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EAN : 9782073035059
240 pages
Gallimard (17/08/2023)
3.72/5   1636 notes
Résumé :
"Les premières lignes du prologue nous mettent sur la piste d'une enquête policière avec comme narratrice celle qui va la mener. Une disparition, banale pour un polar. Un couple et son fils de huit ans.

Sauf que nous sommes en 2049, dans une France dystopique où on vit à l'ère de la Transparence depuis la Revenge week de 2029, révolution qui a éclaté suite à un énième crime jugé impuni par une population excédée par le laxisme de la justice. Pour se l... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (272) Voir plus Ajouter une critique
3,72

sur 1636 notes
°°° Rentrée littéraire 2023 # 20 °°°

Les premières lignes du prologue nous mettent sur la piste d'une enquête policière avec comme narratrice celle qui va la mener. Une disparition, banale pour un polar. Un couple et son fils de huit ans.

Sauf que nous sommes en 2049, dans une France dystopique où on vit à l'ère de la Transparence depuis la Revenge week de 2029, révolution qui a éclaté suite à un énième crime jugé impuni par une population excédée par le laxisme de la justice. Pour se libérer du Mal, les Français ont désormais le choix : vivre dans des quartiers transparents composés de maisons-vivariums. Un moins pire des mondes où on ne peut plus battre sa femme, maltraiter un enfant ou une personne âgée en EHPAD puisque la moindre suspicion de crime déclenche immédiatement une réaction des voisins, tous en hyper vigilance sur ce qu'il se passe à côté de chez eux.

La famille qui a disparu vit dans un de ces quartiers de verre huppés ultra sécurisés. Comment donc trois personnes peuvent-elle s'évaporer dans un monde où personne ne peut rien cacher ? L'enquête en elle-même est bien menée, mais manque de complexité ( tout est prévisible ) ... en amatrice de polars, je suis restée quelque peu sur ma faim.

Evidemment, l'essentiel pour l'autrice n'est dans la trame polar. Il réside dans l'anti-utopie que Lilia Hassaine a très intelligemment imaginé. On n'est clairement pas dans la dystopie cauchemardesque à la 1984 ou La Servante écarlate, mais dans un monde tellement proche du notre que le léger décalage en devient d'autant plus crédible et donc glaçant.

Des procès populistes en direct-live sur les réseaux sociaux pour infliger des peines aux délinquants. Des zones de droit, immeubles emmurés hors de la Transparence, dans laquelle vivre est une circonstance aggravante en cas de procès. Exhibitionnisme de ceux qui aiment être vus, vie affichée parfaite et sourire figé. Intimité impossible sauf à s'enfermer dans un lit sarcophage pour faire l'amour sans être vus … ou pas.

Mille détails à la lucidité terrifiante font immédiatement tilt dans notre esprit, d'autant que l'écriture de Lilia Hassaine est nette, sans fioritures, lisible et didactique, ce qui permet au lecteur de complètement croire à ce monde transparent. La narration est étonnamment calme et posée, resserrant l'intrigue au maximum de l'épure. On y perd un peu en haletant même si jamais l'intérêt ne retombe. Surtout, le lecteur est poussé à réfléchir de façon très fertile et stimulante.

L'autrice écrit vraiment fort bien et on aurait envie de noter de très nombreuses phrases qui résonnent avec l'évolution dérangeante de nos sociétés contemporaines. Par contre, l'ensemble est très froid, clinique, le cérébral prend le pas sur l'émotion. Ce n'est pas un défaut en soi, mais là, j'ai regretté de ne pas vibrer avec les personnages car je pense que cela aurait amplifié la réflexion à la Black Mirror, déjà riche. Cela aurait pu être moins désincarné avec plus de pages, notamment pour étoffer le bon personnage d'Hélène, l'enquêtrice quinquagénaire qui a connu le monde d'avant et voit ses certitudes voler en éclats à mesure qu'elle découvre la vérité sur ce qui se cache derrière les apparences.

