Lu de décembre 2023 à mars 2024 (roman policier, dystopie)
Évalué 4 étoiles : indigeste, mais génial.
Tue-tête de
Frédéric Sounac, Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2017
Il y a quelques années, j'avais repris des études de Lettres à l'université, pour mon plaisir personnel.
Frédéric Sounac a été l'un de mes professeurs de littérature comparée en Licence, puis en Master. Ses domaines de prédilection s'articulent autour des littératures policières et des relations entre
littérature et musique.
Il m'a fait découvrir
James Ellroy, Jack O'Connell autour des fictions de l'Amérique décadente et
José Carlos Somoza, pour une réflexion sur l'art et ses dérives.
J'ai gardé un excellent souvenir des cours et séminaires suivis auprès de
Frédéric Sounac. Ses approches n'étaient pas des plus faciles à suivre, les auteurs du corpus proposé avaient en commun un discours pessimiste, plus ou moins explicite et violent, avec des intrigues où la corruption et les pulsions sexuelles se donnaient libre cours, où la psychopathologie meurtrière se révélait métaphore et reflet des maux de la société…
Je ne m'attendais donc pas, de sa part, à un roman aisé à lire et à comprendre…
Une dystopie…
Dans l'État futuriste d'Europack, l'apocalypse climatique a déjà éclaté.
La population masculine est frappée de plein fouet par ce dérèglement, souffrant d'une pathologie incurable de dégénérescence vocale. Un seul homme, défie cette triste condition du sexe fort : Melchior Maluir, le chanteur lyrique, surnommé «
Tue-Tête » à cause de sa voix d'or.
Conséquence directe de l'insécurité écologique, la corruption, étroitement mêlée aux intérêts politiques, bat son plein. Les enjeux de pouvoir sont partagés entre trois hommes : Alessandro Born, le Grand Pensionnaire d'Europack, Glenn Trippa, le chef du puissant Magasin qui a la haute main sur le marché des vox-lifters et le Père Niels à la tête des « Jésus m'aime », mouvement de développement personnel qui a juré la perte de l'Église.
Un roman policier…
Ida Mésange, inspecteur de Pack-Stups en lutte depuis des décennies contre les filières de vox-lifters, découvre son agent Edilion étrangement assassiné au nucléo-Barcelone : une brûlure intérieure a fait littéralement fondre sa nuque.
Une histoire de famille…
Orpheline, Ida Mésange cherche désespérément la vérité sur ses origines. Elle ignore qu'elle est sur le point de tout découvrir au péril de sa vie quand elle décide soudain d'assister au prochain récital de
Tue-Tête, accompagné par Zoé Zaffius, une célèbre pianiste.
Des lieux : Europack est conçue comme une gigantesque branche d'ADN reliant les différents nucléo-Amsterdam/Paris/Berlin/Barcelone/Naples, etc… J'ai même relevé un nucléo-Toulouse où subsiste l'hôtel d'Assézat.
Un endroit particulier : le Dulce & Decorum, un vieil hôtel du nucléo-Amsterdam au luxe visionnaire…
Un roman polyphonique…
Frédéric Sounac nous propose plusieurs focalisations autour des principaux personnages avec une place particulière pour David Adhum, qui s'exprime à la première personne ; c'est le majordome du Dulce & Decorum, un homme étrange, complexe, à la fois raffiné, discret et décadent, passé maître dans l'art du compromis, gardien des secrets les plus honteux et, malgré tout, humaniste dans l'âme.
Une réflexion sur le pouvoir et ses dérives… Une satire des postures des politiques narcissiques qui se croient au-dessus des lois, se maintiennent dans une prospérité excessive et honteuse, dominent et humilient les classes laborieuses, gouvernent par la terreur et la répression…
Un style… Une écriture… Une densité…
Les différents chapitres son introduits par quatre lignes de graffitis, en plusieurs langues, du genre des inscriptions graveleuses que l'on peut trouver dans les toilettes publiques. Déjà, cela impose une atmosphère connotée…
L'écriture est dense, travaillée, recherchée, complexe.
L'éventail des thématiques et des problématiques abordées est foisonnant. Nous sommes dans un roman noir qui nous parle de décadence, d'écologie, de politique, de questions de genre, de trafics de toutes sortes…
Un immense univers référentiel qui remonte à l'Antiquité… Sur la couverture du roman figure un portrait de Méduse par le Caravage… Les allusions littéraires, musicales, géographiques, architecturales, etc. abondent dans le récit.
Un livre de plus de 400 pages, un pavé dont ma lecture fut laborieuse. Je reconnais avoir eu besoin de temps pour entrer et rester dans ce livre ; plus de trois mois de lecture à petites doses… Il m'a sûrement manqué des clefs de lectures.
Un roman pour lecteurs avertis et courageux.
Une claque littéraire pour celles et ceux qui iront jusqu'au bout.
#lesglosesdelapiratedespal
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