La guitare
Commence le pleur
De la guitare.
De la prime aube
Les coupes se brisent.
Commence le pleur
De la guitare.
Il est inutile de la faire taire.
Il est impossible
De la faire taire.
C’est un pleur monotone,
Comme le pleur de l’eau,
Comme le pleur du vent
Sur la neige tombée.
Il est impossible
De la faire taire.
Elle pleure sur des choses
Lointaines.
Sable du Sud brûlant
Qui veut de blancs camélias.
Elle pleure la flèche sans but,
Le soir sans lendemain,
Et le premier oiseau mort
Sur la branche.
Ô guitare !
Ô cœur à mort blessé
Par cinq épées.
//Federico Garcia Lorca (1898 – 1936)
//Traduit de l’espagnol par Pierre Darmangeat,
Si, parfois, une invisible atmosphère
Si, parfois, une invisible atmosphère embrasée
Vient brûler tes lèvres rouges,
Sache que l’âme qui peut parler avec les yeux
Peut aussi, du regard déposer un baiser.
p.529
//Gustavo Adolfo Bécquer (17/02/1836 – 22/12/1870)
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J’entends le bruissement de la Mort…
J’entends le bruissement de la Mort qui approche,
Pas de velours, feutrés comme ceux des pieds nus,
Glissement cauteleux tel celui de l’aveugle,
Qui flaire en tâtonnant, d’un odorat aigu.
Et quand je sens son aile-main me nimber d’air,
Je me recroqueville, en retenant mon souffle ;
Puis, tranquille à l’abri du bastion du mystère,
Je ferme les paupières et je me laisse aller.
Je fais ainsi le mort, comme le scarabée ;
Oh, lâcheté ! car c’est mourir à deux reprises,
Et à ce sombre jeu, oh ! pénible torture,
Je bois la lie, le dépôt trouble de la vie.
Ah ! qu’il est dur de se résigner au destin !
Pour éviter la mort, mourir en la fuyant :
Ah ! voyageur, toi qui achèves ton voyage,
C’est au bout du chemin qu’on connaît tout son sort !
Toi, cependant qu’ainsi je jette au vent mes plaintes,
À l’oreille dis-moi ce qui régit ton cœur,
Pour que le mien puisse y puiser son dernier souffle,
C’est le souffle final de la résignation.
// Miguel de Unamuno (1864 – 1936)
/ Traduit de l’espagnol par Yves Aguila
Comment vit cette rose
Comment vit cette rose que tu as agrafée
Près de ton cœur ?
Nulle part au monde jusqu’à présent je n’ai vu,
Sur le volcan, la fleur.
//Gustavo Adolfo Bécquer (17/02/1836 – 22/12/1870)
p.531
Matière
Convertir la parole en matière
Où ce que nous voulons dire ne puisse
Pénétrer au-delà
De ce que la matière nous dirait
Si à elle, comme à un ventre,
Nous appliquions, subtile,
Un ventre nu et blanc,
Subtile l’oreille pour entendre
La mer, l’indistincte
Rumeur de la mer, qui au-delà de toi,
L’amour sans nom, t’engendre toujours.
// José Ángel Valente (1929 – 2000)
/ Traduit de l’espagnol par Nadine Ly
L’œil solitaire de la nuit
Derrière la vitre, l’air obscur est un vol
qui va nulle part
et que personne n’interrompt,
tout est un triangle vide, un silence,
que je veux percer.
Un oiseau d’ombre que je ne vois pas passe
entre les eucalyptus et les astres,
et de ses ailes il heurte le vide :
sourde est l’aile de la vie,
rude est l’aile de mort.
Il a déjà investi la nuit,
et de là il frappe ma poitrine et mes entrailles,
et maintenant on entend le silence
pénétrer, et demeurer, dans le triangle,
là où je n’irai pas,
où je me reflète.
J’écris ces mots et je ne comprends pas
pourquoi je ne suis (moi qui ne suis pas)
que la confusion de sourdes sonorités.
// Francisco Brines (22/01/1932 - 20/05/2021)
/ Traduit de l’espagnol par Yves Aguila
Jaime Siles
GRAPHÈMES
Le tracé sonore de la ligne
Est antérieur au tempo du blanc.
Le tempo de la ligne
— Tel l'espace et le rythme de la page —
Est antérieur au rythme des couleurs.
L'espace et le tempo de la ligne
Sont intérieurs au rythme de la page.
