Tout part d'une carte postale anonyme, reçue en 2008 par les parents de l'auteure, représentant le Palais Garnier, et n'indiquant que 4 prénoms : ceux des arrière-grands-parents maternels d'
Anne Berest l'auteure ainsi que ceux de ses grands tante et oncle, tous décédés à Auschwitz en 1942. Cette carte reste enfouie dans les archives, nombreuses, de Lélia, la mère d'
Anne Berest jusqu'à ce que cette dernière, enceinte, désoeuvrée, en quête de ses origines et de celles de son futur bébé, presse sa mère de lui en dire plus, 10 ans après.
Mais l'histoire ne s'est pas transmise car Myriam, sa grand-mère, la seule rescapée, s'est obstinément tue… et ce roman/récit, nous fait part de l'enquête de l'auteure et de sa mère, pour combler ses silences et retracer le destin de Myriam, ses parents, son frère et sa soeur, de leur Russie natale, en passant par la Lettonie, la Palestine puis la France.
Ce livre est doublement intéressant : 1) par son ressort narratif et fantastique, le mystère de
la carte postale sera dévoilé à la fin, par l'exploration des relations ambigües mère/
fille ( Lélia/Anne), par l'évocation incarnée des ancêtres de l'auteure et la généalogie familiale mouvante , enfin par le rappel, nécessaire en ces temps incertains, de la méticulosité du régime de Vichy pour contribuer au succès de la « solution finale », rappel adossé à l'énorme documentation historique accumulée par Lélia, la mère de l'auteure.
2) par le scandale provoqué par la critique littéraire assassine de
Camille Laurens dans « le Monde ».
La première partie du livre est centrée sur la destinée, on ne peut dire
romancée, du moins imaginée dans son vécu quotidien, des quatre disparus, cet « imaginaire » motivant par ailleurs la critique de CL. La seconde tourne autour de l'enquête elle-même. Cette partie est, me semble-t-il, la plus spectaculaire, la plus fouillée, la plus émouvante. Elle débouche sur plusieurs interrogations : comment vivre sa judéité quand on est athée, judéité à laquelle vous renvoie souvent malgré vous la société qui vous entoure. Comment aussi revivre inconsciemment l'histoire familiale qui a été refoulée volontairement par une partie de sa famille, ici Myriam, seule rescapée, en se fondant notamment sur le « pouvoir des prénoms cachés », théorie empruntée à
Daniel Mendelsohn (
Les disparus).
Ce livre a figuré dans la première sélection du jury du Goncourt, jury au sein duquel siège notamment
Camille Laurens. L'intérêt de la polémique suscitée par la publication en septembre 2021 de sa critique ne réside bien sûr pas dans le fait que cette dernière souhaitait favoriser l'ouvrage de son compagnon,
François Noudelmann, « Les enfants de Cadillac », dont les thèmes étaient très proches de ceux relatés dans le livre d'
Anne Berest. Minable conflit d'intérêts au sein du monde littéraire…
La polémique est plus intéressante sur le fond : peut-on représenter, romancer, certes à la marge, la Shoah ? Cela fut reproché à Spielberg pour « La liste de Schindler ». C'est le reproche adressé par CL à
Anne Berest qui a brisé le tabou, représenter, « nommer » l'intérieur des chambres à gaz. Ce faisant, en introduisant du
romancé donc du « faux » on ouvre la porte aux révisionnistes. Position de Lanzmann.
Il y a certes quelques lignes maladroites, il aurait peut-être été plus judicieux pour l'auteure de s'en tenir à ce qu'elle écrit dans le livre « imaginer n'est parfois pas possible ». Mais ne peut on imaginer pour ses proches, pour les accompagner dans la mort ? Enfin, en 2021, faut-il faire un sort particulier à la Shoah face, par exemple, aux romans/récits sur le génocide arménien ou celui des Tutsis ? (voir «
L'étrangère » de
Valérie Toranian ou «
Petit Pays » de
Gael Faye .