du Graal de Chrétien de Troyes dont il en surgit et qui reste l'ouvrage le plus mémorable du champenois, mais aussi
Parzival de l'allemand
Wolfram von Eschenbach roman très hétéroclite où notre héros a un demi-frère oriental et qui voit apparaître les thèmes légendaire du chevalier au cygne et du royaume du prêtre Jean et qui inspirera au XIXeme siècle Wargner avec Parsifal et Lohengrin, le conte gallois Peredur dans le
Mabinogion... et puis il y a l'étrange, le bizarre et le déroutant Perlesvaus où le Haut Livre du Graal, qui rend perplexe ses lecteurs et les érudits pour son contenu en décalage avec ceux racontant avec noblesse les faits et gestes épiques arthuriens. Son auteur est anonyme et proclame dès son introduction que son récit n'est qu'une réécriture d'une " authentique" histoire qu'aurait dicté un ange à un Josephé (Joseph d'Arimatie qui recueillit le sang du Christ où encore
Flavius Joséphe l'historien latin ?) Rien que cela peut vite poser d'ambiance Perlesvaus.
Se voulant comme une suite au roman de Chrétien de Troyes, il poursuit la quête de notre protagoniste pour le Graal mais toutefois l'entrecoupe des aventures de Gauvain (comme c'était déjà le cas chez Troyes) mais aussi Lancelot, et des événements qui se passent à Camelot. Malgré ces multiples disgressions, l'intrigue est bien là et on suit du début jusqu'à la fin notre valeureux Perceval. Enfin Perlesvaus surtout, nommé parce qu'il a perdu les Vaus, les eaux de son domaine. Et qu'ici, il est bien différent de son homologue initial. Car ici, Perlesvaus est incroyablement violent, s'attaquant à tout ce qui est différent et sans faire la dentelle, il décapite et réduit en morceaux ses ennemis et rêve de vengeance, sans avoir une once de pitié ni de mansuétude. Rassurez-vous c'est pas le seul élément perturbant de ce livre car tout le reste l'est !
En effet, et cela a frappé comme tout cela continue de frapper les esprits, le Haut Livre du Graal est d'une agressivité sans bornes et la brutalité y est démesurée, des morts nombreux, des tortures effroyables et des supplices sanglants y abondent à foison. La décapitation est le motif obsessionnel qui revient sans arrêt dedans avec notamment la mort d'Aristor adversaire de Perceval qui finit décollé, les macabres "ornements" du château des griffons, la demoiselle chauve qui traîne derrière elle une charrette remplie de têtes coupée et surtout le chef tranché de Lohot fils du roi Arthur que lui-même ouvre d'un coffre magique ayant le pouvoir de se mouiller de larmes à l'approche de proches... Des brigands sont pendus tandis qu'un château, une épouse est mutilée parce qu'on croit qu'elle folâtre avec Gauvain, un fils est sacrifié et dévoré par son père, des cadavres sont jetés en masse dans un fleuve et un ennemi se suicide dans les flammes ! Il y a une avalanche d'atrocités sanguinaires tels qu'on s'interroge même sur l'état mental de l'auteur, que certains avaient envisagé même comme un chevalier traumatisé par la guerre sainte dans les croisades (j'y reviendrai plus tard sur ce point-là). Toutefois, si certains passages sont réellement choquants (le moment avec Lohot...), au reste on tombe souvent dans le grotesque et l'absurde face à ces enchainement finalement peu crédibles d'horreurs, qui résonnent comme de simples scènes de films gores sans prétexte sérieux. Mais cela n'atténue pas l'atmosphère délétère et sombre qui y régne dans l'ouvrage, dans un monde en proie à la folie meurtrière où on tombe facilement comme une mouche et qu'au final toutes les quêtes que feront tous nos chevaliers n'y aboutiront pas, tous perdant lamentablement.
Cette violence se couple à une forte influence religieuse liée sans doute à celles des croisades qui sont dans l'air du temps. Nos chevaliers sont de bels chrétiens pourfendant les infidèles et autres méchants païens à détruire sans vergogne pour le Christ. Tout dans le roman sonne comme une hymne (féroce) au christianisme bien supérieur contre les autres religions forcément mécréantes (avec en cadeau un petit antisémitisme comme on les aime vu la dépréciation constante de l'Ancienne Loi face à la Nouvelle Loi) et on y voit la christianisation progressive du mythe arthurien avec la présence de Joseph d'Arimatie et de son lignage par son descendant Perceval qui le rend digne (ou pas...) du Graal. Et le fait aussi que Perlesvaus a été commissionné par Jean de Nesle, un des chefs de la ... Quatrième Croisade, qui sera connu pour être une des plus barbares avec le désastreux siège de Constantinople et la perte du pouvoir papale qui avait perdu tout contrôle sur les rois dirigeant la croisade. Bref, que du lourd...
Pourtant malgré l'ambiance fort peu pacifique et le ton très virulent et acerbe qui s'y dégage de l'ouvrage, la bizarrerie de Perlesvaus n'omet cependant pas son apport considérable à la légende arthurienne sur ses innovations. C'est ainsi qu'on trouve dans Perlesvaus les raisons du châtiment de Keu qui sera réutilisé dans le Lancelot-Graal où la Vulgate (où se situe notamment le fameux Mort Artu que j'ai déjà chroniqué, première oeuvre arthurienne dépeignant ouvertement et d'une intensité dramatique et tragique la fin du monde arthurien) cette série de romans arthuriens et certains actes de Perlesvaus se retrouveront dans La Morte d'Arthur de Malory. Claudas le roi de la Terre Déserte, l'ennemi du roi Arthur ainsi que les frères Ban et Bors dont leurs fils, Lancelot pour l'un et Bohort et Lionel pour l'autre vengeront fait sa première apparition dedans tout comme la bête glatissante. Enfin l'accent est davantage mis sur la lignée de Joseph d'Arimatie et le coté sacré du Graal qui sera fixé par la suite. Donc Perlesvaus est bien plus importante qu'on ne le croit.
Perlesvaus reste une curiosité médiévale à lire, son style bien que rébarbatif et guerrier, qui propose sa version originale et plus sauvage de la légende arthurienne qui en sera lissée dans les siècles suivants, et qu'il reste amusant de comparer avec les autres oeuvres. Voilà une lecture pas déplaisante malgré sa violence et qui nous entrevoit la pensée militariste et religieuse d'un siècle en pleine croisade.