Le Lac de nulle part, Pete Fromm
...Comment en est-on arrivés là ?
Je ne parle pas de la maison, je parle de nous. On ne se dit plus rien on évite le vrai sujet, comme s’il allait finir par se lasser de nous et partir.
-Quoi ?
-On n’a pas de secrets l’un pour l’autre, Dalt. Mais tu as trouvé un emploi sans me le dire. Et une maison. Une maison qui pourra s’adapter au pire.
-C’est juste que...
-C’est juste qu’on a peur. (..)
-Ne nous laissons pas envahir par la peur au point de ne plus se parler. D’accord, Dalt ? Ce serait vraiment dommage. De laisser une maladie à la con nous faire ça.
C'était donc ça, boire. Encore une étape dans ma vie. Ça et le sexe, je pouvais maintenant les ranger dans une sorte de boîte à souvenirs. "Étapes franchies". Ça tinterait comme mes dents de lait dans la vieille boîte de tabac Copenhagen de Papa. Expériences vécues. C'était amusant, mais plus je faisais les choses – comme embrasser Justin Haven devant tout le monde -, plus je me sentais vide.
Al me ramène à elle avec ses murmures, le trémolo des huards résonne sur le lac, les étoiles se reflètent dans l'eau. Je m'abandonne. Je prépare ma pagaie et j'attends qu'Al immerge sa pale, nous ne laissons rien dans notre sillage, hormis l'entrelacs de nos doubles tourbillons.
Il faisait toujours nuit noire à Magruder lorsque je me réveillai. J’allai à la porte pour juger du temps. Le ciel était si proche, si clair que les étoiles semblaient à portée de main. Mais je ne levai pas le bras. On aurait dit que les étoiles étaient l’essence même du froid, qu’elles pouvaient vider la moindre trace de chaleur de toute chose vivante.
- Il faut qu'on les prévienne, Dalt. Absolument, absolument, il le faut.
- De quoi, Mad ? Les prévenir de quoi ?
- Je sais pas. La vie.
- Combien elle est belle ?
- Oui, voilà. C'est exactement ce que je pensais.
(…)
- Je les préviendrais, dit-il. De faire très attention au bonheur. Je leur dirai qu'il risque de les prendre par surprise, de leur couper le souffle, et qu'ils en voudront toujours plus.
Peu importe la gravité de ta maladie, Mad, tu n’es pas devenue moins intéressante. Putain. Au contraire. Si j’étais à ta place, je ne serais probablement déjà plus de ce monde, j’aurais sauté dans la Lava sans radeau ni gilet, une enclume attachée aux pieds. Mais toi...(Il marque une pause, choisissant ses mots avec soin avant de se lancer.) Hormis ces sautes d’humeur, qui sont juste un autre symptôme de ta putain de maladie, Mad, ils ne font pas partie de toi, tu continues à avancer.
Quand je montais assez haut, je me retrouvai à l’intérieur même des nuages, et la distance se transformait alors en un gris de néant, la pluie laissant sur mes vêtements détrempés de minuscules perles de cristal.
À mes parents, pour m’avoir ouvert les portes
et m’avoir laissé les franchir.
Au lieu d’échanger des alliances qui, en plus d’être des symboles de possession archaïques, selon Dalton, sont également à l’origine des innombrables mines d’or à ciel ouvert qui éventrent nos montagnes et empoisonnent nos rivières, nous allons tremper nos mains dans l’eau et la laisser couler entre nos doigts mêlés, nous unissant dans un voyage aussi long que celui du courant, un cycle plus grand et plus éternel que n’importe quel anneau.
Bent s'immobilise au-dessus du grand bassin où on a commencé et, avec ce geste propre aux femmes, elle saisit l'ourlet de son T-shirt et retire le vêtement. Elle est rapide mais, l'espace d'un instant, lorsqu'elle passe le T-shirt par-dessus sa tête, le corps baigné par l'éclat argenté de l'eau, j'aperçois la bosse minuscule de son nouveau ventre sous le renflement fantastique de sa poitrine, ratant le mouvement de ses cheveux qui retombent sur ses épaules quand elle jette son T-shirt derrière elle. Puis son short et ses sandales. Tout ce que je vois, c'est son ventre.