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EAN : 9782070333059
240 pages
Gallimard (30/03/2006)
3.51/5   113 notes
Résumé :
En 1968, la guerre du Vietnam bascule. La violence parvient à son paroxysme lors de l'offensive du Têt : Saigon est à feu et à sang. Au-delà de certains faits réels, j'ai tenté de donner à voir et à sentir le Vietnam de mon enfance. Ce roman m'a été inspiré par l'histoire authentique de Tan, que j'ai connue au lycée, et de Tao, deux sœurs de quinze et seize ans arrêtées, torturées puis internées dans le bagne de Poulo Condor, au large de Saigon, à la fin des années ... >Voir plus
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«Au milieu de la nuit, j'ai fini par identifier la nature du bruit. Moins qu'un bruit, ce qu'on entend est un bruissement à peine perceptible, régulier, comme les échos d'un rêve. Mais ce n'est pas un rêve, puisque je ne dors pas.
(...) Combien d'entre nous l'ont écouté cette nuit-là, et ensuite, toutes les nuits, pendant cent nuits, trois cents nuits, ou mille trois cents nuits ?
(...) C'est ma première nuit dans une cage à tigres du bagne de Poulo Condor, et le bruit que j'entends est celui de l'océan Pacifique.
Ainsi débute «Riz noir».
Tan et Tao deux soeurs, lycéennes de 15 et 16 ans, se sont engagées dans la lutte contre le gouvernement corrompu du Sud Vietnam allié aux américains. Elles sont arrêtées et torturées avant d'être internées au camp de Poulo Condor où elles vont demeurer 22 mois dont 18 mois dans les cages à tigre. Anna Moï a recueilli le témoignage de ces deux soeurs qui ont existé mais son roman va au-delà. A la fois retour sur toute la vie traditionnelle de ce pays qu'elle aime et roman historique retraçant les combats et événements politiques qui se sont déroulés au cours des années 60.
A la violence du présent 
«Les tortionnaires sont des fonctionnaires. Ils torturent aux horaires d'ouverture des bureaux. le matin, les séances commencent vers sept heures, pour s'achever vers onze heures. Comme tous les autres employés, ils repartent chez eux déjeuner et faire la sieste.»p 26
va répondre l'évocation par Tan de ses souvenirs d'enfance et d'adolescence. 
La mère des deux adolescentes,Van, enfant adoptée, veuve, va sortir de sa condition en innovant dans la teinture de la soie noire laquée. Sa soie aux dessins originaux va être convoitée par les femmes de la caste dirigeante de Saïgon et elle, qui est illettrée, va ainsi permettre à ses deux filles d'accéder à l'école française de Cholon et ensuite au lycée Marie Curie réservés à l'élite de la nation.
Elle dit à ses filles : « Vous voyez, les filles... Il faut toujours aller chercher la différence. Soyez différentes, ne vous conformez pas, méprisez le confucianisme (pour Confucius l'absence de talent, chez une femme, est synonyme de vertu), allez le plus loin possible.»

La révolte des moines bouddhistes qui s'immolent par le feu de 1963 à 1967 va entraîner la chute du régime corrompu mais le déchaînement de violence atteindra Saïgon lors de la fête du Têt de 1968 pendant laquelle auront lieu les combats les plus violents.
Que ce soit dans le bagne de Poulo Condor ou enfermée dans la maison à Saïgon les sons, les odeurs prennent une importance primordiale pour Tan puisqu'elle ne peut pas voir directement ce qui se passe.

p118 Si un jour je dois créer un parfum, il aura la douceur poudrée du riz Nang Huong (variété de riz parfumé), l'astringence de la carambole, la suavité de la goyave, l'amertume du pamplemousse.

p 123 Quand les canons se taisent, les chiens hurlent et ces hurlements sont les premières balises de la vraie nuit. le confinement resserre les sensations. Tout est ressenti comme le balbutiement d'autre chose, d'un nouveau départ. Une branche de pêcher en fleur, comme le début du printemps.

