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EAN : 9782283038529
Buchet-Chastel (11/01/2024)
3.36/5   14 notes
Résumé :
Mehdi Azzam a grandi à Vitry. Elevé durement par son père, il se réfugie dans le sport. Très vite repéré, il devient un bon joueur de foot. Appelé en équipe de France, sa cote flambe puis se tasse brusquement pendant son séjour en Angleterre. A l'étranger, Mehdi devient un joueur sans talent. Rétrogradé, il se retrouve à Reims. Le footballeur vit là avec sa femme et ses filles - lorsqu'un journaliste lui annonce un article à paraître dans la presse nationale du lend... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (11) Voir plus Ajouter une critique
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Mehdi Azzam est un joueur de foot talentueux, sélectionné à plusieurs reprises en équipe de France, ce qui lui a valu les feux de la rampe et un transfert dans un prestigieux club anglais. Mais Outre-Manche, il n'est plus qu'un bon joueur parmi d'autres, qui doit faire ses preuves pour mériter sa place sur le terrain. Un échec, et un retour en France, à Reims, où il s'installe avec sa femme Jessica et leurs deux filles.

Alors que Mehdi travaille sans relâche pour se refaire une réputation sportive, c'est son image d'homme qui est sur le point de se fracasser : un journaliste lui apprend que Jessica s'apprête à dénoncer dans la presse les violences conjugales dont elle est victime.

Une fois l'article publié, deux camps vont s'opposer par médias et réseaux sociaux interposés : celui qui prend fait et cause pour Jessica (sans avoir pris la peine de demander à Mehdi sa version des faits), et celui qui pose Mehdi en victime de racisme (sans, non plus, avoir pris la peine d'interroger le principal intéressé).

Pendant que son couple, sa famille, sa carrière, sa vie s'effondrent, Mehdi fait profil bas, se tait dans toutes les langues, n'avoue ni ne dément rien. Quant à Jessica, son caractère lunatique et taiseux et ses déclarations laconiques et peu circonstanciées sèment le doute sur leur authenticité. Les journalistes s'emballent, les avocats se mettent en ordre de bataille, le maire et les dirigeants du club de Reims cherchent à se couvrir, mais la justice n'agit pas, faute d'avoir été saisie par un dépôt de plainte de Jessica.

Comment faire surgir la vérité, dans ce cas ? Bonne question, dont personne ne se préoccupe : « Mais personne n'avait cherché à séparer le vrai du faux, à croire que la vérité (à supposer qu'il y en ait réellement une, la question n'était pas si stupide qu'il y paraissait, parfois il y avait de quoi douter tant cette vérité, quel que soit le nom qu'on lui donne, changeait selon l'angle avec lequel on l'appréhendait) n'intéressait personne. Les policiers, les médias, l'avocate, les féministes, ses quelques amies, et surtout sa propre famille, ah sa famille..., tous les intervenants l'avaient complètement laissée de côté, cette quête de la vérité, ils avaient préféré scruter les personnalités, opposer les uns aux autres, procéder à une utilisation égocentrée de l'affaire, laisser les positions de principe et les idéologies occuper le terrain. Nul ne s'intéressait vraiment au malheur d'autrui, s'il y avait une leçon à tirer, c'était bien celle-là ; personne ne s'était intéressé à elle, à sa souffrance et à son avenir ».

« Les divisions » est un roman choral sur le traitement médiatique (y compris via les réseaux sociaux) des violences conjugales dénoncées sans être prouvées, et dont le potentiel de buzz est d'autant plus élevé que leur auteur présumé est une célébrité, qui plus est avec un nom d'origine étrangère.

Alors qu'aucun des deux camps ne fait dans la nuance, l'auteur s'efforce de créer des personnages principaux complexes et amers, à l'âme insondable (sans doute parce qu'aucun autre protagoniste ne s'y intéresse réellement), pour lesquels il est difficile d'éprouver de la sympathie. Malgré une fin qui tourne un peu court, ce roman vaut pour son observation assez fine d'une société malade, qui accorde plus d'importance au vacarme des opinions à l'emporte-pièce qu'à la vérification des faits. Triste monde.

En partenariat avec les Editions Buchet-Chastel via Netgalley.
#Lesdivisions #NetGalleyFrance
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Le footballeur accusé de violences conjugales

Dans son nouveau roman, Éric Halphen analyse l'onde de choc que provoque la séparation d'un footballeur et de son épouse qui l'accuse de violences conjugales. L'occasion pour le magistrat de détailler l'emballement médiatique, de sonder l'engagement des avocats, de creuser au sein des familles. Un roman éclairant.