Corps textué, l'écriture
Est un rythme d'espaces de couleur :
Blanc sur noir,
Noir sur blanc
Dans l'espace blanc de la ligne,
Dans l'espace blanc de la page,
Dans l'espace blanc des couleurs.
L'écriture est un rythme antérieur à ce corps,
Intérieur à cet espace.
L'écriture du noir sur le blanc
Ne connaît qu'un seul signe :
Le blanc invisible
Visé par la couleur.
p.985
Transfiguration de la perte
La musique convoque les images
Du temps. D’où m’appellent-elles
Pour me ramener
Au jour implacable ?
Je n’ai rien à moi
Sauf ce qui a fui. Fragment
Libre d’hier, la mémoire afflue
Sur fond de guerre et d’espoir
Où tout s’alarme et se transforme
En vie, où ma vérité
Est en train de nouveaunaître.
Oh, transfiguration
De ce qui n’est plus, vestige
Obstiné du précaire, geôle
Complice de la mémoire,
Sauvegarde du temps en prison de musique.
// José Manuel Caballero Bonald (11/11/1926 – 09/05/2021)
/ Traduit de l’espagnol par Nadine Ly
PATRIE, DONT JE NE CONNAIS PAS LE NOM
extrait 3
Oh, comme parmi les collines
L’air survivant
L’environnait et s’empressait.
Vous auriez dû la protéger.
Vous ne l’avez pas fait.
Tremblez.
Car cette pousse aurait dû croître
Pour la lumière, non
Pour l’ombre, pour la haine
Et pour la négation.
La terre avait été
Remuée et labourée
Avec le sang de tous,
Avec le sang. La joie
Etait devenue difficile ;
Il nous fallait
D’abord la vérité.
Nous sommes venus. Et nous sommes
Seuls. Je demande :
Qui donc détient ta vérité ?
Et toi tu es cette réponse.
Ô patrie et patrie
Et patrie là dressée
Pour vivre, là dressée
Sur la blancheur
Mutilée de la neige :
Qui donc détient ta vérité ?
p.927/929
// José Ángel Valente (25/04/1929 – 18/07/2000)
/ Traduit de l’espagnol par Claude Couffon
![](https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/41H8H8M0Z8L._SX95_.jpg)
José Maria Gabriel y Galan
Ecc Homo !
Je vis seul avec moi -même depuis vingt-quatre ans maintenant ,
et je veux
me divorcer depuis quatre ans.
Tout ce qui
m'entoure m'ennuie profondément,
et si j'entre en moi,
ce que je vois m'effraie et me donne horreur...
Ma tête est un vaste chaos chaotique
et lugubre
d'où jamais un monde ne sortira,
et mon cœur est un cirque
où ils combattent comme des bêtes
mes vertus et mes vices.
Sans étoile dans mon ciel,
dans la nuit noire je marche ;
je cherche des fleurs et je trouve des chardons,
j'aperçois un arôme céleste,
je cours vers lui, et, courant, aveugle,
mes pieds trouvent le vide ;
Il est impossible de m'arrêter,
je tombe en roulant dans un abîme,
J'arrive à m'accrocher à une rose…
et elle s'en va avec moi !
Aujourd'hui je ne peux ni aimer ni ressentir…
Oh ! quand je pense que j'ai été
heureux..., que je pourrais être...
Un jour, un jour maudit,
un désir fou de savoir,
a fait goûter à mon esprit
le fruit interdit, incitant,
de l'arbre interdit
du bien et du mal ... La science
m'a jeté du paradis ! Cruelle, mes yeux se sont transformés
en microscopes ; ce que les autres voient de l'eau pure pleine d'infusoires je le regarde, et là où ils trouvent l'amour ils ne découvrent que l'égoïsme. Il y a ceux qui la nuit, dans la forêt, sont enchantés par l'éclat pur d'une lumière qui entre dans les feuilles
la pelouse fait son chemin;
Je ne, je ne peux pas m'enchanter
et je m'approche de cette lumière,
jusqu'à ce que je trouve le ver...
et je fais de même dans le monde !
Et si la vie
m'ennuie et m'agace, le
simple fait de penser à la mort
me fait frissonner.
Tant pis si je vis, et pire si je meurs,
voyez si je vais m'amuser...
Si les êtres sur terre
vivent autant que moi,
puisqu'il y a un Dieu (s'il y en a), je ne comprends pas
pourquoi nous sommes nés !...
Au diable ma chance
et au diable le jour
où on m'enverra au monde
sans me consulter !...