D'abord quelques généralités.
Kessel, engagé dans la Résistance dès 1941, appartient à un réseau lié aux services de renseignements britanniques (
Maurice Druon rejoindra ce même réseau). Sa situation personnelle est très risquée en France puisque l'auteur est à l'index et sa photo a servi d'exemple dans certaines expositions "le Juif et la France". Repéré ainsi que plusieurs de ses compagnons, il part pour Londres rejoindre la France Libre.
"
L'Armée des Ombres" écrit sur une suggestion de
De Gaulle, publié en 1943 et diffusé sous le manteau en France, constitue un des premiers romans consacrés à la Résistance française. La publication de ce roman suit de peu celle du "chant des partisans" dont il a contribué aux paroles avec
Maurice Druon.
Roman ou chronique ?
Kessel dira qu'il refuse de dépasser "la simplicité de la chronique, l'humilité du document".
Les différents personnages, très probablement composites, sont directement inspirés de gens ayant existé et d'actions vraies qui ont été menées. Dans la préface du livre,
Kessel précise qu'il a eu "un tragique embarras du choix" pour mettre dans son livre personnages et actions.
Dans le roman, trois personnages dominent et ces trois personnages, très différents, n'avaient pratiquement aucune raison de se fréquenter avant la guerre.
Mathilde, mère au foyer issue de l'Action Française, Philippe Gerbier, un ingénieur des Ponts et Chaussées, "soupçonné d'avoir des pensées gaullistes". Luc Jardie (surnommé dérisoirement mais tendrement "
Saint-Luc" par son frère, Jean-François) est un normalien, un intellectuel pur, un savant. C'est le chef de ce réseau que son frère Jean-François, membre du réseau recruté indépendamment, découvrira fortuitement.
Bien entendu, cela n'occulte nullement les autres personnages le Bison, Felix, Jean-François etc. tous remarquables d'abord par leur sens du devoir ou par leur patriotisme farouche.
J'ai lu que le roman était considéré comme un ouvrage "nocturne" car de nombreuses scènes ont lieu de nuit. En tous cas, son style est direct, âpre, factuel et d'une redoutable efficacité.
Kessel joue fréquemment avec le "je".
Un chapitre entier correspond à des "notes de Philippe Gerbier" évidemment écrites à la première personne. Mais à d'autres endroits, le "je" pourrait correspondre à
Kessel lui-même qui se pose, alors en simple "témoin" (En particulier, le chapitre "ces gens-là sont merveilleux" qui se passe lors d'un repas officiel à Londres où sont présents Luc Jardie et, probablement,
Kessel)
La plupart des scènes du livre correspondent à des scènes typiques de Résistance : l'évasion d'un camp, l'exécution d'un traitre par des gens qui ne sont fondamentalement pas des bourreaux, l'embarquement sur un sous-marin vers Gibraltar.
C'est un roman puissant, d'une émotion extrême, duquel on ressort avec le sentiment d'un espoir désespéré et un profond respect pour tous ces personnages.