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Violante do Canto (Traducteur)Yves Coleman (Traducteur)
EAN : 9782020338356
336 pages
Seuil (18/11/1998)
3.83/5   18 notes
Résumé :
Nous sommes en 1975, la révolution des Oeillets a transformé la société portugaise. Au chevet d'un mourant une famille se réunit, incarnation de la bourgeoisie aisée, qui a largement profité de la dictature de Salazar, et se prépare aujourd'hui à l'exil. Tous se détestent, se dépouillent de leurs héritages, se déchirent sous l'oeil vigilant d'une figure tutélaire : le grand-père agonisant. D'un côté les pauvres d'esprit et les victimes, de l'autre les maîtres épris ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
« La Farce des damnés » (1992, Christian Bourgois, 336 p.) de Antonio Lobo Antunes traduit de « Auto de Danados » (1985) par Violante de Canto et Yves Coleman.
Un chapitre « Avant-veille de la fête » avec « La Journée de Nuno », « Après-midi », « Soir », puis « Côté A » suivi de « Côté B ». Et on arrive à « Veille de la fête », avec « Ana le soir », puis à « Premier jour de la fête », suivi naturellement du « Deuxième jour de la fête », qui est aussi « La Veille de ma mort ».
Tout commence « le deuxième mercredi de septembre mille neuf cent soixante-quinze je commençai à travailler à neuf heures dix ». C'est à dire « Aussitôt après la révolution, au mois d'avril de l'année précédente, des civils barbus et des soldats aux cheveux longs et aux tenues léopard en lambeaux surveillaient les routes, fouillaient les voitures ou défilaient là-bas, en bandes, sur les petites places, commandés par un de ces micros incompréhensibles sortant d'une tombola pour aveugles, que le marxisme-léninisme-maoïsme avait remis en vogue. Comme les chiens des plages qui trottent tout au long de la mer à la poursuite d'une odeur imaginaire, ils se réunissaient dans les montes de l'Alentejo pour aboyer le socialisme aux paysans ». Et tout continue. « le deuxième mercredi de septembre mille neuf cent soixante-quinze, le réveil me repêcha de mon sommeil à huit heures du matin de la même façon que les grues sur les quais ramènent à la surface les voitures toutes velues d'algues, qui ne savent pas nager ». Pour ne rien arranger « le miroir de la salle de bains me renvoya sans pitié une image ravagée de chapelle à l'abandon ».
On est donc en 1975, après la « Revolução dos Cravos » (La révolution des Oeillets) qui commence le 24 avril et qui entraine la chute de la dictature du président António de Oliveira Salazar, au pouvoir depuis 1933 jusqu'à son hémorragie cérébrale en 1968 qui le laisse hémiplégique. le coup d'état d'avril 1975 est organisé par des militaires qui se sont progressivement radicalisés avec le rejet des guerres coloniales en Angola. Ils portent un projet de militaires porteurs d'un projet démocratique et la mise en place d'un gouvernement civil, avec l'organisation d'élections libres.
Je relis cet ouvrage après l'avoir lu à sa sortie, il y a de nombreuses années. Sans l'avoir fait exprès, le pays fête cette année l'anniversaire de la « Revolução dos Cravos », transition exemplaire entre la dictature d'un président malade à une démocratie paisible, et la réunion à une Europe élargie. Un beau symbole. Et si le cadeau d'anniversaire aux dictateurs encore en place, ou rêvant d'y être, sous couvert du « bien pour le peuple » était de leur offrir ce livre. Ou plus symboliquement, lauréer Antonio Lobo Antunes du Prix Nobel, qui lui a échappé en 1998 pour José Saramago.
Qui se souvient encore de « L'Aveuglement » (1997, Editions du Seuil, 302 p.) de Saramago, traduit par Geneviève Leibrich de ( Ensaio sobre a cegueira). Et de cette femme sans nom qui n'a pas été frappée par la « blancheur lumineuse ». Serait-ce cette cécité plutôt que d'avoir été frappé par « La Peste ». Finira t'elle en guide hors des ténèbres désertées par l'humanité.
