Film sur Maurice Fourré III
« Il ne faut pas donner de crainte à mon aimé. Laissons-le rire. Il ne faut pas faire peur à mon amant, ni l’effaroucher dans ses malices désordonnées. Il faut le plaindre, car sait-il bien où il va tomber, quand je ne serai plus là, et de quel rire homicide le malheureux sera lui-même poignardé, sans moi pour enclore et protéger sa vie d’un lacet d’amour… Notre Clair est fragile, malgré son élastique bondissement vital. Futile, inconséquent jusqu’à l’extrême fragilité, mon féroce et charmant amant est très friable, Florine, et redoutable aussi en ses pitoyables futilités. Son rêve et son insouciance ne sont pas moins dangereux pour nous et pour lui que ses souples jeux. Ses moments de passivité et ses rêves, silencieux ou parleurs, ne sont pas moins viciés d’une pointe pernicieuse que ses taquineries qui, sous des apparences d’insouciance anodine, portent toujours le reflet d’un fragment homicide. Ses mouvements de charité, ses élans les plus spontanés de pitié ou d’amour, toujours si prompts, si inattendus et passagers, surprennent et laissent confondu… Je l’aime ainsi, mon distrait et inconstant amant. Je l’aurai aimé tel qu’il est. Je saurai mourir sans que mon amour ait changé, sans que rien ne soit dissipé du parfum dont m’embauma une étrange rose le jour de mon éclosion à l’amour… Souhaitons noble et languissante nuit à mon chéri dans son étroit lit glacé de la Rose Blanche, où le tourmentera mon cœur caressant, mon âme trop enveloppante et le hoquet des baisers de la vie finissante…
– Ma mère, je suis ta fille. Tu me perces le cœur.
« Toujours voluptueuse et aimante parmi les pudeurs du cœur, elle n'était parée que pour toi. Sans cesse frémissante à ton contact, elle portait ta pensée, ton image, toi-même, ton âme et tes égarements, ta vie, tes charmes changeants, dans tout son être vieillissant. Quand tu étais trop longtemps absent, elle devenait folle. Ses heures de solitude étaient des univers d'inquiétude et de désir. Quand tu revenais à elle, c'était un nouveau délire. Elle courait à toi comme une petite fille ou comme une tuée d’amour, demandant à mourir plus encore ou à vivre mieux toujours… »
Représentant les articles Mariages, Jeux, Jouets et bientôt le Funéraire pour d’excellentes maisons, je faisais déjà vingt-deux départements, de la Normandie à la Charente ; j’avais l’Ouest, Manche et Océan, de la Seine à la Garonne et la Loire jusqu’à Orléans. Feu Allespic comptait parmi mes plus parfaits clients. Il n’était pas le plus notable ni le plus important. Mais je n’ai jamais quitté Richelieu où déjà je descendais à la Rose Blanche, sans avoir emporté de la maison Allespic une commande fort intéressante. Et je n’avais ni à conduire le sobre, un peu distant et casanier M. Allespic dans le Grand Café Richelieu, où je tenais fort agréablement mes assises, ni à me dilapider en abusives instances verbales. M. Allespic n’a jamais cessé de m’attribuer un sourire bienveillant et loyal parmi les plus probes rapports commerciaux, même quand ses regards attentifs à m’observer timidement et à la dérobée allaient s’assombrir peu à peu, sous l’empire d’une inquiétude secrète, que je ne tarderais pas à découvrir, trop tard et fragmentairement, et qui par instants dans la fébrilité des gestes, nouveaux et singuliers, confessaient un fond d’angoisse et comme un mouvement de supplication mal retenu.
Quand la disparition du vieil Abraham eut donné à Mme Allespic le loisir de faire de moi le sergent sentimental du fief familial, je venais assez souvent dans le retrait des livres pour me délasser des manifestations trop enveloppantes de la Veuve, tentaculaire et amoureuse, dont les regards d’une incroyable profondeur, toujours fixés sur moi, étaient souvent lourds à soutenir et fatiguaient tôt, ou m’inquiétaient en m’attirant avec tout l’art d’une voluptueuse magie…
J’ai relevé dans cette prison solennelle des livres de curieuses ou bien significatives annotations marginales parfois instructives ou saisissantes de mon vieux collègue en amour, l’infortuné et laborieux prédécesseur, M. Abraham Allespic, sur les ouvrages que je pensais devoir lire – aphorismes postiches ou formules explicatives, tracés d’une écriture économique et concertée, quelquefois assez nerveuse, que des paraphes arrondis boursouflaient de volutes célestes, soudain brisées dans leur mouvement ascensionnel, tôt nuageuses et lassées.