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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
«Au milieu de la nuit, j'ai fini par identifier la nature du bruit. Moins qu'un bruit, ce qu'on entend est un bruissement à peine perceptible, régulier, comme les échos d'un rêve. Mais ce n'est pas un rêve, puisque je ne dors pas.
(...) Combien d'entre nous l'ont écouté cette nuit-là, et ensuite, toutes les nuits, pendant cent nuits, trois cents nuits, ou mille trois cents nuits ?
(...) C'est ma première nuit dans une cage à tigres du bagne de Poulo Condor, et le bruit que j'entends est celui de l'océan Pacifique.
Ainsi débute «Riz noir».
Tan et Tao deux soeurs, lycéennes de 15 et 16 ans, se sont engagées dans la lutte contre le gouvernement corrompu du Sud Vietnam allié aux américains. Elles sont arrêtées et torturées avant d'être internées au camp de Poulo Condor où elles vont demeurer 22 mois dont 18 mois dans les cages à tigre. Anna Moï a recueilli le témoignage de ces deux soeurs qui ont existé mais son roman va au-delà. A la fois retour sur toute la vie traditionnelle de ce pays qu'elle aime et roman historique retraçant les combats et événements politiques qui se sont déroulés au cours des années 60.
A la violence du présent 
«Les tortionnaires sont des fonctionnaires. Ils torturent aux horaires d'ouverture des bureaux. le matin, les séances commencent vers sept heures, pour s'achever vers onze heures. Comme tous les autres employés, ils repartent chez eux déjeuner et faire la sieste.»p 26
va répondre l'évocation par Tan de ses souvenirs d'enfance et d'adolescence. 
La mère des deux adolescentes,Van, enfant adoptée, veuve, va sortir de sa condition en innovant dans la teinture de la soie noire laquée. Sa soie aux dessins originaux va être convoitée par les femmes de la caste dirigeante de Saïgon et elle, qui est illettrée, va ainsi permettre à ses deux filles d'accéder à l'école française de Cholon et ensuite au lycée Marie Curie réservés à l'élite de la nation.
Elle dit à ses filles : « Vous voyez, les filles... Il faut toujours aller chercher la différence. Soyez différentes, ne vous conformez pas, méprisez le confucianisme (pour Confucius l'absence de talent, chez une femme, est synonyme de vertu), allez le plus loin possible.»

La révolte des moines bouddhistes qui s'immolent par le feu de 1963 à 1967 va entraîner la chute du régime corrompu mais le déchaînement de violence atteindra Saïgon lors de la fête du Têt de 1968 pendant laquelle auront lieu les combats les plus violents.
Que ce soit dans le bagne de Poulo Condor ou enfermée dans la maison à Saïgon les sons, les odeurs prennent une importance primordiale pour Tan puisqu'elle ne peut pas voir directement ce qui se passe.

p118 Si un jour je dois créer un parfum, il aura la douceur poudrée du riz Nang Huong (variété de riz parfumé), l'astringence de la carambole, la suavité de la goyave, l'amertume du pamplemousse.

p 123 Quand les canons se taisent, les chiens hurlent et ces hurlements sont les premières balises de la vraie nuit. le confinement resserre les sensations. Tout est ressenti comme le balbutiement d'autre chose, d'un nouveau départ. Une branche de pêcher en fleur, comme le début du printemps.

