Ma vie en peintures s'apparente à un recueil de
nouvelles dans la mesure où les onze chapitres qui le composent sont des récits indépendants qui peuvent être lus dans n'importe quel ordre. Ils forment toutefois un ensemble cohérent, par leur thématique et leur forme. Il s'agit de chroniques centrées à la fois autour des destins réels de peintres, de la vie de certains proches de la narratrice et de la narratrice elle-même dont les éléments biographiques sont révélés au fil des pages. Elle vit à Buenos Aires, avec son mari, plus âgé et leur petite fille. Elle est avant tout passionnée d'histoire de l'art. D'un naturel angoissé, elle aime se réfugier dans les musées. Issue d'une famille aristocratique, elle est souvent confrontée à des difficultés financières. Elle travaille en tant que guide. Les anecdotes biographiques autour de Dreux, Cándido López,
Hubert Robert, Foujita, Courbet, Toulouse-Lautrec, Rothko, le Douanier Rousseau, Schiavoni, El Greco se mêlent donc à la fois à des histoires personnelles, concernant la narratrice elle-même, une amie d'enfance, une cousine, un grand-oncle, etc. À cet ensemble formant une mosaïque de destins intéressants, souvent tragiques, se mêlent quelques belles descriptions de tableaux.Ce qui frappe avant tout à la lecture des premières pages de El nervio óptico est l'originalité et l'aspect novateur de la forme littéraire mêlant histoire de l'art, destins d'anonymes et autobiographie, ce qui n'est du reste pas sans rappeler certains textes de
Borges.
L'ensemble est marqué par une écriture vive, alerte et limpide. Sans être épuré, le texte est dépourvu de longueurs. La narratrice glisse quelques petites pointes d'humour et interpelle de temps en temps le lecteur : « imaginez », « sentez »…
À l'exception de deux textes écrits à la deuxième personne du singulier (où la narratrice s'adresse à elle-même), le roman est écrit à la première personne.
L'auteure manie les arts du récit et du collage. Elle tisse habilement les différents « morceaux » de la narration, en les alternant de manière brillante. Les fils qui relient les histoires des peintres et des autres protagonistes sont tantôt un lieu (Paraguay), une ressemblance physique, une scène de chasse, la mer, etc. Certains détails apparaissent en ricochet d'un texte à l'autre. Les éléments biographiques des peintres, souvent tragiques ou sulfureux, toujours précis et détaillés, attestent des connaissances approfondies de l'auteure en matière d'histoire de l'art, mais aussi de littérature. Son érudition n'engendre toutefois aucune lourdeur, les références étant savamment dosées.
Morts accidentelles, suicides, maladie, vieillesse, incendie, folie, alcoolisme, solitude… tous les destins évoqués sont marqués par la tragédie. L'auteure questionne en filigrane les rapports entre la vie et l'art. Il est par ailleurs souvent question de l'hostilité des éléments naturels, de la pluie, du vent, de la rigueur de l'hiver austral, mais aussi de l'agressivité de la ville de Buenos Aires. Davantage que ses rues ou ses quartiers, ce sont les musées de la capitale argentine qui sont mis en évidence au fil des pages.
En dépit de son originalité, de ses indéniables qualités littéraires et de son rythme agile, on peut reprocher à l'auteure l'aspect répétitif du procédé littéraire, susceptible de provoquer une certaine lassitude. Les premiers textes exercent sur le lecteur une fascination bien plus grande que les derniers. Les anecdotes concernant la vie de la narratrice, celle de ses proches ou connaissances, ainsi que les destins des peintres, aussi intéressants et bien agencés soient-ils, se succèdent sans qu'il y ait une narration transversale, ni de rebondissements pouvant happer le lecteur.