« Une brèche s'est ouverte dans ma conscience. Je rêve de nouveau et voudrais ne plus jamais quitter mon lit. Depuis que j'ai commencé mon enquête, mon cerveau explore de nouveaux territoires. Il émet des hypothèses, il réfléchit sans moi. Pendant des années, mon sommeil n'était qu'une parenthèse, un tunnel interminable. le monde qui m'entourait était exactement ce qu'il avait l'air d'être, et je n'avais plus besoin de l'interpréter ni de le comprendre. Cette nuit, j'ai eu le sentiment de renouer avec l'invisible, avec tous ces signes, ces images qui échappent au langage, à la rationalité. »
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Fenêtre sur cour à tous les étages.
Hitchcock peut ranger sa caméra. En 2049, terminées les cachotteries et les petites manies honteuses. Les familles vivront dans des vivariums exposés à l'oeil curieux des passants et des voisins chargés de s'assurer qu'aucune violence agite le cocon familial. Vivons heureux, vivons exposé ! c'est le paradis des voyeurs. Il ne restera plus que la voiture pour se curer le nez.
Plus la peine de se planquer derrière les rideaux ou de sortir les jumelles pour espionner en cachette les moeurs et les fréquentations du type louche d'en face ou les formes de la blonde du troisième.
Pavillons en verre sans aucun angle mort pour préserver un peu d'intimité. Juste quelques vitres fumées seront autorisées dans l'espace douche et pour les toilettes.
S'agissant du devoir conjugal hebdomadaire, pour éviter le lèche vitrine, un sarcophage romantique sera dédié à la discipline pour s'isoler avec bouton d'urgence relié au commissariat en cas de migraine soudaine, d'humeurs moins badines, si Monsieur a oublié d'enlever ses chaussettes ou si finalement il y a un match à la télé.
La transparence a remplacé la liberté dans la devise nationale pour garantir la sécurité de tous. Impossible de laisser tomber un emballage dans le mauvais bac sans risquer une dénonciation, impensable de punir la marmaille sans voir débarquer les services sociaux, inutile d'essayer de se gaver de mal bouffe en cachette sur son canapé ou d'allumer un cigare sans avoir un rappel à l'ordre du Ministère de la Santé. Qui a dit on dirait des vacances en Suisse ? Attention, on vous a à l'oeil. L'intimité est sacrifiée à la sécurité et une forte présomption de culpabilité pèse sur les derniers réfractaires au naturisme des moeurs.
Comme si cette vie de cobaye ne suffisait pas, la justice se rend à la majorité de clics sur les réseaux sociaux. Pour perpète, tapez 3. Pour la relaxe, tapez sur qui vous voulez. Tous les avis sont autorisés.
Ce modèle de société sous surveillance permanente résulte d'une révolution survenue en 2029 lors de la « Revenge Week », semaine du Talion durant laquelle toutes les victimes de crimes prescrits ou impunis s'étaient faits justice eux-mêmes.
Dans cette ère de la Transpa rance qui n'a fait que succéder à la religion du selfie, à la sacralisation du moi, à la dictature du paraître et à la petite musique solo du « on ne s'occupe pas assez de soi » alors que l'on ne fait plus que cela, la disparition inexplicable d'une famille dans un quartier ultra sécurisé va rappeler que derrière les apparences d'une société parfaite, bien peignée qui sait recevoir à défaut de savoir donner, la nature humaine porte toujours le gène de la violence, quelques atomes de fureurs et des cellules dormantes de pulsions invisibles. Un peu longue cette phrase, vous pouvez souffler.
Le roman de Lilia Hassaine avait donc tout pour me passionner mais je n'ai pas trouvé l'histoire à la hauteur du propos. Les quelques pages contextuelles qui décrivent le basculement de la société dans le règne de la transparence sont plus intéressantes que l'intrigue banale et bancale qui décore le récit pendant 200 pages. J'ai presque eu l'impression que le roman commençait à la fin de l'histoire, que je suivais une course après la ligne d'arrivée, quand les athlètes en sueur n'ont plus rien à donner à part leur odeur. le devenir de cette famille m'a autant passionné que la météo de la semaine dernière.
C'est vraiment dommage car le style épuré et froid comme le salon d'une maison témoin, parfait pour épater des convives lors d'un diner, mais débarrassé de toute forme de vie, colle très bien à la description d'une époque aseptisée.
Une approche plus américaine du récit, qui raconte plus qu'elle ne suggère, aurait à mon sens offert davantage de saveur à cette dystopie du lendemain qui déchante. Je le dis rarement et pas trop fort, mais je pense qu'il manque une bonne centaine de pages à ce roman pour répondre à l'ambition du propos. Les limites du pouvoir de suggestion.
« Panorama » propose un joli point de vue. Il lui manque juste la vision périphérique d'une Lionel Shriver ou d'une Emily St.John Mandel.
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A la frontière entre utopie et dystopie c'est un roman plaisant à l'idée intéressante et écrit sous la forme d'un thriller dont l'enquête tient en haleine.

