Suite aux retours de Céline( cicou45), Magielivres et Laurence (coquinette1974), j'ai commandé ce livre pour mes élèves lycéens. Mais une fois ce bel objet en main, j'ai égoïstement décidé de le lire en priorité avant de le leur mettre à disposition (bon, en même temps nous avons commandé une bonne soixantaine de livres début mai, ils ne sont pas en manque de nouveautés !). le sujet des enfants autochtones enlevés à leurs familles m'interpelle depuis quelques années, c''est un fléau qui a touché de nombreuses populations y compris dans nos départements d'Outremer.
Ici il s'agit d'enfants des populations autochtones de la région de Vancouver arrachés très jeunes à leur environnement pour être placés à la Mission, un institut où tout sera mis en oeuvre pour leur extirper ce qui constitue leur essence, leur culture, afin d'en faire de bons petits catholiques bien formatés. Tous les moyens sont bons pour les briser, les rendre dociles et corvéables à merci, avant de les relâcher aussi démunis que des agneaux dans la "civilisation" de Vancouver, à l'âge de 16 ans. Ils subissent humiliations et sévices ignobles de la part des prêtres ou des "bonnes" soeurs, qui en profitent pour exploiter une main d'oeuvre gratuite et entièrement soumise, quitte à ce qu'il y ait quelques pertes occasionnellement : une petite trop malade qui finit par crever en travaillant dans le froid, ou un ado qui n'en peut plus d'être battu et victime de la perversité d'un prêtre et n'aura de cesse de s'enfuir...
Ce roman s'inspire très largement de témoignages recueillis auprès des survivants de ces pensionnats (au nombre de 139), par lesquels sont passés environ 150 000 enfants autochtones. On estime que 4000 y ont laissé la vie, des tombes sont encore régulièrement retrouvées. L'auteure, avocate et elle-même issue de la Nation Red Pheasant, s'est battue pour que les survivants soient entendus.
Kenny, Lucie, Maisie, Clara et Howie ont tous les cinq été emmenés de force à La Mission, et ont souffert sous la férule de Soeur Mary et
Frère John, deux sadiques profitant de la tâche qui leur est confiée (éradiquer la part indienne des enfants qui leurs sont confiés) pour assouvir leurs pulsions sadiques et pédophiles. Ils se sont croisés enfants, certains étaient amis, et leurs chemins de vie les amèneront à se rencontrer à nouveau une fois adultes et libérés de l'institution. Mais peut-on vraiment se libérer quand on a subi une telle emprise au plus jeune âge ? Ils ne se sont jamais vraiment remis, et selon leur force et leur tempérament, les séquelles se manifesteront différemment. Certains sombreront dans la drogue, d'autres connaîtront la prostitution, n'ayant ni formation ni aucun moyen de s'en sortir. Telle autre prendra le chemin de l'activisme militant, et l'un d'entre eux échouera en prison. Pour un autre encore, il noiera ses démons dans l'alcool et fuira le bonheur de peur qu'il ne se sauve, comme le dit Gainsbourg. Comment vivre sereinement quand les fantômes du passé ne cessent de s'inviter dans le présent ? C'est l'histoire de leur difficile, et parfois impossible reconstruction qui nous est contée, avec de nombreux flashbacks retraçant leur enfance avant et pendant leur séjour à la Mission.
L'existence de ces institutions n'a pas été une découverte pour moi, j'avais vu des reportages sur le sujet, et effectué quelques recherches sur internet. Ce qui m'intéressait vraiment, c'était de comprendre ce qui se passait à la sortie, quand les jeunes devaient s'insérer dans la vie "normale", sans y avoir été le moins du monde préparés. Comment faire quand on ne retrouve plus sa famille, quand on ne possède quasiment rien et qu'on n'a reçu aucune formation digne de ce nom ? Pas facile dans les années 70-90, alors que le monde entier ignorait totalement le sort de ces pauvres gamins. C'est pourquoi tant d'entre eux ne s'en sont pas vraiment sortis. Heureusement, justice commence à leur être rendue, mais c'est trop tard pour beaucoup.
La collection "Voix autochtones", dont fait partie ce roman, "donne la parole à tous les Peuples Premiers qui en ont été privés pendant si longtemps." je cite l'éditeur (Seuil). C'est une initiative que je salue, et je suivrai sans doute les prochaines parutions.
En plus, cette histoire est bien écrite, même si c'est une fiction on ressent bien que de nombreux éléments sont bien réels, et les personnages sont crédibles. Les chapitres alternent entre les points de vue des cinq héros, ce qui donne une dynamique intéressante au récit. Je suis restée assez détachée, sans doute pour me protéger. J'ai voulu garder une distance, sachant que si je m'impliquais trop dans ma lecture je finirai en larmes.
C'est une lecture que je recommande hautement, que ce soit aux adultes comme aux jeunes, que vous ayez déjà connaissance de ces faits révoltants qui ont quand même perdurés jusqu'aux années 90 ! Ou que vous n'en ayez encore jamais entendu parler, il faut ouvrir les yeux sur ce que l'humain est capable de faire subir à des enfants sous couvert d'assimilation !