Ce roman de Anna Moï est écrit dans une langue sobre sans aucune passion ni emphase et malgré la violence de certaines scènes il n'y a pas de plaintes ni d'explosion de haine et la poésie affleure souvent.
Paradoxalement ce qui demeure après cette lecture qui est aussi un retour sur un pan d'histoire tragique du Vietnam c'est toute la richesse de la vie, le grouillement de vie, les odeurs, les couleurs qui en envahissant la mémoire de Tan nous paraissent comme à elle présentes, gage d'une renaissance à venir après la destruction :
«Les Américains ont le rêve d'une plaine nue où toute végétation tropicale aura été annihilée. Sans flore, il n'y a plus de bêtes, ni hommes, ni ennemis.
Une longue plaine désolée où il n'existera nul abri pour se cacher, ni aujourd'hui, ni demain, ni aucun jour futur. Nul endroit où panser ses plaies, se coucher et fermer les paupières.
Ô mon amour, allonge-toi auprès de moi.
Les Américains ont des rêves de morne plaine. Je n'ai pas le même rêve. Dans mes rêves les rizières verdoient, les forêts sont impénétrables, les bêtes sont féroces et les fleurs carnivores.» p 234
Et une grande compassion et admiration pour toutes ces femmes "filles de dragon selon la tradition, filles d'eau et de feu, fragiles et invincibles".
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Le riz noir, c'est le bol de riz couvert de mouche qui servait d'ordinaire aux deux jeunes prisonnières de cages à tigres du bagne de Poulo Condor.
La narratrice a seulement quinze ans. , prisonnière à la suite de l'offensive du Têt 1968. le roman raconte la vie des deux soeurs à Saigon et au bagne. C'est un très court ouvrage que j'ai dévoré. Très poétique, très visuel. Rouge pour le sang des premières règles ou de la fausse couche, on ne sait pas bien. Blanche est la poudre de chaux qu'on balance aux prisonnières pour faire taire leur révolte, blanc presque incandescent le soleil de midi, entrevu par les barreaux. Noir est le riz couvert de mouches. Noire aussi, la laque et la teinture artisanale des tissus précieux qui fait la fortune de leur mère, si beaux que la fameuse madame Nhu en fait venir au palais Présidentiel.
Lien : http://miriampanigel.blog.le..
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Ce récit est inspiré d'une histoire vraie.
Anna Moï a recueilli le témoignage de deux soeurs vietnamiennes, Tan et Tao. Les deux soeurs, toutes les deux adolescentes à la fin des années 60, ont été prisonnières dans des cages à tigres de la prison de Poulo Condor. Pendant presque 2 ans elles ont dû subir les tortures les plus atroces.

Avec Riz Noir nous fait découvrons le Viêtnam du début 1968. Entre les combats ensanglantés menés à Saigon, le soulèvement de la population sud-vietnamienne contre la République du Viêt Nam et la politique pratiquée par les autorités vietnamiens la situation est confuse.

Issues d'un milieu « aisé » Tan et Tao fréquentaient un lycée français bourgeois avant de se retrouver au bagne de Poulo Condor. Anna Moï décrit très bien comment les deux soeurs sont passées d'une vie « dorée » au monde cruel et cinglant de la prison. Les détails de la torture, peut refroidir certains parmi nous, mais cela ne m'a pas choqué.

En même temps, Anna Moï m'a fait aussi voyager dans des beaux paysages vietnamiens, elle décrit l'art de la soie laquée d'une telle manière que je le voyais presque comme une image. Enfin, comme j'aime bien les témoignages, j'ai bien aimé aussi les parties qui concernent les souvenirs d'enfance.

Ce roman m'a fait penser au roman biographique de
Le Ly Hayslip : Entre ciel et terre, dans ce roman aussi sont décrits les atrocités de la guerre, mais aussi en même temps la beauté des paysages, les souvenirs heureux de son enfance. Un livre (et film) que je conseille vivement si vous aimez comme moi le Vietnam et son histoire.

Challenge Multidéfis
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Anna Moï, écrivaine et styliste française née au Vietnam, écrit en français des histoires inspirées de son pays natal. « Riz noir » est son premier roman.

Le récit s'ouvre sur l'arrivée de Tao, seize ans, et Tan, quinze ans, au bagne de Poulo Condor, situé sur une île au large de Saigon, le 31 janvier 1969, en pleine guerre du Vietnam. Anna Moï s'inspire du témoignage authentique de deux soeurs adolescentes, retenues prisonnières pendant vingt-deux mois dans des conditions atroces.

Les premières pages sont saisissantes. Ecrites à la première personne, elles livrent le point de vue de Tan, qui nous fait part de ses sensations sonores, olfactives et tactiles. le débarquement ayant eu lieu de nuit, dans une obscurité quasi complète, elle ne peut voir distinctement son nouvel environnement, si bien qu'elle écoute attentivement les bruissements qui lui parviennent, par-delà le silence ambiant. L'odeur pestilentielle des latrines l'empêche de dormir, peut-être aussi le froid du bloc de ciment sur lequel elle est allongée. Aucun cri : toute parole est interdite et sévèrement punie. Cette première nuit enfermée dans une cage à tigres a pour seul bruit celui de l'océan Pacifique.