En 2049, dans un monde pourtant placé sous haute surveillance Hélène, Gardienne de protection, est appelée sur une enquête qui déstabilise la communauté : un couple, les Royer-Dumas et leur jeune garçon a disparu dans un monde ou crimes et disparitions ne sont plus censés exister.

Les investigations permettront de remonter 20 ans auparavant aux premières heures de la nouvelle Révolution française la « Revenge Week » qui installa en France un climat insurrectionnel par lequel « les victimes punissent les bourreaux ».
Beaucoup se feront justice eux-mêmes et c'est dans ce contexte glaçant que le mouvement de « la Transparence citoyenne » voit le jour.
Comme bien des violences se perpétuent entre les murs, la pierre a été remplacé par le verre donnant naissance à des habitations vitrées où chacun vit sous le regard de l'autre renonçant à son intimité dans un souci de pacification. le regard du Big Brother orwellien ici est celui de tout un chacun mais c'est un regard consenti. D'autres quartiers vivent de manière marginale loin de la transparence refusant surveillance et sécurité.

La narratrice livre une observation clinique de ce monde aseptisé où la transparence est poussée à l'extrême et la surprotection prime sur les libertés entraînant clivage et déshumanisation.
« il suffit d'une alarme pour qu'ils se réveillent tous, observant par les vitres, la sauvagerie des hommes, curieux du moindre évènement, d'une dispute conjugale, ou d'une arrestation».

En fouillant dans la vie, l'appartement et le voisinage des Royer-Dumas, en investiguant dans les zones de non-droit en marge des quartiers transparents, la narratrice se remémore son passé, livre ses déboires amoureux et ses réflexions sur ce monde qui accorde peu de place à l'intimité et au secret.

Avec peu d'indices l'enquête piétine et ce n'est qu'un an plus tard qu'une vérité surprenante éclatera …Révélant que finalement cette « transparence » communautaire ne peut rien contre l'opacité des individus.
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Extrapolant à l'extrême nos tendances contemporaines, Lilia Hassaine imagine une crédible contre-utopie, où la dictature de l'ultra-transparence aboutit au triomphe de l'hypocrisie dans une société retranchée derrière les apparences.


Nous sommes en 2049. Depuis que, vingt ans plus tôt, la « Revenge Week » – semaine de la vengeance – a tourné à la révolution sanglante lorsque les victimes de harcèlement, de crimes familiaux et de délits écologiques ont entrepris de se faire justice dans la violence, et que, pour apaiser le pays, le gouvernement a adopté une nouvelle Constitution, la France métamorphosée vit sous le règne de la Transparence, un « pacte citoyen fondé sur la bienveillance partagée et la responsabilité individuelle ». Ceux qui le désirent – précisons : et qui en ont les moyens – peuvent vivre en totale sécurité dans des quartiers transparents, constitués d'habitations de verre qui les livrent au regard bienveillant et protecteur d'autrui. Les autres sont libres de s'entasser en marge, à leurs risques et périls, dans des zones de non-droit – devenues, il faut le dire, de plus en plus défavorisées au fil du temps.


C'est dans l'un de ces quartiers de verre, où ni secrets ni criminalité n'existent plus, qu'à la stupéfaction générale, une famille s'évapore au nez et à la barbe de tous. Ravie de reprendre du service alors qu'elle n'était plus depuis longtemps qu'une « gardienne de protection », une ex-commissaire est chargée d'enquêter. Car, crime il y a bien eu. Et, malgré les déboires de sa propre vie privée et, bientôt, les pressions dans cette société boule de verre propice aux effets de loupe, il va lui falloir faire la part des mensonges et des hypocrisies pour mettre au jour les vérités sordides camouflées sous la perfection affichée.