Mehdi Azzam est footballeur professionnel en fin de parcours. Après une expérience à Tottenham, il a pu rebondir au Stade de Reims. Sa carrière avait débuté à Auxerre puis à Saint-Étienne. C'est à ce moment qu'il avait été appelé en équipe de France, que sa cote avait flambé avant de s'étioler «brusquement dans une Angleterre en phase terminale de confinement.»
Mais si ses performances déclinent sur le plan sportif, le coup le plus dur va venir sur le plan personnel.
Comme va le lui révéler Aurélien Pille, le journaliste qui a créé le site Football Factory et qui a réussi à se créer un bon réseau d'informateurs, sa femme s'apprête à révéler qu'elle est victime de violences conjugales. Une accusation grave qui secoue Mehdi, même s'il essaie de ne pas paraître affecté par la nouvelle.
En rentrant chez lui, il espère avoir une explication avec Jessica. Mais il trouve la maison vide. Son épouse a quitté le domicile conjugal avec leurs deux enfants.
Une période de fortes turbulences débute alors. Il y a d'abord la confession recueillie par Lise Verenski, en charge du site numérique de l'Obs. Son scoop va agiter toute la sphère médiatique, mais aussi juridique. Car la notoriété de l'accusé peut servir la cause des femmes battues, surtout dans une France post-#metoo. Et alors que Jessica, qui a trouvé refuge à Paris après avoir déposé ses filles chez ses parents, passe à la télévision pour appuyer son témoignage, Albertina Coggia, l'agente du joueur, est alors obligée d'intervenir. Après avoir hésité un instant, elle choisit de poursuivre sa collaboration, tout en conseillant au joueur de faire profil bas. Il faut bien préserver la valeur marchande du joueur.
Éric Halphen étudie parfaitement cette onde de choc qui frappe à des degrés divers tout le pays. Ainsi, les instances du club sont aussi prises dans la tourmente. le président, qui veut s'éviter une mauvaise publicité, l'entraineur – qui accumule les mauvais résultats – qui après avoir tenté de préserver son joueur est contraint de la lâcher à son tour. Car la pression des féministes, munies de banderoles demandant l'exclusion de Mehdi, est trop forte.
De nouveaux éléments apparaissent et la machine judiciaire se met en route. Tandis que les avocats des deux parties fourbissent leurs armes, les familles se mêlent au débat, à commencer par le père de Mehdi qui va s'engager sur une bien mauvaise voie.
En explorant toutes les divisions touchées par une telle affaire, l'auteur sonde aussi les failles d'un système. On y découvre ainsi des avocats venant faire leur marché en fonction de l'écho médiatique, des solidarités très intéressées, des journalistes toujours plus avides de sensationnel, des rêves de gloire qui s'accompagnent de quelques compromissions. Sans oublier l'héritage familial.
Alors que reste-t-il de la présomption d'innocence quand les réseaux sociaux se déchaînent, que d'un côté les racistes s'emparent avec délectation de cette affaire et que de l'autre les féministes s'instaurent en procureur avant même d'avoir examiné les pièces du dossier. Chaque communauté se retranche derrière ses convictions. C'est le règne du repli sur soi, mais aussi de l'insécurité et de l'instabilité.
Un roman riche, fort et éclairant.
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu jusqu'ici! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. Vous découvrirez aussi mon «Grand Guide de la rentrée littéraire 2024». Enfin, en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.