Ce roman de Anna Moï est écrit dans une langue sobre sans aucune passion ni emphase et malgré la violence de certaines scènes il n'y a pas de plaintes ni d'explosion de haine et la poésie affleure souvent.
Paradoxalement ce qui demeure après cette lecture qui est aussi un retour sur un pan d'histoire tragique du Vietnam c'est toute la richesse de la vie, le grouillement de vie, les odeurs, les couleurs qui en envahissant la mémoire de Tan nous paraissent comme à elle présentes, gage d'une renaissance à venir après la destruction :
«Les Américains ont le rêve d'une plaine nue où toute végétation tropicale aura été annihilée. Sans flore, il n'y a plus de bêtes, ni hommes, ni ennemis.
Une longue plaine désolée où il n'existera nul abri pour se cacher, ni aujourd'hui, ni demain, ni aucun jour futur. Nul endroit où panser ses plaies, se coucher et fermer les paupières.
Ô mon amour, allonge-toi auprès de moi.
Les Américains ont des rêves de morne plaine. Je n'ai pas le même rêve. Dans mes rêves les rizières verdoient, les forêts sont impénétrables, les bêtes sont féroces et les fleurs carnivores.» p 234
Et une grande compassion et admiration pour toutes ces femmes "filles de dragon selon la tradition, filles d'eau et de feu, fragiles et invincibles".
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Deux soeurs adolescentes enfermées dans l'enfer des cages à tigre du bagne de Poulo Condor. Nous sommes dans le Vietnam des années 1960, après l'offensive du Têt. Ce pays qui évoque luxuriance végétale, fragrance de cuisine exotique et majestueuse baie d'Along avec sampans de carte postale est alors déchiré par la guerre depuis des années. Les adversaires ont changé entre temps, l'Indochine est devenue nation indépendante mais son coeur reste embrasé par les combats, la guerre et ses fléaux collatéraux.

Le titre tire son nom de la couche de grosses mouches noires agglutinées sur la portion de riz distribuée en pitance aux prisonnières de ces infâmes geôles.
Anna Moï dépeint les conditions de vie des deux soeurs et de leurs comparses. La chaleur, le soleil accablant entre les barreaux des cages, les révoltes étouffées sous des jets de poudre blanche, le sang. Elle retrace aussi l'histoire familiale avec les velléités de leur mère de leur fournir une bonne éducation, le tissu teint et la laque noire qu'elle confectionne et qu'on retrouve jusque dans les hautes sphères politiques, les traditions, la place de la religion ... Et bien sûr comment Tan et Tao se sont retrouvées emprisonnées.

Anna Moï recourt à une écriture sobre pour son sombre récit. Pas de grands étalages, voire une certaine froideur. L'horreur de la situation n'en ressort qu'avec plus de crudité.

Une lecture bouleversante qui ne peut laisser indemne ni indifférent. Anna Moï nous offre un noir riz qui se colle à la mémoire dans un bourdonnement lancinant de l'Histoire vietnamienne.
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Anna Moï, écrivaine et styliste française née au Vietnam, écrit en français des histoires inspirées de son pays natal. « Riz noir » est son premier roman.

Le récit s'ouvre sur l'arrivée de Tao, seize ans, et Tan, quinze ans, au bagne de Poulo Condor, situé sur une île au large de Saigon, le 31 janvier 1969, en pleine guerre du Vietnam. Anna Moï s'inspire du témoignage authentique de deux soeurs adolescentes, retenues prisonnières pendant vingt-deux mois dans des conditions atroces.

Les premières pages sont saisissantes. Ecrites à la première personne, elles livrent le point de vue de Tan, qui nous fait part de ses sensations sonores, olfactives et tactiles. le débarquement ayant eu lieu de nuit, dans une obscurité quasi complète, elle ne peut voir distinctement son nouvel environnement, si bien qu'elle écoute attentivement les bruissements qui lui parviennent, par-delà le silence ambiant. L'odeur pestilentielle des latrines l'empêche de dormir, peut-être aussi le froid du bloc de ciment sur lequel elle est allongée. Aucun cri : toute parole est interdite et sévèrement punie. Cette première nuit enfermée dans une cage à tigres a pour seul bruit celui de l'océan Pacifique.