Captivé par le suspense et par l'original – mais jamais invraisemblable – imaginaire de ce récit habilement construit, dans une langue vive et élégante, entre fable et polar, l'on se retrouve face au miroir, pas si déformant, qu'avec une lucidité critique, l'auteur tend à la société d'aujourd'hui. Montée des populismes, libertés sacrifiées aux obsessions sécuritaires, confusion entre opinion et justice. Vies privées mises en vitrine sur des réseaux sociaux favorisant par ailleurs l'isolement, le conformisme et l'emballement émotionnel au détriment de la réflexion. Vie liquide de l'éphémère et de l'immédiateté, mirage et dictature des apparences dans un monde où tout le monde surveille tout le monde, se compare, aime ou déteste en stigmatisant la différence. Nettoyage des textes de tout ce qui peut paraître incorrect, wokisme : autant de glissements actuels de la société qu'il suffit juste à l'auteur de prolonger pour nous présenter une vision de cauchemar dont il faut bien reconnaître qu'elle paraît à peine dystopique.


C'est un panorama bien inquiétant que nous présente ce roman d'anticipation auquel on n'a aucun mal à croire, tant il reflète de vérités sur les tendances de la société contemporaine. Plus encore qu'une dystopie originale et un polar addictif, ce troisième livre de Lilia Hassaine est un puissant roman social, riche de sens et fort habilement construit. Coup de coeur.

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Imaginez une ville où les maisons ont des grandes baies vitrées donnant accès à votre intimité. Votre vie exposée à tout le voisinage. C'est ce que raconte Lilia Hassaine dans cette dystopie un brin dérangeante.
« La transparence a de bons côtés
Elle nous a rendus plus attentifs aux autres. Face à la solitude, la tristesse, la maladie, il y aura toujours un voisin pour sonner chez vous »
Oui mais voilà, ce monde transparent qui prône la sécurité et la bienveillance n'est pas sans risques. On s'épie et on se sait épié, pas toujours facile à vire. Bien sûr, ce modèle de transparence s'adresse à une élite qui a les moyens. Les autres, marginaux et rebelle, vivent aux Grillons.
« Les habitants vivent dans des barres d'immeubles surpeuplés, ou dans des pavillons aux murs et cloisons en béton. Ils vivent hors de la Transparence, par manque de moyens pour certains, par volonté pour d'autres, et ils en ont le droit. »
Dans ce monde coupé en deux, ce sont les citoyens qui jugent les crimes et les délits de leur quartier, encore un effet de la Transparence.
Mais si le crime a disparu, cet équilibre va être remis en cause par la disparition d'une famille. Hélène, qui n'est plus policière mais gardienne de protection, va enquêter sur cette disparition mystérieuse. Elle-même vit dans une maison transparente, avec, comme avantage, d'avoir remis son mari volage dans le droit chemin. Pourtant, ils n'ont plus rien à se dire et la relation devient toxique. Il finira par la quitter pour une instagrammeuse. Pourtant, Hélène est toujours amoureuse de son mari infidèle et leur relation ambivalente n'est pas convaincante.
A travers l'enquête, Lilia Hassaine cherche à nous démontrer la menace sur les libertés individuelles et sur la vie privée dans ce monde de transparence. Elle fait le parallèle avec les réseaux sociaux où s'exposent nos vies privées.
L'idée est fort alléchante, sauf que, après un début prometteur, on s'enlise dans les lieux communs et les stéréotypes. Je m'attendais à une analyse plus approfondie d'une société du paraitre où le vivre ensemble proscrit le droit à l'intimité.
Et que dire des personnages ? Ils semblent s'ennuyer…et nous avec !