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Hors-jeu
Je remercie vivement Netgalley et les éditions Buchet Chastel de leur confiance et de m'avoir permis de découvrir ce roman en avant première puisqu'il ne sortira que le 11 janvier 2024.
Ce roman met en scène un jeune footballeur dont l'épouse dénonce par voie de presse, les violences conjugales qu'elle dit subir.
Le milieu choisi par l'auteur n'est pas anodin. Il est vrai qu'il aurait pu prendre pour décor un artiste, un jeune comédien, ou un chanteur, mais le choix de placer son histoire dans le sport est plutôt intéressant car il permet d'élargir le propos et la palette des personnages qui gravitent autour de Mehdi Azzam. La presse donc, notamment un journaliste tenant un blog sur le football (nommé « football factory » en référence au roman éponyme de John King) qui pense tenir le scoop qui va l'aider à obtenir la crédibilité qui lui manque ; mais aussi l'agent du joueur -en l'occurrence, l'agente- dont le rôle est celui d'une assistante, d'une psychologue et d'une redoutable négociatrice, son avocat qui lui aussi voit en « l'affaire » de Mehdi l'occasion de mettre un pied dans le monde du sport, et plus précisément du football professionnel, qu'il pressent particulièrement juteux… Il y a aussi l'entourage de Mehdi, ses copains (il en a très peu), ses coéquipiers (finalement peu concernés, tous ou presque ont quelque chose à cacher), son club (qui hésite entre soutien et indifférence, le président mesurant notamment la publicité que pourrait rapporter cette affaire à priori embarassante, une publicité pas si négative finalement…), sa famille (sur laquelle je ne dirai rien pour ne pas trop en dévoiler)… Et puis il y a « la partie adverse », Jessica l'épouse qui dit être victime de maltraitances depuis des années… Une jeune femme un peu paumée, pas très sympathique (Mehdi ne l'est pas davantage), et autour d'elle, son avocate et une association féministe qui s'empare avidement des propos de la plaigante…
Vous voyez venir le sujet : Jessica dit-elle la vérité ? Doit-on la croire ? Sa parole est-elle plus digne de confiance que celle de son époux ? Et si Mehdi Azzam s'appelait Nicolas Dupont, les choses seraient-elles différentes ? le traitement de l'affaire serait-il autre ?
Toutes ces questions de société, brûlantes, sont présentes dans ce roman… mais pas forcément les réponses, car la vérité, quelle qu'elle soit, n'est vraiment pas ce qui importe aujourd'hui.
Eric Halphen, je le « connais » essentiellement dans sa fonction de magistrat, j'ai eu l'occasion de le rencontrer dans ma vie professionnelle et de le croiser un jour sur un salon littéraire, mais je n'avais pas encore lu l'un de ses livres.
J'ai plutôt un avis positif sur ce roman : le milieu du foot m'intéresse, sur le plan sportif mais pas que… Et sur ce volet, j'y ai trouvé mon compte, de ce point de vue, l'histoire est très réaliste et très crédible.
En revanche, je suis plus réservée sur l'évolution de l'intrigue au fil des pages, la dernière partie m'ayant laissée assez perplexe… J'ai eu l'impression que l'auteur s'était un peu perdu dans le message qu'il voulait passer.
Cela reste un bon roman aux thématiques très actuelles, qui se lit aisément… mais il manque un petit quelque chose…
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En liant sa passion du football avec son analyse de la société contemporaine, Éric Halphen propose Les divisions. Son nouveau roman décortique le retentissement de l'intime défaillant, la violence conjugale, lorsque leur révélation se fait sous un éclairage mondialisé. Bien écrit, le roman dresse une image fine et documentée de notre société.

Quelques brins de l'histoire
Medhi Azzam est un sportif de haut niveau. Ex-footballeur en équipe de France, il doit faire sa place au sein d'un nouveau club, celui de Reims. Marié à Jessica, légèrement neurasthénique en ce moment, il a deux petites filles, des jumelles.

Aurélien Pille, un journaliste, souhaite le rencontrer pour lui parler d'un article à paraître prochainement. Animateur du site Football Factory, calqué sur ses grands frères anglo-saxons, Pille a des antennes un peu partout. Remarqué par quelques médias, il commence à se faire un nom dans son domaine.

Son lien avec Lise Verenski n'était pas qu'amical. Journaliste pour la version numérique de L'Obs, elle recherche sans cesse des scoops qui font vivre son domaine.

Jessica décide de révéler les violences conjugales qu'elle subit et choisit la journaliste, Lise, pour confidente.

Complexité de la réalité sociale
Ainsi débute Les divisions de l'ancien juge anticorruption Éric Halphen qui a défié un ancien Président de la République. Après s'être essayé à la politique, il crée l'association Anticor pour développer l'éthique en politique. Association qu'il a quittée depuis. L'ancien magistrat, devenu président de la chambre d'instruction à la cour d'appel de Paris, se consacre depuis longtemps à l'écriture.