Les cages étant enterrées, le champ de vision de Tan se réduit à ce qu'elle perçoit au-delà des barreaux, au-dessus de sa tête. Enfermée avec sa soeur et deux autres détenues « dans une pièce d'un mètre cinquante sur deux mètres cinquante, soit moins d'un mètre carré par personne », c'est d'abord le manque d'espace qui se fait cruellement sentir : « en étendant les bras, je touche presque les murs d'un côté et de l'autre », « nous dormons enchevêtrées, serrées les unes contre les autres, parce que c'est exigu, et aussi pour se réchauffer ». Les premières pages donnent le ton du récit qui va suivre. Pas de complaisance dans la description de l'horreur mais des phrases choc, qui remuent :

« Des guerrières, nous le sommes. Mais pour toute carapace, nous n'avons que notre peau. »

« Si le voyage est lié à la liberté, le seul périple que j'ai accompli m'a mené au bagne. »

« La chaux présente un avantage : elle tue les punaises. »

La violence des trente premières pages, consacrées à la découverte des conditions de vie des détenues et à la description de séances quotidiennes de torture, est rapidement atténuée par la construction narrative du récit, faite d'allers et retours dans le temps. La deuxième partie revient ainsi brusquement en arrière pour relater les souvenirs d'enfance des deux soeurs. le récit se nappe de douceur, retraçant l'itinéraire de leur mère, qui a fait fortune dans la fabrication et la commercialisation d'une soie laquée de qualité, d'un noir presque absolu. Tan décrit avec tendresse les rites traditionnels de son pays, la beauté des paysages, des étoffes ; le goût des kumquats confits, « l'astringence de la carambole, la suavité de la goyave, l'amertume du pamplemousse ». Ses sens sont perpétuellement en éveil : « Odeurs d'encens et du pelage mouillé des gibbons. Clic-clac de deux bouts de bambou entrechoqués par l'enfant qui précède la carriole de soupe. Craquètement des dominos de mah-jong ».

Parallèlement à ces souvenirs emplis d'émotion, Anna Moï évoque la montée de l'opposition au régime du président Ngî Dinh Diêm et de son conseiller politique Ngô Dinh Nhu, leur assassinat en novembre 1963, la période agitée qui s'ensuit, marquée par une succession de coups d'état. Sur le plan historique, l'écriture est factuelle, plutôt froide, journalistique ; les émotions passent à l'arrière-plan, ce qui est dommage. Les années s'enchaînent sommairement. Les violences montent en puissance avec l'offensive du Têt, fin janvier 1968. La famille reste quinze jours confinée. « L'attente forcée entre les murs aveuglants aiguise mon sentiment d'être en veille. Tous mes sens sont stimulés, et mon corps en effervescence. Je me sens comme un être privé de vue, aux abords d'un espace délimité par le toucher et l'ouïe. »

La dernière partie du roman nous ramène au bagne de Poulo Condor, un an plus tard, en 1969. le récit est fréquemment entrecoupé par les souvenirs ou les pensées de Tan qui s'enchaînent par association d'idées, au rythme de ses réflexions intérieures. La violence est suggérée par de puissants effets de contrastes, qui nous font passer brutalement de la poésie au réalisme le plus cru.

Je n'ai pas été transportée par cette lecture, mais j'ai aimé les petites notes poétiques du roman, disséminées ici et là, comme l'écoute du concerto de Sibelius en compagnie de Minh, lors d'une soirée éclairée par la lune. J'ai surtout apprécié l'attention extrême accordée aux couleurs. Anna Moï se sert des mots comme un peintre de ses pigments : « L'un des effets de la captivité est la réduction de la palette à quelques teintes, dépourvues de nuances. Blanc comme le sable, la chaux, et comme le ciel d'été aveuglant. Noir comme les pierres des murs et les yeux brillants, la nuit, de celles qui ne dorment pas. Rouge comme notre sang, et comme la latérite. Vert comme les feuilles charnues des noyers de cajou. »
Noir – une sale couleur. Couleur des murs noirs où une partie de l'enfance de Tan a été séquestrée. Dans ce monde privé de couleurs, surgit brusquement le rouge écarlate, teinté des diverses plaies infligées aux détenues. Tan rêve de lacs rouges et de reptiles noirs. Dans ce monde de ténèbres, d'une noirceur absolue, des réverbérations vertes émergent à la surface. Un peu de vert auquel s'accrocher comme les feuilles aux branches des noyers de cajou. Quelques nuances d'espoir et d'humanité : le rire de Nu, la couverture en patchwork donnée discrètement par un geôlier plus humain que les autres, les soins et les attentions du docteur Tuan, le souvenir lumineux de Minh. Verts sont les effluves provenant du jardin potager : « je ne veux rien oublier des lieux où les pluies continuent de tomber, les arbres de pousser et les fleurs d'éclore. Je m'applique à reconstituer ces odeurs de fleurs et de fruits, si intimement liées à des instants, des personnes, ou des lieux. »