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critiques presse (8)
LeJournaldeQuebec
02 janvier 2024
Une histoire fascinante qui fait réfléchir.
Lire la critique sur le site : LeJournaldeQuebec
Culturebox
12 décembre 2023
Une société déshumanisée que l’espoir a déserté. Chapitres courts, style fluide, Lilia Hassaine nous tend un miroir pas si déformant.
Lire la critique sur le site : Culturebox
LaPresse
25 octobre 2023
Dans son roman "Panorama", l’écrivaine française Lilia Hassaine a imaginé une société où la transparence aurait été poussée à l’excès. Une dystopie troublante qui se fait le miroir des paradoxes sociétaux de notre époque.
Lire la critique sur le site : LaPresse
LePoint
16 octobre 2023
Dans un roman dystopique, l’écrivaine dépeint, à travers l’enquête sur la disparition d’une famille, le cauchemar d’une société vouée à la transparence.
Lire la critique sur le site : LePoint
LeFigaro
05 octobre 2023
Le troisième roman de Lilia Hassaine brille par la maîtrise de sa construction, le sens du récit et du suspense.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Bibliobs
13 septembre 2023
Dans cet excellent thriller d’anticipation, la journaliste et romancière imagine une société où chacun évolue sous le regard des autres, dans une transparence absolue. Une dystopie d’autant plus inquiétante qu’elle est crédible.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Culturebox
08 septembre 2023
Un ouvrage qui imagine la France en 2049, dans une France parano et hypocrite, où une transparence totale s'est imposée aux citoyens, sur fond de polar avec la disparition inexpliquée d'une famille.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Culturebox
21 août 2023
La jeune romancière signe avec "Panorama" un roman sur le cauchemar d’une transparence poussée jusqu’à l’absurde. Délicieusement écœurant.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Citations et extraits (140) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
Prologue
Derrière la baie vitrée, une femme est assoupie. Sa poitrine se gonfle et s’affaisse comme la houle matinale. Nico se colle contre son dos et embrasse ses cheveux défaits. Je n’avais encore jamais vu de blonde dans son lit.
Nico a décidé d’oublier et de vivre. Moi je n’y arrive pas, et je me demande encore comment les choses ont pu déraper à ce point.

C’était il y a tout juste un an.
Une famille a disparu, là où personne ne disparaissait jamais.
On m’a chargée de l’enquête, et ce que j’ai découvert au fil des semaines a ébranlé toutes mes certitudes. Il ne s’agissait pas d’un simple fait-divers mais d’un drame attendu, d’un mal qui irradiait tout un quartier, toute une ville, tout un pays, l’expression soudaine d’une violence qu’on croyait endormie.

Mais avant de vous raconter cette histoire, il me faut remonter le temps. Car aucun des évènements du 17 novembre 2049 ne peut être compris si l’on ignore ce qui s’est produit ici vingt ans auparavant,
quand nos villes, qui furent des jungles, sont devenues des zoos.

Première partie
I 2029
La scène se passe dans l’Auditorium de Radio France. Gabrielle Boca, jeune femme à la détermination tenace, s’avance à la tribune et d’un geste solennel retire sa toge. L’assemblée applaudit. Des centaines de citoyens, dont je fais partie, ont été tirés au sort pour assister à son discours, retransmis en direct à la télévision et sur Internet. C’est un jour historique. Ce 26 octobre 2029, on fait le procès de la Justice.

« Chers amis, j’ai été la première à me repentir. J’ai rendu ma carte d’avocate, jeté ma robe, demandé pardon. À vous qui avez cru en l’institution judiciaire, vous qui avez été entendus sans être écoutés, je veux redire ces mots : la Justice a trahi. La justice du passé, celle des magistrats nommés par le pouvoir, celle de la présomption d’innocence et de la prescription, cette justice a failli. Incapable de défendre les plus fragiles, elle s’est vautrée dans des compromissions et des effets de manches. Combien de crimes ainsi ignorés ? Combien de victimes sacrifiées ? Ces victimes, nous les avons condamnées à purger une peine à perpétuité, par notre laxisme envers leurs agresseurs. Mais cette époque est maintenant révolue. »

Une musique s’élève du fond de la salle. Le souffle d’un hautbois, et l’âme tourmentée d’un violon. Je ferme les yeux. Un homme tape de plus en plus vite, de plus en plus fort, sur une peau tendue. Je crois deviner des timbales, mon souffle s’accélère, j’ai mal au crâne. Au tintement des cymbales, je pars. Je me souviens de la haine des jours, de la sauvagerie des nuits, des femmes aux ailes d’Érinyes et du goût amer de leur vengeance. Je me souviens d’être restée paralysée. Sept jours. Ça a duré sept jours.