De sa formation de juge d'instruction, l'écrivain Éric Halphen utilise sa capacité d'analyse. En choisissant de raconter le point de vue de Medhi puis celui de Jessica, il montre tous les aspects à l'oeuvre dans ce type de situations. Ici, aucun jugement, mais juste, la recherche des responsabilités de chacun, avec une intrigue savamment entretenue.

Éric Halphen s'intéresse à la complexité des rapports sociaux. Toutes les nuances fondent une partie de la vérité. Seulement, vient s'ajouter la médiatisation qui recherche, de façon toujours péremptoire, la simplification des situations à l'excès.

Des grains de sable
Seulement dans la narration, trop de détails tuent le déroulement du récit. Eric Halphen pêche par l'envie d'être exhaustif, c'est dommage, car le talent est tout à fait présent et la connaissance de la nature humaine, très fine.

Selon sa formule qu'un juge est « un grain de sable dans le rouage », Éric Halphen étudie dans son roman Les divisions tous les grains de sable qui perturbent l'accompagnement d'une femme victime de violences conjugales. Lorsque les médias s'en mêlent, les difficultés sont décuplées, chaque protagoniste franchissant des zones qu'il n'avait jamais anticipées. Pourtant, la fin, optimiste, permet à chaque membre, de sortir de cette épreuve, plus mature et apaisé.

