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Critique de Kirzy


Kirzy
22 septembre 2023
°°° Rentrée littéraire 2023 # 20 °°°

Les premières lignes du prologue nous mettent sur la piste d'une enquête policière avec comme narratrice celle qui va la mener. Une disparition, banale pour un polar. Un couple et son fils de huit ans.

Sauf que nous sommes en 2049, dans une France dystopique où on vit à l'ère de la Transparence depuis la Revenge week de 2029, révolution qui a éclaté suite à un énième crime jugé impuni par une population excédée par le laxisme de la justice. Pour se libérer du Mal, les Français ont désormais le choix : vivre dans des quartiers transparents composés de maisons-vivariums. Un moins pire des mondes où on ne peut plus battre sa femme, maltraiter un enfant ou une personne âgée en EHPAD puisque la moindre suspicion de crime déclenche immédiatement une réaction des voisins, tous en hyper vigilance sur ce qu'il se passe à côté de chez eux.

La famille qui a disparu vit dans un de ces quartiers de verre huppés ultra sécurisés. Comment donc trois personnes peuvent-elle s'évaporer dans un monde où personne ne peut rien cacher ? L'enquête en elle-même est bien menée, mais manque de complexité ( tout est prévisible ) ... en amatrice de polars, je suis restée quelque peu sur ma faim.

Evidemment, l'essentiel pour l'autrice n'est dans la trame polar. Il réside dans l'anti-utopie que Lilia Hassaine a très intelligemment imaginé. On n'est clairement pas dans la dystopie cauchemardesque à la 1984 ou La Servante écarlate, mais dans un monde tellement proche du notre que le léger décalage en devient d'autant plus crédible et donc glaçant.

Des procès populistes en direct-live sur les réseaux sociaux pour infliger des peines aux délinquants. Des zones de droit, immeubles emmurés hors de la Transparence, dans laquelle vivre est une circonstance aggravante en cas de procès. Exhibitionnisme de ceux qui aiment être vus, vie affichée parfaite et sourire figé. Intimité impossible sauf à s'enfermer dans un lit sarcophage pour faire l'amour sans être vus … ou pas.

Mille détails à la lucidité terrifiante font immédiatement tilt dans notre esprit, d'autant que l'écriture de Lilia Hassaine est nette, sans fioritures, lisible et didactique, ce qui permet au lecteur de complètement croire à ce monde transparent. La narration est étonnamment calme et posée, resserrant l'intrigue au maximum de l'épure. On y perd un peu en haletant même si jamais l'intérêt ne retombe. Surtout, le lecteur est poussé à réfléchir de façon très fertile et stimulante.

L'autrice écrit vraiment fort bien et on aurait envie de noter de très nombreuses phrases qui résonnent avec l'évolution dérangeante de nos sociétés contemporaines. Par contre, l'ensemble est très froid, clinique, le cérébral prend le pas sur l'émotion. Ce n'est pas un défaut en soi, mais là, j'ai regretté de ne pas vibrer avec les personnages car je pense que cela aurait amplifié la réflexion à la Black Mirror, déjà riche. Cela aurait pu être moins désincarné avec plus de pages, notamment pour étoffer le bon personnage d'Hélène, l'enquêtrice quinquagénaire qui a connu le monde d'avant et voit ses certitudes voler en éclats à mesure qu'elle découvre la vérité sur ce qui se cache derrière les apparences.

« Une brèche s'est ouverte dans ma conscience. Je rêve de nouveau et voudrais ne plus jamais quitter mon lit. Depuis que j'ai commencé mon enquête, mon cerveau explore de nouveaux territoires. Il émet des hypothèses, il réfléchit sans moi. Pendant des années, mon sommeil n'était qu'une parenthèse, un tunnel interminable. le monde qui m'entourait était exactement ce qu'il avait l'air d'être, et je n'avais plus besoin de l'interpréter ni de le comprendre. Cette nuit, j'ai eu le sentiment de renouer avec l'invisible, avec tous ces signes, ces images qui échappent au langage, à la rationalité. »
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