Ou alors étaient-ce ces phrases longues, mais si alambiques qu'on en perd le fil. « À partir de ce moment-là, à l'exception de quelques commentaires isolés, inévitables, le récit du vieillard cessera d'être écouté attentivement et sera remplacé par une réorganisation de son discours en fonction du vocabulaire utilisé, dans le but d'évaluer l'information reçue. La raison de ce changement imprévu d'attitude est à chercher dans l'emploi du verbe maîtriser, passablement recherché, par le narrateur, qui faillit presque le disqualifier de sa fonction de narrateur complémentaire, important, certes, car sans lui nous n'aurions aucun moyen de savoir ce qui s'est passé dans le monde extérieur, de sa fonction de narrateur complémentaire, disions-nous, de ces événements extraordinaires, alors que chacun sait que la description d'un fait, quel qu'il soit, a tout à gagner de l'utilisation de termes rigoureux et appropriés. »
Dans ce genre « le Baron Wenckeim est de retour » de László Krasznahorkai, traduit par Joelle Dufeuilly (2023, Cambourakis, 528 p.) est bien plus lisible. Avec en exergue « Pour l'éternité : cela durera tant que cela durera ».
C'est donc un pays, le Portugal, en pleine recomposition. Une vieille famille se retrouve au chevet du maître Diogo, qui est mourant. La famille est l'incarnation de la bourgeoisie aisée, qui a largement profité de la dictature de Salazar. Elle se prépare à l'exil en Espagne, ayant maintenu une apparence de prospérité en usant de mille et une procédures légales et illégales. Tous se détestent, se déchirent sous l'oeil du grand-père agonisant et se dépouillent de leurs héritages. Ils découvrent alors qu'ils n'ont hérité que des dettes.
Le premier acte comprend le monologue de plusieurs personnages. Il se déroule lors de l'agonie avant la mort du patriarche, un événement qui déclenche des souvenirs et apparait comme la libération de la parole. « Quant à nous, le dimanche, nous rendions visite aux oncles et tantes qui nous restaient du naufrage familial, enfermés pour sabotage économique dans le fort de Caxias, d'où ils voyaient les marées du Tage monter et descendre sur la muraille, entre des barreaux des cellules et des aisselles de parachutistes ». C'est une période particulière de l'histoire du pays. La dictature se fissure et les masques tombent, offrant au peuple portugais la possibilité de reprendre en mains son destin politique.
Le régime colonialiste est encore en place, même cela craque de partout. C'est encore l'« Estado Novo », nom donné au régime issu de la Dictature Nationale. le tout étant reconnu comme la « Segunda República Portuguesa » ou Deuxième République Nationale, démocratique. C'est de fait, l'un des plus longs régimes autoritaires en Europe. Opposé au communisme, au socialisme, au syndicalisme, à l'anarchisme, au libéralisme, et à l'anticolonialisme. Que de belles formules. Cependant, le régime est, de nature, conservateur, corporatiste et nationaliste. Il défend avec vigueur le catholicisme portugais. C'est la perpétuation du Portugal en tant que nation pluricontinentale, avec l'Angola et le Mozambique, qui sont vus comme des extensions du Portugal lui-même. La métropole est alors considérée comme une source de civilisation et de stabilité pour les sociétés d'outre-mer. Dans les années 1920 et 1930, le régime colonial instaure un système racial séparant les Africains « assimilés », qui ont reçu les bases d'une éducation leur permettant éventuellement d'occuper une place dans l'administration coloniale, des autres indigènes, privés de droits et soumis au travail forcé.
« Depuis avril de l'année précédente, les militaires et les communistes s'approchaient des façades d'immeubles, dressaient leur membre comme les animaux quand ils urinent et abandonnaient sur les murs un pissat de « Vive X » et de « Mort à Y » qui se contredisaient et s'annulaient, aussitôt recouvert d'affiches appelant à des grèves ou à des meetings, de photos de généraux, de réclames pour concerts rock, de svastikas, d'invitations à boycotter le gouvernement et de propositions obscènes de chiottes, doigts des lettres entrelacés dans un flirt que l'automne du temps décolorait. Malgré les jeeps de la police qui patrouillaient dans les rues, des Gitans chargés de casseroles et de chaises prenaient d'assaut les appartements vides du centre. Des crèches naissaient dans les maisons en ruine et les enfants, assis sur le plancher, se gavaient de sandwichs aux gravats. Des Staline au fusain nous provoquaient au coin des rues et le fleuve s'évanouissait à Caxias, suffoqué par les ailes des oiseaux, avec ses pétroliers immobiles comme des rochers sous le pont »
.