Un roman complexe et fouillé, un peu trop au risque de s'y perdre, mais qui témoigne d'une justesse dans l'analyse avec une intrigue bien construite. À découvrir !
Lien : https://vagabondageautourdes..
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Merci aux éditions Buchet_Chastel et Babelio, de m'avoir permis de découvrir ce roman d'Éric Halphen : Les Divisions. le titre bien choisi est le fil conducteur du récit. Les Divisions sont multiples.
Jessica accuse Mehdi son mari de violences. Ce qui n'aurait été qu'un fait divers, le mari est un footballeur du club de Reims. Les médias s'en emparent, les journalistes essayant d'écrire le meilleur scoop sans aucune vérification de la vérité. Ainsi que le mouvement Me Too monte aussi au créneau très vite, trop vite peut-être ? La personnalité publique du mari sert la cause. Il y a aussi une division entre la communication et le couple, qui ne contrôle rien, est lancé en pâture à la vindicte populaire.
Deux camps (divisions) se font face : les partisans de Mehdi,des collègues, les dirigeants et politiques, entraîneur et de l'équipe de foot de Reims et ceux de Jessica des amies,des féministes, de femmes qui se reconnaissent en elle.
Divisions : les familles même s'en mêlent, se laissant entraîner dans la violence médiatique existante.
C'est toutes ces divisions que l'auteur nous raconte, nous montrant bien l'engrenage qui anime l'opinion sans jamais savoir ce qui c'est réellement passé. Nous avons l'impression que cela n'a aucune importance. il nous faudra attendre les derniers développements pour avoir quelques indices sur ce qui a déclenché une telle violence, et pouvoir ainsi faire notre propre opinion sur l'affaire.
C'est un roman qui se lit facilement. Il est bien structuré,six parties à en-tête ; ainsi qu'une petite phrase du texte à chaque très court chapitre.
Le roman est au coeur de l'actualité en ce moment, avec les différentes affaires concernant des personnalités célèbres et de la montée du mouvement Me Too.
C'est un roman que je recommande. Il est intéressant,se déroulant dans une partie de la société qui m'est étrangère.
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critiques presse (1)
LeMonde
22 février 2024
La parole, dictée par l’égoïsme et les intérêts personnels, sépare au lieu de rassembler. Rien de plus cynique que ces mots de Jessica : « Une fois le feu allumé, on se tire. » Le ton est donné.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
Depuis que, la veille au soir, elle lui avait raconté avec force détails l’histoire sentimentale qu’elle vivait, elle avait pris une dimension différente dans son esprit, comme si la relation qu’il avait construite avec elle n’était qu’une ébauche à jamais inachevée, bloquée à la marge de ce qu’elle aurait pu ou dû devenir. Quand une femme vous attire physiquement, quand vous appréciez sa gestuelle et son maintien, quand vous aimez en tout instant vous trouver avec elle, que de surcroît vous riez et vous détendez ensemble, peut-être y a-t-il davantage entre vous qu’une simple complicité, qu’elle soit professionnelle ou affective ; peut-être, une fois encore, était-il passé à côté – d’où, partiellement sans doute, la tournure saccadée de sa nuit.
Cela étant, là n’était pas l’actualité du moment. La tragédie ordinaire vécue par Jessica prenait une envergure étonnante une fois relatée par écrit, on la voyait sous ses aspects les plus sordides et les plus terrifiants, et surtout on la plaignait, elle, la jeune femme, d’avoir subi toutes ces violences et ces dégradations. On tremblait avec elle quand le monstre approchait, on l’imaginait lutter comme elle le pouvait contre l’ennemi et, pour être franc, on ne comprenait pas pourquoi elle n’était pas partie avant. Pourvu que tout cela soit bien vrai, se dit Aurélien. Pendant qu’il buvait son café et que son esprit commençait à sortir de sa torpeur, il écouta et lut les messages qu’on lui avait envoyés : à part Lise, deux fois, qui lui demandait ce qu’il pensait de son œuvre, il y avait essentiellement d’autres journalistes, parmi lesquels des potes et d’autres qu’il connaissait à peine, qui lui demandaient s’il avait des informations sur la star du ballon rond concernée, qui ne voulaient pas être tenus à l’écart de la vague médiatique à venir.
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(Les premières pages du livre)
Mehdi et son club
1. Corpulence d’un bâton de réglisse
L’argent anesthésie, déplorait Mehdi Azzam. On jubile au départ quand on a la chance de faire partie des élus. On est émerveillé, on n’ose dépenser, ou alors au contraire on claque tout comme si la source devait se tarir, comme on abuse d’un plaisir qu’on devine éphémère. Pourtant, la fortune s’accumule de sorte qu’on ne sait plus qui on était, on oublie les misères passées au risque d’oublier le frémissement aussi. On n’a plus d’envie. On ne s’amuse plus. On ne ressent plus rien.
Mehdi savait cependant gré à l’argent de lui offrir une présence à laquelle il demeurait sensible : sa maison, rare alliée, le consolait des humiliations du mercato et des désagréments subis depuis le début de la saison. Certes, elle pouvait paraître d’une grande banalité aux yeux des férus d’architecture, de ceux pour qui le patrimoine, dans l’acception actuelle de ce mot, comptait. Mais elle le protégeait mieux qu’une armure. Habiter une maison pour la première fois de sa vie, plus encore que la richesse ou la notoriété, lui donnait l’impression d’être quelqu’un.
