Ces prières que je fais dans le noir

Enfant, on pense que nos parents sont comme des dieux, qu'ils sont immortels. Puis on comprend que ce sont simplement des humains, comme nous, mais il reste en eux une part de divinité qu'on ne parvient pas à expliquer.

Ça y est, j'ai tout dis. J'ai tout raconté à la cour.

Je sors de la salle d'audience comme si elle était en proie aux flammes, tout en défaisant mon nœud de cravate et le premier bouton de ma chemise. Mais c'est peine perdu: je n'arrive pas à respirer, j'ai l'impression de suffoquer.

Je meurt de chaud, putain.

Je t'ai toujours choisi, Thomas. C'est toi qui ne me choisis jamais.

Tu crois qu'il y a un monde, dans le multivers, où on se serait choisis ?

- Pourquoi n'as-tu jamais pu être le fils que je voulais? assène-t-elle encore.

J'ai envie de lui hurler que j'ai toujours tout fait pour être celui que cette famille réclamait que je sois, que je me suis tellement tordu pour rentrer dans leur moule que je ne me reconnais plus, que je ne sais même plus qui je suis !
Le portable encore collé à mon oreille, j'ai la main qui tremble et le cœur prêt à exploser.

- Ce n'est pas grave, mon cœur, répond-elle. C'est juste que.. Tu es le seul à venir me voir, donc si tu n'as plus le temps, il ne me reste personne.

La culpabilité me prend à la gorge, et je me trouve con. Je sais que je ne devrais pas avoir honte, que je ne fais rien de mal en soi, que ce n'est pas elle, la victime, dans l'histoire. Merde, elle ne mérite pas que j'aie de la peine pour elle.

- Tu pourrais passer, cet après-midi ? m'interroge-t-elle.

- Je ne sais pas, maman. Je...

Un blanc s'étire.

- Tu...?

Je ne veux plus jamais te voir.

-Je suis contente qu'on se soit retrouvés.
Elle a parlé à voix basse, comme si ces mots étaient un secret entre nous. Un secret qui m'étreint le cœur et qui me fait du bien. Et parce que je veux moi aussi lui confier quelque chose, je murmure à mon tour sans la quitter du regard:
- T'as pas idée à quel point j'étais perdu sans toi.

C'est dans ces petits instants du quotidien- dans la normalité, dans la banalité - que je me sens le plus heureux. [...] Ce que j'ai toujours désiré, c'est ça: regarder la fille dont je suis tombé amoureux se brosser les dents juste avant d'aller se coucher pour s'endormir près de moi.

A mes yeux, être nu a toujours signifié être vulnérable. Fragile, même. Faible. Une proie facile. Mais pas avec elle. Avec elle, je ne suis ni vulnérable ni fragile ou faible.
Je suis juste moi, Thomas Jaeger-lynch Jr, une personne a part entière- tout en âme, en chair et en os. Je suis un être humain, une création de Dieu entre l'ange et l'animal, à la fois esprit et corps. Et je n'ai pas a m'en vouloir d'être autant l'un que l'autre, d'avoir besoin des plaisirs terrestres autant que de la nourriture spirituelle.

Mes sanglots me secouent si fort que je me demande si ce n'est pas une tentative désespérée de mon corps pour faire redémarrer mon coeur qui s'éteint, et je me dis que c'est peut être pour ça qu'on pleure si fort, parfois: pour empêcher notre coeur de s'arrêter une bonne fois pour toutes.