Il existe une faim pour une chose qui dépasse la faim du corps, et c'est de cette faim-là que je me repaissais. J'étais pauvre, mon oeuvre restait inconnue, je devais souvent me passer de manger ; j'avais froid aussi, en hiver, dans mon petit atelier du quartier ouest. Mais c'était là ce qui comptait le moins.
Quand je parle de chagrins, il ne s'agit ni du froid, ni de la faim. Il y a une souffrance pour l'artiste pire que celle que l'hiver ou la pauvreté peuvent lui infliger ; un hiver de l'esprit par lequel l'existence même de son génie, la sève vivante de son oeuvre semblent glacées, inertes, emprisonnées peut-être pour toujours dans une saison de la mort, et il se demande si jamais un printemps viendra l'en libérer.
Le fait que mes craintes étaient sans nom ne les rendait que plus redoutables car, éveillé ou endormi, rien ne nous effraye autant que l'inconnu. (p.81)
Car les amis et les amoureux sont faciles à blesser, plus faciles même que des étrangers ; le coeur qui s'ouvre au monde s'ouvre à la douleur. (p.105)
Il se peut qu'en ce monde nous ne soyons pas suffisamment reconnaissants de notre ignorance et de notre innocence.
Je me sentais heureux, d'un bonheur jamais éprouvé jusque là, jamais ressenti depuis.
Ma bouche avait un goût d'exaltation, et mon coeur, rempli de joie, se soulevait comme une voile et m'entraînait. (p.42)
Il faut parfois croire ce qu'on ne peut comprendre. (p.73)