Reste cette vision, qui était celle de l'époque de ces « types à moustache et à sombrero, le pistolet à la ceinture, [qui] déambulaient sur les balcons illuminés de la Bolivie, drapés dans une dignité de Zapatas diplomates ». Comble du relâchement « Ils ont pissé sur les géraniums ».
La réunion de famille dans de la demeure seigneuriale de Monsaraz, autour du moribond va servir à se projeter dans un formidable tableau de moeurs, le tout suivant différents registres dramatiques. La progéniture fouille dans ses affaires, à la recherche de son testament avec la rapacité des vautours. Il se souvient avec amertume et résignation de son mariage insensé avec la belle maîtresse de son frère, qui l'a laissé avec une fille mongoloïde et un fils simple d'esprit, qui, à soixante ans, conduit des trains miniatures devant le lit de mort de son père avec la suffisance solennelle d'un enfant de cinq ans. On aura la révélation de l'immoralité, cynique forcément, de Rodrigo, le gendre avide de Diogo. C'est lui qui a engendré un enfant de sa propre fille bâtarde. Décidément, c'est une tare de la famille que de faire des bâtards. Cupide, il vise ce qui reste du domaine en ruine de Diogo. Dans la chaleur accablante de l'automne, les projets des personnages vont et viennent dans une atmosphère d'élégance décrépite, d'argent terni et de brocart pourri. Lorsque le moment du départ arrive enfin, la scène passe du chaos au vide. Rodrigo n'est plus au centre du groupe mais fermement, terrifiant, à l'extérieur.
« Je traversai le couloir et allai dans la chambre dire au revoir à Ana. Elle continuait à fumer, rigide sur son oreiller, vivement intéressée par les volutes de la console. de temps à autre, ses doigts s'élevaient à hauteur de la bouche, un petit point rouge se ravivait, la fumée lui disloquait le visage, et sa main se posait de nouveau dans un pli de drap, sur le nid du cendrier en verre. Les chrysalides de mes enfants s'agitaient dans la pièce voisine, enfermées dans le cocon des lits superposés. Je restai un instant debout, les pouces dans les poches, indécis : depuis que Je-ne-sais-qui avait téléphoné pour lui parler de Mafalda, Ana s'était totalement désintéressée de moi ».
C'est la même société que celle que décrit José Saramago dans « L'Année de la mort de Ricardo Reis », traduit par Claude Pages (1988, Seuil, 384 p.). Ricardo Reis , médecin, est parti du Portugal au moment des troubles nés de l'instabilité de la jeune république. Il a vécu seize ans dans un exil doré au Brésil. Il revient, ayant perdu son créateur. Il découvre une ville, Lisbonne, depuis l'hôtel Bragança, dans une chambre avec vue sur le Tage. Ses journées sont ponctuées de longues ballades, souvent sous la pluie. Nostalgie de sa profession de médecin, non avec de temps en temps des brèves passions. Mais il n'en finit pas pour autant avec celui dont, dès l'abord, il va visiter la tombe et qui revient le voir régulièrement. Fiction greffée sur une autre fiction, qui engendre un mystérieux jeu de miroirs. Les reflets se multiplient à l'infini, renvoient les uns aux autres, créant une singulière galaxie. Qui ne va pas sans une interrogation profonde sur la vérité et l'unicité du sujet.
Cette « Farce des damnés » est construite en sept parties (matin, après-midi, nuit, côté A et côté B, premier et deuxième jour de fête), dont chacune se déroule dans un temps assez bref. Il s'agit, à travers l'histoire d'un couple qui se sépare et dont le mari part pour les terres du sud du Tage, de l'évocation d'une famille, sous forme de flash-back dans le récit.