Aussi minutieux dans sa manière de conduire que dans celle de tirer un penalty, il jeta un œil dans le rétroviseur pour s’assurer qu’il pouvait sans risque articuler le virage en épingle à cheveux sur la droite, puis freiner en douceur tout en appuyant sur la télécommande. Tandis que la grille s’écartait dans un silence qu’il aimait à imaginer respectueux, il se laissa séduire, comme chaque jour au retour de l’entraînement, par la façade en pierre tirant sur le jaune, la toiture en tuiles rondes, les chênes centenaires et d’autres arbres dont il ignorait le nom, ainsi que, iconoclastes dans ce décor bucolique, quelques sculptures de son ami Faycal. Dont cette Déesse barbare, en réalité un piquet de cuivre monumental que traversaient deux barres horizontales en fonte et que chapeautaient deux boules en bronze, qu’il dépassa pour se diriger au ralenti vers le parking. À l’est, le bâtiment annexe, ancienne écurie lui avait raconté l’agent immobilier – un rondouillard chaussé de bottines rouges en caoutchouc qui l’avait convaincu d’acheter plutôt que de louer même s’il ne restait pas dans la région très longtemps –, abritait piscine chauffée et salle de gymnastique, autrement dit salle de torture.
Mal aux couilles, constata-t-il en s’extirpant de l’Aston Martin. Pas vraiment les couilles, d’ailleurs, mais une curieuse douleur au niveau du bas ventre, diffuse et aiguisée à la fois, d’une intensité inquiétante, qu’il ne parvint pas à identifier. Peut-être était-ce dû à sa mauvaise réception, samedi dernier, après le tacle brutal du latéral gauche des Merlus, se dit-il pour se rassurer. Mais il en doutait : aucun souvenir d’être tombé alors sur cette partie de son anatomie, aucunes prémices d’une telle douleur, à suivre – sans l’efficience permanente du corps, sans l’intelligence du corps, un footballeur n’est rien, homme réduit à son enveloppe, sans cœur ni cerveau.
Mehdi Azzam était fier de son cerveau. Son père Mohamed, étudiant en médecine qui avait fui l’Égypte après l’attentat d’octobre 1981 contre Sadate pour devenir infirmier à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil, et sa mère Habiba, aînée d’un couple de boulangers d’origine marocaine, avaient élevé cinq enfants. Contrairement à ce qui se produit souvent par faiblesse ou par lassitude, leur sévérité s’était accrue avec les années pour culminer avec le petit dernier, Mehdi. Pas le droit de sortir, pas le droit de regarder la télé, pas le droit de s’amuser. Seulement apprendre, travailler, lire, seulement maugréer et rêver ; et aussi, sans modération, faire du sport. Tête de classe au collège Jules-Vallès de Vitry, il avait poussé jusqu’au bac, obtenu avec mention malgré le temps passé au centre de formation. Dans le milieu du football, avec sa taille moyenne, sa corpulence d’un bâton de réglisse, sa coiffure de chanteur de charme des années 1950, ses fines lèvres qui lui donnaient l’air d’un perpétuel boudeur et ses lunettes en métal qu’il troquait contre des lentilles lorsqu’il jouait, il passait pour un intellectuel, l’interlocuteur privilégié des dirigeants et des entraîneurs, l’interface entre le cercle fermé des joueurs et l’extérieur.
Sac sur l’épaule et écouteurs parfaitement calés sur les oreilles, il approcha de la bâtisse que sublimait le soleil couchant, teintes orangées et rouille, reflets violacés d’une nuance différente tous les soirs, comme un bout de paradis à lui réservé. Alors qu’il poussait la porte, son portable sonna ; numéro qui ne lui disait rien.
« Ça va champion ? »
La voix nasillarde, hautaine et accusatrice, lui déplut aussitôt. Il se reprocha d’avoir décroché alors qu’il ne décrochait que rarement.
« Aurélien Pille, journaliste à Football Factory. Vous vous souvenez, on s’était… »
Les journalistes, Mehdi s’en était aperçu dès qu’on avait commencé à parler un peu de lui, cherchaient à imposer d’emblée une proximité propice à la confidence ; les journalistes n’étaient que des flatteurs.
« On pourrait se voir ? »
Au loin, une moto pétaradait, une Harley à en juger par ce bruit particulier qu’il reconnaissait entre mille. Peut-être devrait-il en acheter une, un de ces jours, peut-être cela lui ferait-il du bien de partir loin sur une telle machine, de faire la route comme on fait un break.
« À quel propos ?
– Pas au téléphone. »
Celui-ci jouait les importants. Mehdi lui demanda de lui envoyer un mot sur Telegram pour lui préciser l’objet souhaité de l’entretien, après quoi il verrait. Le vent se levait, des chouettes hululaient, le feuillage frémissait, une touche romantique nimbait l’atmosphère. Impression inédite et un peu effrayante que ce qu’il vivait, ce qu’il voyait et ce qu’il ressentait en cet instant précis ne resterait pas gravé en lui, que dans quelques jours, quelques mois ou quelques années, lui qui gardait pourtant tout en mémoire n’en aurait plus aucune souvenance. Conscience soudaine que, contrairement à ce qu’il croyait sans avoir eu l’idée de creuser la question, sa capacité de stockage n’était pas illimitée – ou alors, peut-être que cela signifiait à l’inverse qu’il se souviendrait parfaitement de cette journée, chaque seconde, chaque détail s’insinuant en sa mémoire pour l’éternité, les signaux qu’il captait allaient et venaient, équivoques toujours et indéchiffrables parfois.
