Ces prières que je fais dans le noir

Mes sanglots me secouent si fort que je me demande si ce n’est pas une tentative désespérée de mon corps pour faire redémarrer mon cœur qui s’éteint, et je me dis que c’est peut-être pour ça qu’on pleure si fort, parfois : pour empêcher notre cœur de s’arrêter une bonne fois pour toutes.

Ce matin en me réveillant, j’ai pensé à la mort - la vraie mort, la définitive, celle dont on ne revient pas. Et j’ai eu peur. Peur de ces pensées qui ne me quittent pas et qui sont plus sombres de jour en jour.

En rentrant à l’appartement en début de soirée, je ne me suis même pas donné la peine de me faire à bouffer, au lieu de ça je me suis contenté de m’affaler comme une merde sur mon lit. Je n’ai pas bougé depuis. Les yeux rivés au plafond, j’ai ressassé et ressassé toutes ces choses de ma vie sur lesquelles je n’ai aucune emprise.

- Pourquoi n’as-tu jamais pu être le fils que je voulais ? assène-t-elle encore.
J’ai envie de lui hurler que j’ai toujours tout fait pour être celui que cette famille réclamait que je sois, que je me suis tellement tordu pour rentrer dans leur moule que je ne me reconnais plus, que je ne sais même plus qui je suis !

Ça me fait bizarre de me sentir si apaisé, subitement. J’ai l’impression qu’à toutes ces montagnes russes d’émotions succède une sorte de contrecoup qui me laisse vidé. Cette sensation d’engourdissement n’est pas désagréable, c’est même plutôt l’inverse. Ne tien éprouver sinon le trou creusé dans ma poitrine, là où se trouvaient mes certitudes… Et puis la présence de June, qui colmate tout.

- Quand il va bien, je vais bien. Quand il va mal, je vais mal. Le truc, c’est que ses moments hauts sont très hauts, et ses moments bas, très bas.
- Et en ce moment, c’est très bas, deviné-je.
- Ouais. Et l’autre soir, je n’avais simplement plus la force de… d’encaisser encore. Sur le coup, ça m’a juste paru plus facile de retomber dans mes travers que de lutter.

Je suis là, appuyé contre le comptoir, à regarder mes collègues, mais, en vérité, je me suis perdu dans ma tête. Et merde, il fait noir, là-dedans. Mes pensées les plus sombres et angoissantes se sont donné rendez-vous. Elles se parlent, se mélangent, se multiplient…
Bientôt il n’y aura plus de place - et alors, que se passera-t-il ?

- Mais… Tu l’aimes toujours ?
- Bien sûr, répond-il dans hésiter. C’est pour ça que c’est si difficile. […] C’est juste que… Certains jours, je me demande s’il retrouvera l’envie de vivre, la vraie. Et ça, ça me bousille.

Enfant, on pense que nos parents sont comme des dieux, qu’ils sont immortels. Puis on comprend que ce sont simplement des humains, comme nous, mais il reste en eux une part de divinité qu’on ne parvient pas à expliquer.

- Je t’aime, Thomas.
Un murmure, à peine un souffle. Pourtant, il fait céder un barrage, et elle n’arrive plus à retenir ses pleurs.
- Je t’aime aussi, maman.
Je voudrais essuyer ses larmes, mais je manque déjà de force pour contenir les miennes. Alors je ne fais rien. Pendant longtemps, on se contente de s’observer, et je mesure la chance qu’elle soit encore là, à côté de moi.