Le charme de ce roman réside donc dans son écriture sensorielle, grâce à laquelle Anna Moï parvient à donner corps à l'âme de Tan, comme pour souligner le phénomène de dissociation mentale, de déconnexion du corps et de l'âme, engendré par l'accumulation des violences subies : « Mon âme s'est envolée de mon corps. Elle s'est échappée très vite et très loin, laissant le corps à la portée des supplices. »
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Le récit commence dans une cellule de prison, où, quand, et qui est le narrateur ? On le découvre peu à peu. Une fillette raconte sa propre histoire de vietnamienne du sud pendant la guerre. Ma gorge se noue, je sens que son récit va être dur : l'horreur vécu et raconté de la bouche d'une enfant. Les scènes de torture dans le bagne de Poulo Condor sont époustouflantes et nous laissent des images qui marquent. Mais à peine, le premier chapitre passé, le charme est rompu ! La fille revient sur son passé et semble détachée de ce qui arrive autour d'elle et du drame qui se joue dans sa vie. Elle se complait à décrire son petit confort personnel et le lecteur ne sent plus cette ferveur communiquée par les premières phrases, le malaise s'installe alors.

En poursuivant ma lecture (je lui laisse encore une chance), j'ai vite déchanté. le style est perturbant et les phrases entrecoupées donnent l'impression d'être collées l'une à l'autre pour former un patchwork de mots qui finissent par tuer l'âme de ce récit. En effet, plusieurs passages me semblent « futiles ».

Ce roman qui se voulait pourtant « chaud » par les émotions des personnages, la guerre et ses souffrances reste froid !! le lecteur ni ressentira ni compassion, ni curiosité, ni horreur … il lit juste des mots qui ne laisseront pas d'écho dans sa tête ni dans son coeur.

Par contre, je me dois de vous donner l'explication de « riz noir » et on la trouve à la page 23, Anna moi écrit : « … Dans le corridor, des bols sont posés par terre. A cause de l'éblouissement, je les crois remplis de riz noir. Mais c'est du riz blanc, recouvert de mouches noires. »

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Je suis mitigée pour ce récit, qui semblait m'intéresser pour le pan historique d'un récit qui semble rapporter par l'auteur.
Nous découvrons la vie de deux soeurs tenues prisonnières dans des conditions déplorables, toutes les horreurs de la guerre, tortures etc…
Je n'ai pas trop compris certains passages, je me demande encore qu'est ce qu'ils pouvaient apporter au récit. Comme un effet hachoir, ma lecture semblait perdue, puis quand l'histoire revenait sur le sujet, je reprenais plaisir à poursuivre.
Touchant émouvant de connaître ce pays qui a tant souffert, un style parfois dans mes goûts et puis parfois pas du tout, style Wikipédia, j'ai horreur de ça.
Donc un roman en demi-teinte, malgré tout je ne regrette pas de l'avoir lu, j'étais loin de me savoir ce qui se tramait dans les prisons du Vietnam.
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Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
[...] ... Vers midi, une voiture bleu clair, de marque américaine, débouche lentement sur le carrefour. Elle a accompli un long périple depuis Huê, où s'est effectué le départ dès l'aube. Le conducteur, un bonze, immobilise son véhicule, ouvre la portière, soulève le capot. La foule s'écarte. L'apparition de cette voiture américaine au capot relevé a quelque chose d'inquiétant. Ses passagers en descendent, tous revêtus de la toge safran. L'un d'eux, le plus âgé, s'avance lentement jusqu'au milieu du carrefour. Un disciple dépose sur le macadam en fusion un mince coussin sur lequel le premier s'assied dans la position du lotus, tenant dans sa main gauche un chapelet de prière. Il s'appelle Thich Quang Duc, il a soixante-six ans et il pratique des retraites zen dans les montagnes de Nha Trang à la recherche de l'illumination. Il en est sorti pour venir s'asseoir au milieu d'un carrefour, à Saïgon, un jour de juin 1963, à l'heure où le bitume se liquéfie.

Sur un imperceptible signe de sa tête, des gestes tragiques s'enchaînent inexorablement. Le deuxième disciple débouche le bouchon d'un jerrican d'essence et, sans attendre d'autre signaux, en déverse le contenu sur la tête rasée du Vénérable Thich Quang Duc. L'essence glisse rapidement sur le crâne, gicle, imprègne la robe safran. Ensuite, tout se passe très, très vite. D'une main, Thich Quang Duc continue à égrener le chapelet de prière, et de l'autre, il craque une allumette qui met immédiatement le feu à sa robe de moine. Le vent embrase les pans drapés, les bras nus, les doigts osseux, les perles de bois.

