Le ciel en sa fureur
Dans ce village normand anonyme cohabitent sans se mélanger des paysans implantés depuis des générations et « ceux du lotissement », des citadins venus prendre possession de cubes de béton sans cachet et sans âme. Comme une greffe mal prise, où flotte un sentiment de rejet et de mépris réciproque. Un village entre mer et champs, lourd d'une ruralité rugueuse, où tout est gris, sans charme, et où le ciel et l'océan sont pareillement chargés de menaces. Et dans ce décor austère, des animaux sont mutilés, des enfants disparaissent, évènements aussi violents qu'inexpliqués, donnant au quotidien un sentiment d'irréalité. Et puis ressortent des légendes anciennes inquiétantes qui baignent les villageois dans une ambiance lourde et chargée de mystères, et plonge dans la perplexité Julia et Stéphane, les nouvelles venues.
De l'histoire, je n'ai pas envie de vous en dire plus pour vous laisser tout entiers à la découverte de cet univers entre drame et tragédie, entre conte et roman noir. Mais ce que je veux vous dire c'est combien j'ai aimé ce roman.
J'ai aimé son ambiance sombre et angoissante, ces paysages aux émanations âpres et fétides, son ciel poisseux et bas, son crachin qui décolore le village dans toutes les nuances de gris. Pendant tout le récit on oscille entre curiosité et cauchemar, entre magie noire et légendes ancestrales et on sent planer l'ombre de la vengeance. On y croise des « enfants-fées », des « varous », et pourtant l'intrigue se déroule de nos jours, près de chez nous.
J'ai aimé aussi ces portraits de femmes fortes et courageuses. Des paysannes robustes que rien ne semble pouvoir abattre ; des épouses courageuses face à des maris pleutres ou absents ; des gamines impertinentes et un peu têtes à claques. Et au milieu d'elles, deux jeunes femmes, citadines, venues s'éloigner du fracas de la ville, venues se reconstruire et panser des plaies à l'âme encore béantes. Des femmes avec des métiers d'homme et du courage à revendre mais réussiront-elles à faire prendre la greffe et à se faire madopter?
J'ai aimé enfin l'écriture d'
Adeline Fleury, romanesque et mystérieuse, poétique et imagée. En quelques lignes elle nous transporte dans un univers incroyable, nous immerge dans ce conte noir, dans un récit inclassable où l'on est irrémédiablement englué, et dont on ne ressort jamais vraiment, même la dernière page tournée.
C'est magnétique et c'est envoutant et c'est surtout une vraie belle révélation. Première lecture et premier gros coup de coeur. Puisse-t-il donner le ton de cette année littéraire