Le deuxième acte de cette auto tragédie est vécu par Ana quelques années plus tard. À travers Ana, son passé et son présent s'entremêlent dans le souvenir. le seul futur possible pour la famille apparaît alors le dernier d'entre eux ne parvient pas à disparaître. Contrairement à ceux qui sont sortis, par la mort, du cercle de l'enfer, les vivants restent condamnés à la damnation par la mémoire.
Le titre fait référence aux origines du théâtre Portugais par Gil Vicente (1465-1537). Il est considéré comme le premier dramaturge littéraire portugais. Maître de rhétorique du roi Dom Manuel, il introduit les « Auto Pastoril Castelhano » et « Auto da Visitação » qui rappelle l'« Adoration des bergers », puis il montera les pièces de « Auto dos Reis Magos » dans laquelle un berger déterminé à aller à Bethléem se trompe de chemin. Puis « Auto de São Martinho » et en 1511, « Auto das Fadas » où « une sorcière, redoutant qu'on l'emprisonne pour son office, va se plaindre au Roi, lui montrant par des raisons que pour cela elle lui donne, combien sont nécessaires ses tours de magie ». On trouve ses pièces dan « Théâtre espagnol du XVIe siècle » (1983, Bibliothèque de la Pléiade,1184 p.) édité par Nadine Ly.
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La Farce des Damnés est un grand roman, sous la plume d'un grand auteur, sans doute un Nobel de littérature en puissance et à tout le moins un géant de la littérature portugaise contemporaine. le livre est difficile à résumer tant il est foisonnant, mais il revient sur une période particulière de l'histoire du pays, quand enfin la dictature se fissure et que les masques tombent, offrant au peuple portugais la possibilité de reprendre en mains son destin politique. Evidemment, dans l'environnement bourgeois dont Lobo Antunes fait le cadre du récit, il y a surtout ceux qui ont profité du système et des guerres coloniales (en Angola en particulier) et qui vont devoir bientôt rendre des compte. Quatre journées scandent le récit, multipliant les monologues intérieurs de chaque personnage pour mieux éclairer leurs traits de caractère respectifs, leurs histoires, leurs drames intimes. La réunion de famille autour d'un enterrement va servir à nous projeter dans un formidable tableau de moeurs où différents registres dramatiques varient. Les manoeuvres des uns, les infidélités, les lâchetés, les coups tordus, et pour finir une assemblée venue là pour se repaître d'un héritage attendu. On sent qu'à l'agonie du Portugal sous un régime qui s'essouffle de toutes parts correspond cette lente et triste réunion de famille. Mais l'auteur ne laisse pas ses protagonistes s'abandonner au fado et au fatalisme, le roman n'en serait que trop lourd à porter pour le lecteur, il ménage de multiples espaces où insinuer du grotesque, du burlesque, de l'humour. C'est vraiment une prouesse romanesque réussie !
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J'ai lu facilement ce roman –ce qui n'est pas le cas de tous les livres de cet auteur- Je parle de facilité technique et d'intérêt ne se perdant pas. Je l'ai aimé et admiré. J'avais plaisir à le retrouver à chaque fois que je le pouvais. Pour ces raisons, je vous le conseille sans hésiter pour voir un peu en quoi Lobo Antunes est un grand écrivain.
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Et nous ne sommes même pas restés bons amis : comme tout cela est stupide, les disputes, les silences, les petites haines rongées avec furie comme des os en caoutchouc, les innombrables mégots et nos têtes côte à côte sur le dossier du lit, sérieuses, obstinées, furibondes, irréductibles, le pli au milieu de nos fronts traçant la bissectrice de l'angle lointain des pieds.
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(…) les personnes importantes n'aiment pas qu'on les dérange (…).
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Et si pour comprendre les racines de la violence, on écoutait ceux qui traquent la violence et ceux qui s'y adonnent ? Quitte à plonger au coeur du mal…
« Mon nom est légion » d'Antonio Lobo Antunes, c'est à lire en poche chez Points.
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