La Résistance, on le sait a inspiré beaucoup de nos grands poètes :
Eluard,
Aragon,
Desnos, Char, et bien d'autres ont payé de leur personne et de leur plume pour lutter contre l'ennemi commun. Citons juste deux titres, mais qui en valent cent : « liberté » de
Paul Eluard et « La Rose et le réséda » de
Louis Aragon. Les prosateurs, en revanche sont beaucoup moins nombreux. Certains écrivains soutiennent clandestinement la Résistance :
François Mauriac,
Albert Camus,
Jean Paulhan ; certains écrivent et résistent en même temps : la plupart des poètes,
Jean Prevost ; enfin les résistants qui, pour témoigner, se font écrivains : le plus célèbre est bien entendu Vercors.
Joseph Kessel peut être situé dans la deuxième catégorie : Résistant depuis le début de la guerre, il passe les Pyrénées et rejoint le général
De Gaulle à Londres. C'est là qu'en 1943, avec son neveu
Maurice Druon, il écrit les paroles du « Chant des partisans » (musique d'
Anna Marly). La même année, il écrit «
L'armée des ombres » en hommage à tous ses amis combattant dans la clandestinité. Il finira la guerre comme chef d'escadrille.
Initiative personnelle, ou oeuvre de commande pour le général
De Gaulle, peu importe après tout : l'essentiel est de rendre hommage aux héros de l'ombre, à cette « armée des ombres » magnifique et pathétique, portant haut les couleurs de l'honneur et de la patrie : voici les derniers mots de sa lumineuse préface :
« Jamais la France n'a fait guerre plus haute et plus belle que celle des caves où s'impriment ses journaux libres, des terrains nocturnes et des criques secrètes où elle reçoit ses amis libres et d'où partent ses enfants libres, des cellules de tortures où malgré les tenailles, les épingles rougies au feu et les os broyés, des Français meurent en hommes libres.
Tout ce qu'on va lire ici a été vécu par des gens de France.
Mon seul souhait est de ne pas avoir rendu avec trop d'infidélité leur image ».
«
L'Armée des ombres » se présente comme une suite de récits, d'anecdotes, de faits de résistance plus ou moins centrés autour de Philippe Gerbier, le chef, entouré de personnages inoubliables : les frères Jardie (l'aîné, Luc, grand-bourgeois qu'on ne devine pas organisateur de réseau, et son frère, Jean-François, homme de terrain), le Bison, ex légionnaire au grand coeur, Mathilde, qui en sait trop et que ses camarades devront exécuter pour éviter la perte de tout le réseau…
Le style est sobre, sans fioritures et d'une redoutable efficacité. L'auteur ne cache rien, ni les violences commises par les Allemands (ou les miliciens) ni celles commises par les Résistants (quelquefois à leur corps défendant), ni les manifestations d'héroïsme, ni celles de lâcheté. Nous pénétrons avec lui dans un univers particulier, où l'individu, par nécessité, se voit obligé de s'effacer devant le collectif.
Il est curieux que les deux plus grands livres écrits sur la Résistance, « le Silence de la mer » de Vercors, et «
L'Armée des ombres » de
Kessel, représentant les deux faces de la Résistance, celle du silence et celle de l'action, aient été portés au cinéma par le même réalisateur, Jean-Pierre Melville, avec le même souci d'authenticité, la même puissance d'émotion, le même message relevant à la fois de l'hommage à l'héroïsme, de la défense d'un certain honneur, de la difficulté de garder des valeurs humanistes en période de troubles aussi graves…
Les romans, comme les films, sont bouleversants.
Pour mémoire :
« le silence de la mer », un film de 1947 avec Howard Vernon, Nicole Stéphane et Jean-Marie Robain
«
L'Armée des ombres », un film de 1969 avec Lino Ventura,
Simone Signoret,
Paul Meurisse, Jean-Pierre Cassel, Christian Barbier…