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La Maison dans l'impasse » de
Maria Messina (1921), soit « la casa nel vicolo » traduit par
Marguerite Pozzoli avec un avant-propos de Leonardo Sascia (2020, Cambourakis, 152 p.) analyse la psychologie de femmes « vaincues parmi les vaincus » qui « n'ont ni la force de s'indigner ni celle de se défendre ». Elles subissent l'oppression des pères ou des maris, et l'incompréhension des mères ou des soeurs. C'est une description de la vie familiale qui asphyxie avant d'étouffer des femmes « pâles, maigrelettes, vêtues de noir ».
Deux soeurs Nicoletta et Antonietta cohabitent depuis le mariage de la première, l'ainée, avec Don Lucio, administrateur de biens. Totalement à son service permanent, elles sont restées très proches et mènent une existence de quasi-recluses. le fils aîné, Alessio, est hypersensible et fait preuve d'une insatiable curiosité. Il illumine quelque peu leur quotidien jusqu'à ce qu'un événement vienne ternir leurs relations, bouleversant pour longtemps le précaire équilibre domestique qui s'était institué. Dans ce huis clos,
Maria Messina témoigne de la condition des femmes siciliennes dans les années 1900-1930. Surtout, elle montre les hypocrisies et les fausses convenances de la société de l'époque.
La Sicile du début du XXème siècle, avec le village de Sant'Agata Don Pasquale Restivo est au bord de la ruine. Sa manufacture lui coute bien plus qu'elle ne rapporte, et il y a deux filles à marier. Don Lucio Carmine, secrétaire du baron Rossi, usurier à ses heures, avait prêté de l'argent au père. Il se remboursera avec les filles à la mort du père. La nouvelle épouse ne voulait pas rester seule, et la cadette des soeurs ne pouvait payer de loyer. Donc tout s'arrange, même pour Don Lucio qui n'a pas à engager une femme de ménage. La vie quasi en autarcie, la prison consentie, le huis clos assuré, la solitude finalement des deux soeurs qui ne communiquent plus. Surtout la soumission au patriarche. Elle est pas belle la vie ? « « Don Lucio regardait aller et venir sa femme avec complaisance. Admirant les mouvements souples des hanches fortes et pleines, il était satisfait de lui-même comme il était satisfait chaque fois qu'il contemplait les meubles coûteux dont il avait orné sa maison. ». Et les enfants qui apparaissent. C'est du gagnant-perdant. « Les femmes sont nées pour servir et pour souffrir. Et rien d'autre ».
La vie passe. Les illusions aussi, mais plus vite. Au troisième enfant, après Alessio et Carmela et Agata et un garçon Alessio, frêle enfant qui heureusement fait rire les deux soeurs, dont « tante Nicoli ». Mais trois enfants, c'est la goutte d'eau qui fait déborder la famille. Fatigue de la mère alors que la cadette est encore présentable. « Mais comme elle contemplait les poings roses et fermés, elle eut pitié de l'intruse. Si au moins c'était un garçon, se dit-elle. Son sort serait plus facile. Les femmes sont nées pour servir et pour souffrir. Et rien d'autre ».
Tout est écrit de façon elliptique, ce qui donne à chaque scène son intensité et sa mesure « de beauté, d'horreur et de douleur ». Dans la maison de l'impasse, derrière les volets clos, règne le silence, l'homme travaille. Il a besoin de repos à son retour, une nourriture conséquente. « Les deux soeurs se contentent d'un peu de pain et d'un morceau de fromage qu'elles mangent debout. ». Il faut donc le servir, surtout se taire, toujours se taire, ne rien demander. « Don Lucio était un homme qui ne se trompait jamais, qui savait ce qui est bien et ce qui est mal. C'était si merveilleux d'avoir confiance en quelqu'un ! ». Certes, l'argent est là, et ne manque pas. Mais l'ancien usurier est aussi avare, cela va de soi. Il dépense pour lui. Il a pris épouse pour sa docilité tout comme il a pris la cadette pour le service. Ainsi va la vie. « Notre vie est-elle condamnée à être aussi terne et vide, tout en grisaille, alors que le monde est beau, lumineux et que les autres sont heureux ? ».
Un curieux ménage à trois sur un mode sicilien. Les convenances et hypocrisies de la société de l'époque, de la famille. La cruauté d'un monde patriarcal. « Les pensées restaient en suspens, comme de la poussière d'or, dans l'air lumineux. Toutes leurs petites misères, qu'elles croyaient si importantes, l'âpre rancoeur dont l'air de la maison était chargé, semblaient se dissiper et s'évanouir dans la sérénité du ciel immense ».
«
La Maison dans l'impasse », la maison aux volets clos, silence assourdissant. Silence aussi des occupantes. Impasse au terme urbanistique ? (c'est le sens du tire italien « casa nel vicolo »), mais aussi aux implications psychologiques ? On n'en saura pas plus. La légendaire qualité du silence à la sicilienne. « Dans la maison, dans l'air, dans les coeurs, le temps marquait une pause, le silence se faisait poignant. Les rêves, les regrets, les espoirs semblaient alors s'avancer en cortège, dans la lumière incertaine qui baignait le ciel. Et nul n'interrompait les songes vagues, inachevés ».
Un regain d'intérêt pour des auteurs italiens, en particulier, du sud et de Sicile. Pourquoi ? En partie par la découverte de
Gesualdo Bufalino (1920-1996), auteur à près de 60 ans, d'un premier roman «
le Semeur de Peste » traduit par
Ludmilla Thévenaz et réédité récemment (2020, Cambourakis, 208 p.). La collection « letteratura » des
Editions Cambourakis constitue une excellente opportunité de regrouper des auteurs par pays témoigne d'une certaine politique générale d'édition. le renouveau du mouvement vériste que
Maria Messina a fréquenté, en correspondance avec
Giovanni Verga (1840-1922), le chef de file du mouvement, dont l'influence se fait sentir dans ses premiers romans. Ce mouvement se caractérise par un regard centré sur les « vinti dalla vita » (les vaincus de la vie), hommage aux petites gens qui font face à la dureté de leur vie. Un second trait est « l'ideale dell'ostrica » (l'idéal de l'huître), attachement au lieu de naissance, et aux anciennes coutumes qui y sont liées. Son roman le plus connu « I Malavoglia » traduit en «
Les Malavoglia » par
Maurice Darmon (1997, Gallimard, 394 p.)
Toujours de
Maria Messina, «
Une fleur qui ne fleurit pas » (1923), traduit par
Marguerite Pozzoli (2022, Cambourakis, 152 p.) est un petit livre qui narre la condition de deux jeunes filles de Florence, Franca et Fanny. L'action se passe aux alentours des années 1920. Les deux femmes, encore jeunes fréquentent le salon de Madame Delroi, professeur de musique, en attendant de trouver un mari.
Et encore «
Severa » (1928) de
Maria Messina traduit de « L'amore negato » par
Marguerite Pozzoli (2021, Cambourakis, 149 p.) est un petit livre qui narre la condition de deux soeurs Myriam et
Severa, qui vivent modestement dans un village des environs de Bologne, au début du XXeme siècle. Esprit de classe, c'est à dire mépris des autres, et faux-airs sont de règle. Si Myriam se résigne,
Severa refuse d'être considérée comme médiocre, se voyant un avenir dans l'univers de la mode. Mais ce qui suppose le renoncement à la vie de famille et à l'amour.