N'en déplaise à quelques chères amies,
Calamity Zombie est un homme, ou du moins un homme non-mort, ce qui n'enlève rien à sa part d'humanité, vous avouerez.
Je sais que vous y pensez toutes et tous chaque matin en vous rasant ou vous maquillant, - peut-être d'ailleurs les deux à la fois, à cette question lancinante et vertigineuse : mais c'est comment d'être dans la peau d'un zombie ?
Eh bien ! Je vais vous raconter ce qu'est être un zombie car un ami très proche en connaît un. Oui, comme le savez, j'ai beaucoup d'amis ayant diverses singularités et d'étonnantes fréquentations. L'un d'entre eux m'a confié un cahier secret, - une sorte de journal intime, écrit justement par un zombie. Cet ami s'appelle Bouffanges. Je crois me rappeler que je vous en ai parlé pas plus tard qu'hier soir. C'est déjà si loin. Depuis j'ai vécu plein de vies... Il était question d'une étrange société en pleine déliquescence, envahie par des
zombies... Je vous en parlais comme des "ennemis" de la société.
En voici un qui surgit dans les tourments de cette société à la dérive et nous confie son histoire.
Je vous propose ce soir de vous faire votre propre opinion en traversant le miroir...
Il a vingt-sept ans lorsqu'il meurt dans un accident de voiture. À son bord, il y avait son amour, elle s'appelle Automne. J'aime quand les femmes ressemblent aux saisons, portent leurs noms. Automne pour moi, c'est la plus belle des saisons et je pense qu'il le lui disait. Il a senti une douleur effroyable sur le côté gauche. C'est peut-être le coeur de l'homme qui a lâché alors, entraînant la voiture hors de la route, ce coeur qui aimait Automne, qui aimait Automne à toutes les saisons.
Je ne regarderai plus désormais de la même manière les feuilles jaunes tomber sur le sol des forêts.
Il avait vingt-sept ans, il les aura toujours, l'âge où les rock-stars meurent. Il rejoint ainsi le fameux club des 27 : Brian Jones,
Jimi Hendrix, Janis Joplin,
Jim Morrison,
Jean-Michel Basquiat,
Kurt Cobain et Amy Winehouse. Rien que du beau monde...
Oui, mais ils vont attendre un peu avant de se retrouver et faire la fête...
Car...
Car, plus tard il a traversé avec la seule force de ses poings la chape de chêne massif choisi par son père qui avait voulu marquer le coup. Il y avait de la terre. Il a écarté la terre. Heureusement, ils n'avaient pas encore eu le temps de poser la dalle de marbre...
Plus tard il a retrouvé son chien Bone. Mais comme le savez, si vous avez lu ma précédente chronique, les gens comme lui, on les enfermait dans des centres de rétention, qu'on préférait appeler centre d'accueil, c'était plus joli sur le papier. On ne savait pas trop quoi en faire. Certains voulaient les éliminer...
Il aurait voulu retrouver Automne. Moi aussi.
Alors je me suis rapproché de ce non-homme, tout près, déjà il était presque aveugle, l'accident avait malmené son corps, mais ce n'était pas trop ça le problème.
Non, le problème, c'était la société qui ne l'acceptait pas, comme elle n'acceptait pas les gens comme lui, ceux différents de la norme...
Il est zombie, il est quasiment aveugle, il commence à perdre un bras, mais ce n'est pas grave, il veut survivre dans sa différence et son parcours force le respect.
On dit que le coeur des
zombies ne bat plus. Alors pourquoi le sien continue de battre pour Automne ?
J'ai pensé alors à une interview inouïe où un journaliste demanda un jour à
Ray Charles si le fait d'être aveugle ne l'avait pas gêné dans sa carrière. L'artiste qui avait beaucoup d'humour répondit du tac au tac : « Oh non, cela aurait pu être pire, imaginez un peu si j'avais été noir ! »
Je me suis demandé pourquoi la littérature classique n'avait jamais porté son projecteur sur les
zombies. Nous avons raté peut-être des chefs-d'oeuvre, si comme l'imagine Bouffanges nous avions été envahis par les
zombies. Imaginez un peu les titres que nous avons ratés : Vingt-quatre heure de la vie d'une zombie, À l'ombre des jeunes
zombies en fleurs, Les trois
zombies...
Dans une société monstrueuse, comment accepter que la collectivité se soucie si peu des faibles ? N'accepte pas la différence ? La différence n'est pas un gros machin invisible ou hors-sol ? Chacun mettra un nom, un visage peut-être qui lui est familier.
Les sans-abris, les laissés-pour-compte, les déchus, les migrants, les handicapés, les personnes âgées, tous ceux qui ont perdu pied et sont dès lors tenus à l'écart...
Chacun y mettra un nom, un visage, une silhouette croisée ce matin dans la rue...
Comme des
zombies...
Cette seconde partie écrite par Bouffanges dans la foulée de
Zombies, mais proposée deux ans plus tard aux lecteurs, demeure tout aussi dérangeante, mais bien plus intime et touchante. Et c'est tant mieux !