Comment peut-on employer le mot «positif» pour décrire une telle catastrophe? J’étais enceinte d’un homme égoïste, immature, que je ne connaissais que depuis six mois, dont je m’étais crue amoureuse pendant tout au plus une dizaine de jours, qui vivait à mes crochets tout en m’imposant ses états d’âme sans jamais tenir compte des miens et s’entourait d’un halo de mystère pour échapper à ses responsabilités…
C’est fou le nombre de personnages féminins qui connaissent une destinée tragique dans la littérature. Anna Karénine, qui a commis l’adultère, meurt atrocement en se jetant sous les roues d’un train. Également coupable d’adultère, et deux fois plutôt qu’une, la pauvre Emma Bovary, abandonnée par ses amants et criblée de dettes, ingurgite de l’arsenic et succombe après une affreuse agonie. Plus près de nous, Renée, la concierge lettrée et quinquagénaire de L’Élégance du hérisson, est renversée par une camionnette et meurt sur le coup. L’infortunée Renée n’était pas adultère, tant s’en faut, mais elle a eu le mauvais goût de tomber amoureuse d’un homme plus jeune qu’elle et d’être aimée en retour. Quelle impudence! Il ne fallait surtout pas que ça finisse bien…
La haine que j’éprouvais pour ma mère a brûlé comme un feu de paille et m’a laissé un goût de cendre dans la bouche. J’aurais voulu pouvoir me venger d’elle, comme le comte de Monte-Cristo s’était vengé de ses ennemis, mais j’étais assez lucide pour savoir que ce désir était aussi puéril qu’inutile. Ma mère avait fait preuve de négligence, mais elle n’avait pas délibérément tué mon frère. Elle souffrait sans doute de ce qui était arrivé et m’avait menti pour se protéger. Mais comprendre n’est pas pardonner. Je savais que je ne pourrais plus jamais la revoir.
«Tu as tellement de talent! Quel dommage de le gaspiller en écrivant pour la télé…» Nous n’avons jamais eu de téléviseur à la maison. Mes parents considéraient que la télévision était «l’opium du peuple». Ils vouaient la publicité aux gémonies et tenaient à nous en préserver.
J’ai toujours eu de l’aversion pour les clowns, que je trouve sinistres avec leur énorme bouche sanguinolente, mais l’amuseur portait un costume de Pierrot, dont les larges manches blanches s’agitaient dans la brise, le faisant ressembler à une mouette en plein vol.