La nuit avait de la peine à rentrer au port à cause du brouillard et les sirènes des usines commandaient qu’elle se rangeât pour laisser sortir le jour qui, sous voilure réduite, partait à la conquête des émotions humaines. En se croisant, les navires échangèrent les saluts réglementaires. Enfin la nuit put accoster. Le jour gagna le large. Les hommes, tout embroussaillés, couverts de moisissures, transis, sortirent de la forêt du sommeil. Dans la ville, l’eau commença à circuler dans des conduites de plomb avec d’effroyables borborygmes. L’un après l’autre, chaque niagara des cabinets d’aisance cataracta. Caca fait, l’humanité se mit à s’épouiller, à roter, à cracher. Les barbes tombaient, comme des blés murs sous la faux des rasoirs. Les lits défaits, royaumes des pollutions nocturnes, tanguaient misérablement abandonnés sur les flots des ambitions déçues et des renoncements quotidiens. Untel avait les urines chargées et disait à sa femme que ça l’inquiétait. « Prends de l’acide phosphorique », disait sa femme qui s’y connaissait. Les pores de la peau sous la pression de doigts encore engourdis de sommeil, rejetaient de gros vers à tête noire. Et les tuyaux de plomb, grosses couleuvres voraces et glougloutantes, avalaient tout ça : points noirs, glaviots, cheveux morts, poils de barbe...
A coups de hache, Unipar se taillait une Route Nationale à travers l'Europe. Les douaniers de Marseille l'avaient laissé aller, pensant que sa folie servirait à la distraction dans les villages, mais ils avaient gardé Georgina pour servir aux débauches des magistrats du département. Encore une fois Unipar était seul sur les routes. Et nu. Quand je dis qu'il taillait sa route à coups de hache, j'entends qu'il se servait d'une hache métaphysique, la seule qui dans les pays policés soit d'usage courant.