Oooooh la la l'émotion.
Au hasard des lectures, on en rencontre, des personnages, petits êtres d'encre animée, qui nous hantent ou nous quittent, après qu'on a partagé un bout de chemin en leur compagnie. Plume des auteurs qui nous partagent leurs sensations à éprouver - un minimum, pour pouvoir s'identifier, sinon rien. Ainsi on apprend de la vie et des hommes, territoires inconnus, époques forcément différentes (bouh je fuis en général les livres récents), destins qu'on n'aurait pas imaginés, voyages voyaaaages, comme chantait la prophétesse d'un autre siècle.
Et des fois, on reconnait très exactement le moindre battement de cil, le moindre doute, la moindre pensée qu'éprouve le personnage. LA rencontre, entre jumeaux, l'un, mon oeil, l'autre, en encre. Comment ils ont fait, les auteurs ? Pour décrire si justement ce que ressent chaque personnage, à commencer par moi ? Comment ils ont fait pour rendre si fort le petit tricotage de sentiments, de sensations, de pensées de doutes minuscules, ceux qui forment une vie, ou un instant de vie, instant qui restera tout entier jusqu'à notre dernier souffle… le fin crochet, de boucle en boucle, finit par composer cette pièce d'art, la dernière boucle arrive, on coupe le fil sans trembler, le fil qu'on passe dans cette dernière boucle comme on aspire un spaghetto, schloup, on tire bien pour rendre le noeud solide, et ce qui reste du pauvre fil pendouillant, on le glisse avec l'aiguille, invisible, dans le bord de la composition. Cut. Voilà. C'est fini.
Ça commence par une visite dans une Venise qu'on soupçonne, ou qu'on connait par coeur, sauf que les auteurs nous en livrent une vision décalée. Pas Venise, mais les gens qui viennent à Venise. Oui, les touristes, et alors, ils ont le droit de vivre et de s'extasier, les touristes. On en a fait partie et oui, on a aimé visiter un atelier et acheter un petit souvenir après, qu'on mettra ou non sur nos étagères, ya pas d'mal ma pov'madame. Il y a les guides aussi, rodés, un peu lassés parfois, rien de grave, parce que dans un groupe il peut y avoir de belles rencontres, et d'amusants personnages. Et puis faut bien gagner sa vie… Plus statique, l'employé d'hôtel n'accompagne pas, mais accueille, observe de sa tour de garde le ballet des visiteurs qui ne restent jamais longtemps, mais qui ont droit à un peu d'attention. Lui aussi gagne sa vie comme ça, mais c'est un esthète, un esthète des gens, ces flouantes oeuvres d'art.
Dans le mouvement, les auteurs nous font découvrir une autre Venise moins connue, fatalement. Une Venise comme éternelle pourvoyeuse d'oeuvres d'art, meubles ou tableaux, le challenge des antiquaires et acheteurs d'art, débusquer
l'affaire du siècle qui explosera des salles de ventes anglo-saxonnes. Voilà, deux-trois manières de vivre sur la bête en quelque sorte,
Et finalement, il y a Venise.
C'est une surprise. La voilà donc la ville, la ville des amoureux qu'on rêve mais qu'on ne croise jamais. Là, si. Par surprise. Presque gêné(e) de se faire prendre par ce cliché, la ville des amoureux, ses brumes mystérieuses, ses reflets dans des eaux trop usées, l'ombre des gondoles, ouiii, les gondoles, je te jure. Venise devient vraiment un écrin à une histoire d'amour, le vrai vous savez, ou pas, moi je sais, le vrai amour. C'est bien ça qui m'a tuée en glissant le fil coupé dans la dernière boucle, en tournant la dernière page, en lisant la dernière ligne. La petite shikse. Et moi. Mandieu je vais donc finir par arrêter de pleurer ? Fruttero et Lucentini, dans quel état vous m'avez mise - et comment avez-vous fait pour savoir ?
Je ne raconte rien de l'intrigue, il y en a une, et elle regorge de choses plus intéressantes les unes que les autres. Je suis même allée sur le net pour en savoir plus sur le mythe, un truc gratuit en fait, ce mythe, un truc qui ne sert à rien quand on y pense. Ou alors, un mythe qui raconte la vie qui passe, où on n'en finit pas d'apprendre, promenant son petit corps et son petit coeur de jour en jour, d'année en année, de décennie en décennie, choisissant un peu, subissant un peu. Une vie, c'est bien long finalement, on engrange, on fait des deuils, on porte des cicatrices, on s'émerveille encore.
Parlant cicatrices, j'ai rêvé (moi la petite shikse) de planter mes griffes dans la peau de l'autre, et que lui aussi plante ses griffes dans la mienne, pour la rayer, physiquement. Petite douleur qui peinera à recouvrir la grande, mais restera inscrite, à portée de miroir, à portée de main, pendant que s'éloigne un bateau dans la nuit vénitienne.