L’autre côté de la porte l’attendait de pied ferme. Affalées sur le canapé en L devant l’écran digne d’une salle de cinéma à regarder pour la énième fois le Voyage de Chihiro, Hayat et Amira, les jumelles, ne daignèrent pas, princesses comme elles étaient, se lever à son arrivée. Mais elles lui sautèrent dessus dès qu’il parvint à leur portée, l’enlacèrent avec force cris et rires, le frappèrent de leurs tendres poings fermés. Il fila à la cuisine se servir une menthe à l’eau glacée, revint sans prêter attention aux photos en noir et blanc qui habillaient le couloir. Rien que des Hollandais, il vénérait les footballeurs bataves qui pour le coup ne survivaient pas assez dans la mémoire collective. Cruyff, bien sûr, à ses yeux le plus grand, intelligent et élégant, novateur et imprévisible, mais aussi Gullit et Rijkaard, costauds et techniques, et surtout les deux attaquants à la hauteur desquels il rêverait d’arriver un jour si lui prenait l’envie de rêver, Bergkamp et Van Basten, dont il avait vu et revu toutes les vidéos disponibles. Puis il se posa entre ses filles pour parler deux minutes avec elles, s’enquérir de leur journée et de leurs projets. Charmantes et vives, elles paraissaient se plaire ici comme elles se sentaient bien partout, du moment qu’elles étaient accompagnées de leurs parents. L’année précédente, durant les mois qu’il avait passés à Londres lors de sa tentative malheureuse avec les Spurs, elles étaient restées en France avec Jessica. Quand, une fois par mois environ, elles traversaient la Manche, il les trouvait moins insouciantes et moins épanouies, plus râleuses ; une fois reparties, elles ne lui manquaient pas du tout. Au début, il avait eu honte de lui quand il en avait fait le constat, d’autant plus vite assumé que le contexte l’expliquait en partie : une des pires périodes de sa vie, la marche en avant, l’avenir radieux à portée de pieds, après quoi le plafonnement.
« Tu as pensé à aller récupérer ma montre ? »
Il se retourna vers Jessica, à moitié cachée par la cheminée suspendue dans laquelle aucun feu, jamais, ne crépitait. Allure des mauvais jours et tenue assortie, t-shirt d’un mauve passé, pantalon de jogging sans forme, chaussons en fausse fourrure. Et teint de marionnette, blanchâtre, cadavérique.
« Tu as ma montre ? » répéta-t-elle.
Sa montre. La Royal Oak en or rose et diamants qu’il lui avait offerte pour ses vingt-cinq ans et qu’elle ne portait quasiment pas. Il l’avait donnée à réparer un mois auparavant car il y avait un défaut lors du changement de date en fin de mois, sans doute Jessica avait-elle trop trituré le remontoir, et l’horloger avait envoyé en début de semaine un message pour avertir que la montre était prête.
« Évidemment, tu as oublié… J’en étais sûre !
– J’irai demain. »
Elle approcha sans le regarder avec un mauvais rictus aux lèvres, dépassa le canapé sans prêter attention aux filles, se retourna brusquement et le fixa ; elle a visionné trop de clips, pensa-t-il.
« Pourquoi tu oublies toujours ce qui me concerne ? »
Jessica Azzam, jeune femme distinguée au visage triangulaire, à la peau laiteuse, aux yeux vert clair, et dont les boucles rousses descendaient plus bas que les épaules, n’éprouvait en vérité aucun intérêt pour les montres, comme finalement elle n’aimait pas grand-chose dans la vie, estimait Mehdi. Elle avait selon lui un problème de comportement qui la faisait passer en une fraction de temps, sans raison objective, du ciel bleu à l’orage, de la jovialité pas forcément feinte aux colères les plus torrentueuses. Mehdi avait l’hab
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Sans se donner la peine d'effectuer un début de vérification, mot en voie de disparition dans les vocabulaires journalistiques, sans le moindre respect de la présomption d'innocence, Tout ce beau monde - journalistes, animateurs, commentateurs, intervenants récurrents spécialisés en tout - prenait fait et cause pour la plaignante devenue victime, cette icône des temps modernes, laquelle victime, qu'en l'occurrence on n'avait pas encore vu ni entendu, disait forcément la vérité et avait forcément raison.
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Terreau de la mixité sociale, laboratoire du vivre ensemble, le football, amateur ou professionnel, n'échappait pas plus aux jalousie qu'aux conflits et aux affrontements. Il y avait le racisme qu'on ne pouvait pas masquer, celui des kops et des supporters qui se manifestait par des cris de singe ou des lanceurs de bananes, les insultes et les banderoles. (...) Mais au-delà de ces racismes externes, il y avait celui, tu ou carrément dénié, qui émanait des joueurs eux-mêmes à destination de leurs semblables qui avaient le tord de ne pas leur ressembler assez.
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Dans ce monde hyper mediatisé et hyper violent, avait-elle constaté, la lutte est inégale entre le célèbre et l'obscur, entre l'homme et la femme, entre le riche et le pauvre, peu importe celui qui à raison, celui ou celle qui dit la vérité ; l'emporte celui qui crie plus fort que l'autre.
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Vidéo de Eric Halphen
VLEEL 286 Rencontre littéraire avec Éric Halphen, Les divisions, Éditions Buchet Chastel
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