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La Symphonie du Nouveau Monde » est un roman singulier.
Singulier par son ton et par le biais qu'il prend pour aborder la période de la 2e guerre mondiale.
J'ai beaucoup aimé ce roman à la construction non linéaire, qui entrecroise deux destins, en nous faisant passer d'une époque à une autre, de 1938 à 2002, sans jamais nous perdre.
Les deux personnages principaux de ce roman ont un statut social bien différent.
Ils vont vivre en France, en mode résistance et survie.
Lenka Hornakova-Civade convoque la mémoire d'un diplomate tchécoslovaque, Vladimir Vochoc, qui a réellement existé, et qui a parfois été comparé à Oskar Schindler (se rappeler du célèbre film - La liste de Schindler-).
L'histoire de Vladimir Vochoc était totalement tombée dans l'oubli, jusqu'à ce qu'en 2016, il reçoive à titre posthume le titre de « Juste parmi les nations ».
Il est mort à Prague en 1985 à l'âge de 91 ans, dans la pauvreté la plus totale.
Ancien consul tchécoslovaque en poste à Marseille entre mai 1938 et mars 1941, il a délivré des centaines de passeports tchécoslovaques à des réfugiés juifs leur permettant de rejoindre les Etats-Unis, et ainsi de fuir le régime de Vichy et la menace allemande.
Il avait une haute idée de sa mission, et se sentait obligé d'agir.
Il n'avait pas peur d'enfreindre les règles, quitte à être plus tard accusé de trahison !
Il faut dire qu'il a joué son rôle de consul dans des circonstances quelque peu floues, puisque de fait, la Tchécoslovaquie avait cessé d'exister : la région des Sudètes ayant été annexée par le Reich qui occupait le reste d'un pays alors dénommé Protectorat de Bohème et Moravie.
Vladimir Vochoc a fait preuve de beaucoup de loyauté pour son pays, la Tchécoslovaquie.
Il était habité par la conviction de se battre pour sa patrie.
Il a fait figure de héros dans cette période historique bien difficile et dangereuse.
Avec ce roman,
Lenka Hornakova-Civade rend un bel hommage à cet être d'exception.
Et on ne peut qu'être en admiration devant cet « homme ordinaire qui avait sa part d'extraordinaire » !
L'autre personnage, en quête de nouveau monde, c'est Bojena, une jeune pragoise, ancienne vendeuse de tissus dans un grand magasin, en route pour l'Amérique avec son mari, vendeur de bicyclettes, bloquée sur le point d'accoucher à Strasbourg.
Mais l'Amérique est loin, et les accords de Munich en septembre 1938, qui livrent la Tchécoslovaquie à Hitler, scellent le sort de la paix en Europe.
L'histoire est vue à travers les yeux d'une poupée de chiffon qui appartient à Josefa, la fille que Bojena a volée, bébé, à une émigrante juive morte en couche, et qu'elle a élevée comme son propre enfant. Cette poupée avec
« une étoile à la place du coeur » porte le secret des origines et la mémoire d'une épopée qui ira jusqu'à Vence et au maquis de la Creuse.
Les destins de Vladimir Vochoc et de Bojena, confrontés à cette époque troublée, vont se croiser.
Ils illustrent chacun à leur manière la quête d'un Nouveau Monde, qui est le thème de la symphonie d'
Anton Dvorak, qui donne son titre à ce roman.
Bojena, qui a envie de partir dans le nouveau monde, espère réaliser ses rêves, peut-être fous, peut-être provoqués par cette symphonie dont elle a entendu la musique et qui donne des ailes !
Mais ce Nouveau Monde, n'est-il pas simplement le lieu où trouver refuge ?
Lenka Hornakova-Civade arrime sa fiction à l'histoire secouée du pays où elle est née, liée depuis longtemps à celle de son pays d'adoption, la France. le français, cette « langue de culture », comme la défendra Josefa, devenue grand-mère, est la langue d'écriture de l'auteure.
De courts chapitres se succèdent.
La narration est très dialoguée, l'écriture est dynamique, et les dialogues sont savoureux.
Les deux personnages principaux sont très attachants.
Comment ne pas les aimer, ces personnages malmenés par la guerre, ballotés par l'exil, mais qui résistent et gardent l'espoir envers et contre tout !
Et quelle belle idée de la part de l'auteure de faire raconter le parcours de ces deux personnages principaux par la poupée de chiffon de la fille adoptive de Bojena ! C'est assurément un beau parti pris narratif ! Cela apporte au récit une jolie touche de poésie, de la tendresse, et beaucoup d'émotion.
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La Symphonie du Nouveau Monde » est un très beau roman tout en sensibilité, sur la nostalgie du pays perdu, sur l'exil, sur la transmission, et le désir de liberté.
Un beau moment de lecture, un livre intéressant qui captive, et qui est l'occasion d'en savoir plus sur l'histoire mouvementée de la Tchécoslovaquie.
Vladimir Vochoc, en collaboration avec
Varian Fry, un journaliste américain âgé de 32 ans en 1940, réussira à délivrer des passeports et à permettre la fuite à plus de 2 500 personnes parmi lesquelles de nombreux intellectuels tels que
Alma Mahler,
Franz Werfel,
Hannah Arendt,
André Breton,
Leonhard Frank, … pour ne citer qu'eux.
« Quiconque sauve une vie, sauve l'univers tout entier ».