Ta nuque, tes épaules solides sur lesquelles je m'appuyais souvent. Enfant, je l'avais vu faire à une femme amoureuse: l'homme assis, costaud, et la femme debout, appuyée contre lui, possessive et désinvolte, sachant précisément tout ce qu'elle possède, les mains sur les épaules de l'homme ou les entourant de ses bras, l'embrassant dans le cou, riant, posant sa joue sur ses cheveux tout en parlant.
Partout des corps trébuchent dans les allées trop étroites, se perdent dans le désordre des dalles, penchés sur les pierres, prenant appui sur les stèles, déchiffrant muettement le grand lexique de noms propres dont l'entassement à perte de vue recouvre et borde et protège ce qui a eu lieu. Ils vont à pas lents, scrutant chaque nom gravé, fixant les dates, faisant les calculs, reconstituant les généalogies, cherchant à deviner dans l'assemblage des lettres le sens épars, inconnu, de ce qui n'est plus. De tout, de l'existence (cette beauté, cette ampleur), le peu qu'il reste, quand il en reste, n'est fait, ne sera fait que de noms, que de mots. Les gardiens sonnent l'heure. Le soir tombe. Je descends encore. Je me glisse parmi les pleins et les vides jusqu'à ton nom secret. J'aperçois en contrebas une eau vive, luisante, restituant les clartés disparues dans l'ombre de la nuit, je descends, je descends encore, je vais au plus concret, au plus limpide, le jour se lève, j'avance dans la fraîcheur d'un ciel inversé, j'avance encore, et je m'élance, suivant l'azur.
Pp. 70-71
L'avant-dernier matin, il est sorti du sommeil et il a dit, J'ai peur. Implosion sourde au milieu exact de tout ce qui est. J'ai pris très doucement sa main tout en cherchant les mots. Je voulais laver et panser l'horrible blessure de sa peur - on ne peut le faire qu'avec des mots. Je les ai cherchés, et je n'ai pas su les trouver. Le sens d'une vie ne tient pourtant qu'à ça. Que les mots soient dits. La voilà, la trahison. C'est le dernier abri qui nous restait, et je n'ai pas su trouver les mots.
p.23
À quoi sert la littérature ? À quoi sert cette incongruité sociale ? demande Roland Barthes. Elle sert à moins souffrir. "La nouvelle eau lustrale des mots rénove le pathétique." "La littérature est distance, détachement appliqué par l'excès des mots à la manie poisseuse de souffrir." Dans l'écriture, dit-il aussi, "c'est l'intime qui veut faire entendre son cri face à la généralité".
p.54
On est là, calme, apparemment calme, car on peut rester calme tout en devenant forcené à l'intérieur, silencieusement détruit (on ne l'a su, on ne l'a appris que ce jour-là), on est calme, assommé par cette inexistence spectaculaire, à la fois atone et exorbitante, toi là nulle part.
"Bienvenue aux éditions P.O.L", un film de Valérie Mréjen. Pour les 40 ans des éditions P.O.L, quelques un(e)s des auteurs et des autrices publié(e)s aux éditions P.O.L écrivent une carte postale et laissent un message aux éditions P.O.L.
Avec par ordre d'apparition de la carte postale: Violaine Schwartz, Jean-Paul Hirsch, Lucie Rico, Emmanuel Lascoux, Jacques jouet, Philippe Michard, François Matton, Frédéric Boyer, Catherine Henri, Suzanne Doppelt, Lamia Zadié, Marianne Alphant, Suzanne Duval, Laure Gouraige, Emmanuel Carrère, Jean Rolin, Elisabeth Filhol, Célia Houdart, Nicolas Fargues, Nicolas Bouyssi, Louise Chennevière, Frédérique Berthet, Marie Darrieussecq, Jocelyne Desverchère, Jean Frémon, Kiko Herrero, Julie Wolkenstein, Emmanuelle Bayamack-Tam, Liliane Giraudon, Frédéric Forte, Pierric Bailly, Valère Novarina, Hélène Zimmer, Nicolas Combet, Christian Prigent, Patrice Robin,, Emmanuelle Salasc, Alice Roland, Shane Haddad, Mathieu Bermann, Arthur Dreyfus, legor Gran, Charles Pennequin, Atiq Rahimi, Anne Portugal, Patrick Lapeyre, Caroline Dubois, Ryad Girod, Valérie Mréjen / Dominique Fourcade, Marielle Hubert, Robert Bober, Pierre Patrolin, Olivier Bouillère, Martin Winckler, Jean-Luc Bayard, Anne Parian, Nathalie Azoulai, Julie Douard, Théo Casciani, Paul Fournel, Raymond Bellour, Christine Montalbetti, Francis Tabouret, Ryoko Sekiguchi,
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