Tout a commencé quand un célèbre influenceur du nom de Julian Gomes a porté plainte contre son oncle. À son million d’abonnés, il avait raconté comment cet homme l’avait violé quand il était petit et expliqué les répercussions qu’un tel secret avait eues dans sa vie. Malgré le retentissement de l’affaire, les interviews, les articles dans les journaux, la plainte fut classée sans suite : les faits étaient prescrits.

Julian Gomes propose un sondage à sa communauté. Doit-il se faire justice lui-même ? La réponse est oui, à 87 %. Le lendemain matin, muni d’une caméra frontale, il se rend au 6 boulevard Arago, à Paris, grimpe les six étages qui le séparent de son destin, toque à la porte de son oncle et lui plante un couteau dans la gorge. Julian retourne la caméra vers lui et s’effondre en larmes.

Après son arrestation, des messages de soutien affluent du monde entier pour demander sa libération. Face à l’absence de réaction du gouvernement, des manifestations éclatent un peu partout en France. On brandit les photographies d’accusés relâchés, les visages des « salopards » jamais poursuivis. Les témoignages se multiplient : chacun exprime ses griefs personnels à l’encontre de l’autorité judiciaire, sa lenteur, son inefficacité. Le site du ministère de la Justice est piraté et renommé « ministère de l’Injustice ».

Une nuit, alors que le Tribunal de Paris est envahi par une centaine de femmes, membres d’une association de victimes de violences conjugales, le ministre de l’Intérieur ordonne leur expulsion. Elles refusent d’obtempérer, se débattent, et l’une d’elles est matraquée par un policier. La séquence, diffusée à la télévision, attise la colère des manifestants. Sur les réseaux sociaux, des centaines de jeunes se coordonnent pour mener des actions ciblées. Ils veulent imiter le geste de Julian Gomes, tous ensemble, et au même moment.

Le hashtag « Revenge Week » – semaine de la vengeance – devient viral. Un climat insurrectionnel s’installe en France. Les victimes punissent leur bourreau. Une jeune salariée de Mulhouse défenestre le patron qui l’avait harcelée pendant des années. Un étudiant d’Amiens pousse sur les rails d’un train son voisin, un ancien militaire qui battait son chien. Le patron d’un empire pétrolier, responsable d’une marée noire, est empoisonné par des militants écolos. Les parents maltraitants, les prêtres pédophiles, les flics abusifs, les « pourris » en liberté sont éliminés les uns après les autres. Ces crimes sont filmés, relayés et likés par des centaines de milliers de personnes. À Béziers, un homme âgé se présente au commissariat pour se dénoncer : il a tripoté des gamins à l’époque où il était directeur sportif d’un club de foot. Il sait que ses anciens élèves sont à ses trousses, ils ont posté sa photo et cherchent son adresse. Il craint pour sa vie et insiste pour être incarcéré. Les policiers lui demandent de revenir plus tard, sans garantir de pouvoir lui trouver une place en cellule. L’effet de sidération est tel que personne – y compris dans mon unité – n’ose bouger.

Le président de la République – menacé à son tour – se réfugie au fort de Brégançon, laissant le pouvoir vacant.

Après sept jours de Terreur, Julian Gomes est libéré.
Gabrielle Boca, la très médiatique avocate de l’influenceur, lance le mouvement « Transparence citoyenne » pour aider les individus qui se trouvent dans la même situation. Soutenue par d’autres repentis des corps exécutif et législatif, elle propose la grâce pour tous les actes commis lors de la Revenge Week, à condition que les violences cessent : « Une procédure d’exception doit être mise en place pour épargner ceux que la Justice n’a pas su protéger par le passé. Les vengeurs d’un jour seront auditionnés et fichés, car la vengeance n’est pas et ne sera jamais acceptable en démocratie, mais je suggère qu’ils ne soient pas condamnés. Montrons-nous indulgents avec ces victimes coupables de crimes, ces justiciers qui ne représentent aucun danger pour la société. »

