J'ai vu de nombreuses fois le film de Melville, adapté de ce livre, film, dans mon souvenir, d'une grande sobriété, et marqué par les interprétations magnifiques de Lino Ventura et
Simone Signoret.
Le livre de
Joseph Kessel est aussi d'une grande sobriété d'écriture, même s'il y souffle en permanence le vent de la révolte et du refus de soumettre à l'abjection.
Une de ses traits que je trouve marquant, c'est qu'il est à la fois témoignage et plaidoyer pour la Résistance.
Témoignage, car écrit et publié, en pleine guerre: 1943, avec un souci de retranscrire aussi fidèlement que possible le combat de ces femmes et hommes de l'ombre, dont
Kessel fit partie, mais tout en changeant leurs noms et leurs apparences pour ne pas les mettre en péril. le chapitre Notes de Philippe Gerbier est notamment d'une incroyable authenticité.
Témoignage d'une guerre faite par des femmes et
des hommes aux moyens dérisoires, que rien n'obligeait à faire cela, si ce n'est la volonté de défendre l'honneur de leur pays. Des vies dans la clandestinité, la précarité, et, très souvent, aboutissant à la torture et la mort. Et des vies de violence, envers l'ennemi, allemand ou français, et aussi envers celles et ceux qui trahissent la Résistance, et qui sont, de ce fait, exécutés. Cette attitude implacable, mais nécessaire, m'évoque cette phrase de Gandhi, pourtant apôtre de la non-violence: "si tu as à choisir entre la lâcheté et la violence, choisis la violence".
Plaidoyer, car
Kessel y fait une apologie de cette France qui ne veut pas se soumettre à l'occupant et qui refuse, au péril de sa vie, le déshonneur de la collaboration. C'est écrit avec force et conviction, en mettant en avant, de façon délibérée, ceux qui résistent.
Je cite notamment ces belles phrases:
" J'ai su que nous faisions la plus belle guerre du peuple français. Une guerre matériellement peu utile puisque la victoire est assurée même sans notre concours. Une guerre à laquelle personne ne nous oblige. Une guerre sans gloire. Une guerre d'exécutions et d'attentats...Mais cette guerre est un acte de haine et une acte d'amour. Un acte de vie."
Cela fait du bien de relire cela, car, après une période, notamment "gaullienne", de glorification de la Résistance jusqu'en 1970, trop d'écrits, de films, de discours, ont voulu faire croire à l'inverse que la France était constituée de 40 millions de Pétainistes, et d'une grande majorité de "collabos" . N'oublions donc pas qu'il y eut, certes pas une majorité, mais, quand même, 2 à 3% de la population, soit un bon million de gens, qui s'engagèrent dans ce combat, et sans doute un nombre bien plus grand de personnes qui les aidèrent. Et aussi qu'ils refusèrent, pour la plupart, de passer pour des héros.
Et nous, qu'aurions nous fait? Aurions nous résisté? Nous avons la chance immense de vivre, grâce notamment au sacrifice de ces aînés, dans un pays de liberté. Mais cette liberté n'est elle pas menacée par des menaces plus insidieuses, venant des réseaux sociaux, des fake-news propagées sur internet par des puissances étrangères, des médias, et de ceux de tous bords qui prônent l'intolérance?