Les cages étant enterrées, le champ de vision de Tan se réduit à ce qu'elle perçoit au-delà des barreaux, au-dessus de sa tête. Enfermée avec sa soeur et deux autres détenues « dans une pièce d'un mètre cinquante sur deux mètres cinquante, soit moins d'un mètre carré par personne », c'est d'abord le manque d'espace qui se fait cruellement sentir : « en étendant les bras, je touche presque les murs d'un côté et de l'autre », « nous dormons enchevêtrées, serrées les unes contre les autres, parce que c'est exigu, et aussi pour se réchauffer ». Les premières pages donnent le ton du récit qui va suivre. Pas de complaisance dans la description de l'horreur mais des phrases choc, qui remuent :

« Des guerrières, nous le sommes. Mais pour toute carapace, nous n'avons que notre peau. »

« Si le voyage est lié à la liberté, le seul périple que j'ai accompli m'a mené au bagne. »

« La chaux présente un avantage : elle tue les punaises. »

La violence des trente premières pages, consacrées à la découverte des conditions de vie des détenues et à la description de séances quotidiennes de torture, est rapidement atténuée par la construction narrative du récit, faite d'allers et retours dans le temps. La deuxième partie revient ainsi brusquement en arrière pour relater les souvenirs d'enfance des deux soeurs. le récit se nappe de douceur, retraçant l'itinéraire de leur mère, qui a fait fortune dans la fabrication et la commercialisation d'une soie laquée de qualité, d'un noir presque absolu. Tan décrit avec tendresse les rites traditionnels de son pays, la beauté des paysages, des étoffes ; le goût des kumquats confits, « l'astringence de la carambole, la suavité de la goyave, l'amertume du pamplemousse ». Ses sens sont perpétuellement en éveil : « Odeurs d'encens et du pelage mouillé des gibbons. Clic-clac de deux bouts de bambou entrechoqués par l'enfant qui précède la carriole de soupe. Craquètement des dominos de mah-jong ».

Parallèlement à ces souvenirs emplis d'émotion, Anna Moï évoque la montée de l'opposition au régime du président Ngî Dinh Diêm et de son conseiller politique Ngô Dinh Nhu, leur assassinat en novembre 1963, la période agitée qui s'ensuit, marquée par une succession de coups d'état. Sur le plan historique, l'écriture est factuelle, plutôt froide, journalistique ; les émotions passent à l'arrière-plan, ce qui est dommage. Les années s'enchaînent sommairement. Les violences montent en puissance avec l'offensive du Têt, fin janvier 1968. La famille reste quinze jours confinée. « L'attente forcée entre les murs aveuglants aiguise mon sentiment d'être en veille. Tous mes sens sont stimulés, et mon corps en effervescence. Je me sens comme un être privé de vue, aux abords d'un espace délimité par le toucher et l'ouïe. »

La dernière partie du roman nous ramène au bagne de Poulo Condor, un an plus tard, en 1969. le récit est fréquemment entrecoupé par les souvenirs ou les pensées de Tan qui s'enchaînent par association d'idées, au rythme de ses réflexions intérieures. La violence est suggérée par de puissants effets de contrastes, qui nous font passer brutalement de la poésie au réalisme le plus cru.