Sa pétition réunit les signatures de trois millions de Français en moins de vingt-quatre heures. Devant un tel plébiscite, Transparence citoyenne veut aller plus loin. Gabrielle Boca lance des « états généraux » en ligne pour que les citoyens imaginent un nouveau modèle de gouvernance. En quelques mois, le mouvement démantèle les institutions pour les réduire à de simples administrations. Les lois, tout comme les décisions de justice, seront désormais discutées et votées par le peuple lui-même sur Internet. Les documents ministériels (sauf ceux de la Défense) seront rendus publics. La classe politique, jugée corrompue, est désavouée.

Quand j’ouvre les yeux, le discours se termine. Autour de moi, des adultes, des enfants, aux joues peintes en bleu, blanc, rouge. Viktor Jouanet, un jeune architecte, membre actif du mouvement, est invité à monter sur l’estrade par Gabrielle Boca. Il se racle la gorge, écarte d’une main la mèche qui lui barre le front : « Nous avons accompli une révolution en quelques mois à peine : faire de la France une démocratie réelle, rendre le pouvoir au peuple. Néanmoins, si la Transparence veut perdurer, elle doit d’abord s’appliquer à nous-mêmes. Les viols, la maltraitance, les abus, les agressions, toutes les violences commises envers les humains et les animaux, ont un point commun : ils se déroulent à l’abri des regards, derrière les murs, dans les chambres des maisons et dans les ascenseurs des entreprises. Les espaces clos sont dangereux. Les murs sont menaçants. Chacun d’entre nous, et pour le bien de tous, devrait accepter de renoncer à une part d’intimité ; il en va de la paix civile. »

L’architecte scelle ce jour-là, en accord avec les citoyens, les normes d’un nouvel urbanisme. Le baron Haussmann avait transformé Paris au XIXe siècle pour plus de salubrité et de sécurité. Les grands travaux de Viktor Jouanet viseront à un « assainissement moral » et à une « sécurité optimale ». Les constructions modernes seront transparentes. On rénovera les lieux de culte et monuments du patrimoine qui peuvent l’être : les murs de pierre seront remplacés par des vitres. On détruira les logements, les écoles, les prisons, les hôpitaux, les commerces pour construire des maisons-vivariums, où chacun sera garant de la sécurité et du bonheur de ses voisins.

« Au fond, qu’avons-nous à cacher ? Si nous n’avons rien à nous reprocher, pourquoi ne pas accepter de tout montrer ? »

L’assemblée applaudit et entonne La Marseillaise.

II 2050
En vingt ans, la France s’est métamorphosée. La nuit, des lumières rouges éclairent l’intérieur des maisons. La journée, on compte sur la vigilance des voisins. Les industriels ont réussi à produire un matériau innovant, le verre XPUR, plus isolant, moins réfléchissant, marqué de fines rainures noires pour éviter que les oiseaux ne se cognent dessus. Ces stries sont presque invisibles à l’œil nu mais les volatiles parviennent à les distinguer – la plupart du temps.

Avec ma fille Tessa et mon mari David, nous vivons dans l’une de ces maisons de verre. Personne ne nous y a obligés. Aucun dictateur ni despote. La société s’est régulée d’elle-même, par capillarité. La nouvelle d
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2029

La scène se passe dans l’Auditorium de Radio France. Gabrielle Boca, jeune femme à la détermination tenace, s’avance à la tribune et d’un geste solennel retire sa toge. L’assemblée applaudit. Des centaines de citoyens, dont je fais partie, ont été tirés au sort pour assister à son discours, retransmis en direct à la télévision et sur Internet. C’est un jour historique. Ce 26 octobre 2029, on fait le procès de la Justice.
 
