Isabelle Lagarrigue

Je viens rarement ici parce que je n'ai pas envie de créer de nouveaux souvenirs sans elle, qui engloutiraient les autres. Chaque fois que je pénètre dans cette maison, des moments du passé surgissent et me font autant de mal que de bien.

Aujourd'hui, je suis le cliché de la Parisienne des « beaux quartiers ». Je connais le plan du métro par cœur, je marche rapidement pour aller d'un endroit à un autre, je brunche le dimanche, je cours au parc Monceau, je pratique le yoga et connais tous les noms des cours, je fais du cycling dans une salle plongée dans le noir, je planifie mes pièces de théâtre six mois à l'avance, ainsi que toutes mes soirées. Je choisis mes baby-sitters sur une application « de confiance » et loue mes résidences de vacances sur « Ma maison est ta maison », un site d'amis d'amis d'amis. Le week-end, je réserve une table dans le dernier restaurant à la mode grâce à mon « réseau », je fête mon anniversaire sur une péniche, je me fais faire des massages drainants brésiliens et les ongles dans des instituts tenus par des Chinoises. Un quarante mètres carrés me paraît grand pour un couple avec un enfant et cinq euros le Perrier me semble un prix correct. Je retrouve mes amies pour boire un verre en terrasse, qu'il fasse beau, qu'il vente ou qu'il pleuve. Je sais que les Champs-Élysées sont le pire endroit pour faire du shopping et je dis que j'habite dans le 16°, plutôt que dans Paris.

En me dirigeant vers le bar, j'observe de loin Norma qui sort un mouchoir de son sac pour essuyer la table. C'est son truc ça, de frotter les taches. Faire disparaître les traces sur la table plutôt que faire le ménage dans sa tête.
Je suis sûr qu'il lui en faudrait pas beaucoup pour qu'elle ouvre les vannes. Peut-être qu'elle est en train de peser le pour et le contre. Pour : je peux leur dire, de toute façon, je les reverrai jamais. Contre : on montre pas ses faiblesses.

Un jour, j'ai mis fin à ma relation avec Guilhem alors que je l'aimais. Ce n'était pas lui que j'ai voulu quitter, mais la personne que j'étais à ses côtés : un automate qu'on remonte la nuit pour qu'il fasse ce qu'on attend de lui, un prototype qui dit les bons mots au bon moment, une femme caméléon qui s'adapte à son environnement. Je ne me reconnaissais plus dans le miroir.

Les gens manquent de câlins. C'est factuel. Est-ce que vous savez que le contact physique est essentiel pour avoir confiance en soi ? En plus, les câlins, c'est ce qui permet de communiquer quand les mots ne suffisent pas.

Je branche mon téléphone à l'opposé de mon lit, afin de ne pas être tentée de l'allumer en pleine nuit pour voir ce qu'il peut se passer d'intéressant sur la planète quand je dors (rien).

Quand tu la connais pas, tu crois qu'elle déchire tout, qu'elle dirige le monde, qu'elle a peur de rien, alors qu'elle est aussi fragile qu'une brindille, non ?

S'installer à Paris, c'est l'épouser, tu prends le package complet, les galères quotidiennes et l'émerveillement ponctuel, les jours avec et les jours sans.

J'ai eu une enfance heureuse, enfin, je crois. Sur une moyenne de souvenirs, j'ai plus de moments joyeux et insouciants que d'autres.

Le hasard fait bien les choses...
Ce roman m'est apparu sur babelio, je me suis laissée tenter et je ne regrette pas du tout.
Ce livre m'a à la fois fait sourire, réfléchir et pleurer.
Je l'ai dévoré et je n'ai qu'une hâte, en lire d'autres.
Je le recommande chaudement, il aura forcément un écho en vous à un moment où à un autre.
Quelle belle découverte !