Je n'ai pas été transportée par cette lecture, mais j'ai aimé les petites notes poétiques du roman, disséminées ici et là, comme l'écoute du concerto de Sibelius en compagnie de Minh, lors d'une soirée éclairée par la lune. J'ai surtout apprécié l'attention extrême accordée aux couleurs. Anna Moï se sert des mots comme un peintre de ses pigments : « L'un des effets de la captivité est la réduction de la palette à quelques teintes, dépourvues de nuances. Blanc comme le sable, la chaux, et comme le ciel d'été aveuglant. Noir comme les pierres des murs et les yeux brillants, la nuit, de celles qui ne dorment pas. Rouge comme notre sang, et comme la latérite. Vert comme les feuilles charnues des noyers de cajou. »
Noir – une sale couleur. Couleur des murs noirs où une partie de l'enfance de Tan a été séquestrée. Dans ce monde privé de couleurs, surgit brusquement le rouge écarlate, teinté des diverses plaies infligées aux détenues. Tan rêve de lacs rouges et de reptiles noirs. Dans ce monde de ténèbres, d'une noirceur absolue, des réverbérations vertes émergent à la surface. Un peu de vert auquel s'accrocher comme les feuilles aux branches des noyers de cajou. Quelques nuances d'espoir et d'humanité : le rire de Nu, la couverture en patchwork donnée discrètement par un geôlier plus humain que les autres, les soins et les attentions du docteur Tuan, le souvenir lumineux de Minh. Verts sont les effluves provenant du jardin potager : « je ne veux rien oublier des lieux où les pluies continuent de tomber, les arbres de pousser et les fleurs d'éclore. Je m'applique à reconstituer ces odeurs de fleurs et de fruits, si intimement liées à des instants, des personnes, ou des lieux. »

Le charme de ce roman réside donc dans son écriture sensorielle, grâce à laquelle Anna Moï parvient à donner corps à l'âme de Tan, comme pour souligner le phénomène de dissociation mentale, de déconnexion du corps et de l'âme, engendré par l'accumulation des violences subies : « Mon âme s'est envolée de mon corps. Elle s'est échappée très vite et très loin, laissant le corps à la portée des supplices. »
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Durant la guerre du Vietnam, la narratrice alors âgée de 15 ans et sa soeur Tao sont emprisonnées au bagne de Poulo Condor et enfermées dans des cages à tigre. Les conditions de vie sont épouvantables, sans place ni hygiène, le "riz noir" est du riz recouvert de mouches ! La narratrice évoque ses souvenirs, sa vie avant la prison. La présence de sa soeur lui permet de tenir, de résister aux tortures atroces : celle du "gavage" à l'eau ou de la chaux déversée sur la cage. Entre les tortures, ses souvenirs, les odeurs, la musique et les sensations passées la plongent dans un un état de conscience semi-éveillée. La présence des autres prisonnières et la solidarité entre elles leur permettent de faire face aux tortionnaires.
Bien que le sujet soit difficile j'ai beaucoup aimé ce livre. le style de l'auteur est très poétique et très axé sur les sensations. de plus, à travers les souvenirs de la narratrice le lecteur apprends beaucoup sur la culture et les coutumes des vietnamiens.
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On ne peut pas entrer dans ce livre sans éprouver de la honte et de la colère. Comment peut-on traiter de la sorte des êtres humains, de jeunes filles, enfermées, torturées, affamées, alors qu'au dehors leur pays est si beau, et que ces images, ces parfums existent et que du fond de leurs cages à tigres, elles ne l'ignorent pas? le récit est sobre, sans complaisance, sans jugement. Et c'est terriblement vrai.
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Dans ce roman l'auteur évoque le sort de deux adolescentes saïgonnaises ayant participé à la résistance FNL en 1968, durant la guerre du Vietnam, et qui seront arrêtées, torturées, puis déportées au bagne de Poulo Condor. Elle recrée aussi autour de l'histoire familiale et de l'enfance des deux soeurs, tout un monde de sensations, de décors, d'usages et de rites, tout l'univers physique et mental des jeunes Vietnamiens d'alors.
Très beau livre, pudique et nuancé, à l'écriture dense et suggestive, qui donne à voir la guerre du Vietnam de l'intérieur, bien loin des clichés de la mémoire américaine. Pour découvrir un regard vietnamien sur cette période.
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D'une cruelle poésie, ce récit retrace l'enfance et l'adolescence d'une jeune vietnamienne emprisonnée au bagne de Poulo Condor, les humiliations qu'elle subit, et ses minces victoires sur ses geôliers, et ses réminiscences floues des odeurs et saveurs de sa vie antérieure, entre le combat quotidien de sa mère pour élever ses filles dans la dignité et les fêtes qui rythment la culture vietnamienne, sur fond de dissension politique aux conséquences tragiques.

Une lecture très intéressante pour quiconque s'intéresse au Vietnam.
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