« Chers amis, j’ai été la première à me repentir. J’ai rendu ma carte d’avocate, jeté ma robe, demandé pardon. À vous qui avez cru en l’institution judiciaire, vous qui avez été entendus sans être écoutés, je veux redire ces mots : la Justice a trahi. La justice du passé, celle des magistrats nommés par le pouvoir, celle de la présomption d’innocence et de la prescription, cette justice a failli. Incapable de défendre les plus fragiles, elle s’est vautrée dans des compromissions et des effets de manches. Combien de crimes ainsi ignorés ? Combien de victimes sacrifiées ? Ces victimes, nous les avons condamnées à purger une peine à perpétuité, par notre laxisme envers leurs agresseurs. Mais cette époque est maintenant révolue. »
 
Une musique s’élève du fond de la salle. Le souffle d’un hautbois, et l’âme tourmentée d’un violon. Je ferme les yeux. Un homme tape de plus en plus vite, de plus en plus fort, sur une peau tendue. Je crois deviner des timbales, mon souffle s’accélère, j’ai mal au crâne. Au tintement des cymbales, je pars. Je me souviens de la haine des jours, de la sauvagerie des nuits, des femmes aux ailes d’Érinyes et du goût amer de leur vengeance. Je me souviens d’être restée paralysée. Sept jours. Ça a duré sept jours.
 
Tout a commencé quand un célèbre influenceur du nom de Julian Gomes a porté plainte contre son oncle. À son million d’abonnés, il avait raconté comment cet homme l’avait violé quand il était petit et expliqué les répercussions qu’un tel secret avait eues dans sa vie. Malgré le retentissement de l’affaire, les interviews, les articles dans les journaux, la plainte fut classée sans suite : les faits étaient prescrits.
 
Julian Gomes propose un sondage à sa communauté. Doit-il se faire justice lui-même ? La réponse est oui, à 87 %.

(INCIPIT)
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Notre seul vis-à-vis, c’est l’horizon, et les mouettes qui s’ébrouent sur le rebord des fenêtres. Nos smartphones sont restés à Bentham, nous ne ferons pas de photos, pas de vidéos non plus, nous nous créerons des souvenirs qui s’effaceront peut-être. Nous avons prévu de sauter dans les vagues, de faire des balades à vélo et d’aller au musée, de regarder les œuvres, de les regarder vraiment. Et puis il y a les huîtres, les palourdes, les tourteaux, les praires et les bulots, tout ce qui vient de la mer et qui en a le sel.

Ce qu’on aura vécu, on ne pourra pas le montrer, il faudra en parler. Trouver le verbe juste, décrire une émotion, dépeindre une couleur, raconter un visage.

Depuis plusieurs années, mes photos s’accumulent dans des boîtes numériques, je ne les développe jamais, qu’elles soient sans intérêt ou qu’elles soient plus précieuses. Je sais où elles se trouvent, rien d’autre n’a d’importance, j’accumule, j’accumule, je partage avec mes amis, j’envoie à la famille, qui ne posent pas de questions. C’est beau, c’est cool, profitez ou un smiley sont des réponses qui suffisent à me combler jusqu’à la fois prochaine.
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Les enfants ont disparu des rues, ils ne jouent plus au ballon et passent leurs journées avec des casques de réalité virtuelle vissés sur le crâne. Ils partent en vacances dans des paysages éphémères et construisent des châteaux de sable sur des plages virtuelles face à des océans artificiels. Quand ils retirent leurs casques, leurs parents ne leur semblent pas plus réels. Ils ont tout fait pour incarner ce qu’ils rêvaient d’être, physiquement et professionnellement, devenant peu à peu leurs propres avatars. Soyez vous-même en mieux, promet la publicité de la clinique Élite, à Chareau, spécialiste du ravalement esthétique.
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Dans un monde où tout le monde peut observer tout le monde, les disparitions sont des évasions. Surtout, ils habitent à Paxton, le coin le plus huppé de la ville. En tant qu’habitante de Bentham, un quartier moins aisé, je peux vous assurer que leur protection est optimale. Chez eux, la Transparence est une religion. Les voisins sont vigilants et les baies vitrées gigantesques. Personne ne possède de voiture ; un tramway, transparent forcément, circule nuit et jour à Paxton, et il est toujours bondé. À l’entrée de ce district, des gardiens privés contrôlent les allées et venues des habitants et enregistrent l’identité de leurs invités. Même les plantes poussent bien droit, aidées par des tuteurs en bois. C’est le quartier des orchidées et des fleurs sans épines. Là-bas, tout n’est que luxe, calme et sécurité.
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