Le troisième disciple marche le long du cordon de spectateurs tout en clamant dans un mégaphone : "Un bonze brûle à mort !" La phrase, répétée inlassablement, couvre à peine les pleurs des femmes et les échos sourds du gong de Xa Loi. Un cinéaste filme. Des appareils photo crépitent.

Le vent courbe les flammes et, par éclipses, le visage est dégagé. Thich Quang Duc reste immobile, dans la position du lotus, les mains posées sur ses pieds repliés. A l'exception de quelques infimes frémissements autour de sa bouche, son corps est aussi figé et serein que le brasier est séditieux. ... [...]
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L'étroite sente aboutit à un terre-plein, longé par une rivière. Le jour a commencé à baisser. La fumée de l'incinération prolifère en torsades toujours plus épaisses et plus noires contre le ciel orangé.
Je me suis assise sur l'herbe, tournant le dos aux volutes tourbillonnantes. Les traînées sonores d'un gong frappé quelque part au loin percutent la surface de l'eau. Le bruit ricoche puis s'étale, suivit d'une autre secousse, et d'une autre encore. Un rappel, puis un autre rappel, et un rappel encore, de quelque chose d'essentiel, mais je ne sais pas de quoi. Je reste et j’attends.
La lumière défaille à chaque coup de gong, Puis elle cède par endroits à la pénombre. Un frémissement rompt à peine le silence. Plus qu'un bruit, une migration imperceptible dans le ciel. Je lève les yeux et je les aperçois, les oiseaux blancs déployés de toute leur envergure. A l'approche de l'eau, les oiseaux planent, leurs ailes immobiles jetant des ombres en forme d'origami sur l'eau calme. Des grues à tête rouge, Grus antigone, une espèce en voie de disparition. Les pointes de leurs ailes effleurent à peine mes épaules, avant de se rabattre, sur l'autre rive, lieu de leur halte nocturne. Indifférentes au gong, les grues affluent, reparties sur les deux branches imaginaires d'un "V".
Je reste en quête d'un message de délivrance, mais rien ne vient.
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[...] ... Le Café du Souvenir était un café-cimetière. Il se signalait par des lampions en papier blanc. Le portail s'ouvrait sur des tombeaux anciens couverts d'une mousse légère qui ne cachait pas tout-à-fait les sculptures diaboliques des stèles. Ils occupaient tout le devant du café. Il y avait juste la place, sur le côté gauche, pour les quelques mobylettes des clients. Le gardien du cimetière - ou du café - distribuait des tickets de parking. Autrefois, les tombeaux étaient simplement prolongés d'un terrain en friche, réservé sans doute aux morts à venir. Puis, par quelque hasard du destin, le terrain avait été vendu avec ses stèles et ses cadavres enterrés. Les propriétaires, demeurant à l'étranger, avaient incorporé dans l'acte de vente une clause faisant de l'entretien des tombes une obligation sacrée. Les tenanciers du Café du Souvenir la respectaient scrupuleusement tout en aménageant le terrain vague en deux loggias symétriques le long d'une allée centrale bordée de bananiers nains. De chaque côté de l'allée, des auvents abritaient plusieurs petites tables en bois, et les murs étaient décorés de poèmes calligraphiés à l'encre de Chine. ... [...]
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"Vous voyez les filles... Il faut toujours aller chercher la différence. Soyez différentes, ne vous conformez pas, méprisez le confucianisme, allez le plus loin possible".
Aucun homme n'est présent pour nous rappeler les dogmes de Confucius, le philosophe pour qui l'absence de talent, chez une femme, est synonyme de vertu. Personne à qui vouer le culte de l'obéissance et de la hiérarchie. Nous sommes trois femmes aussi maîtresses que possibles de notre existence.
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Quand je revois Tao, elle est ligotée sur une planche oblique, la tête en bas, ses pieds nus écorchés par la corde. Dans sa bouche est enfoncé un linge sale roulé en boule. J’ai reconnu d’abord la robe, et le jupon frémissant sous le ligotage. Elle m’a regardée et j’ai vu ses yeux très beaux et très vivants, couleur d’abîme.
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