- Peut-être que maman m’enfermait dans un placard, mais papa enfermait mes émotions, reprends-je avec le sentiment d’être comme un train sur le point de dérailler. En fin de compte, ils m’ont brisé tous les deux, à leur façon. […] Et toi aussi, tu m’as brisé, dans un sens.
J’ai chaud et j’ai froid en même temps. Mon souffle s’emballe encore, pourtant j’ai l’impression que je ne pourrai plus jamais respirer. J’ai mal partout, pourtant je ne sens plus mon corps. Je suis là, et pourtant je me sens absent.
Comment de simples souvenirs éparpillés et flous, peuvent-ils me donner l’impression de mourir à l’intérieur ?
Au moment de pousser la porte, j’ai peur. Je suis mort de trouille, même. Et finalement, lorsque je mets un pied dans la pièce, le monde continue de tourner.
Les adultes sont retournés à leurs occupations et, moi, je n’ai qu’une envie, c’est de rentrer pour m’enfermer dans ma chambre. Je n’en ai pas le droit, mais je ne veux pas rester ici non plus.
Soudain, je sens une main attraper la mienne depuis le dessous de la table près de laquelle je suis tombé. Je bascule à genoux et je me laisse entraîner, comme avalé par l’immense nappe blanche. Une fois à l’abri, je vois le visage de la personne qui m’a attiré jusqu’ici.
C’est une fille. Elle a de longs cheveux blonds réunis en une tresse sur le côté, de grands yeux verts et un petit nez retroussé. Elle est jolie, très jolie. Mais qu’est-ce qu’elle fait là ? C’est vrai qu’on se croirait dans une cachette de pirates, j’aime bien.
Elle me sourit, alors je fais pareil. Et là, elle me dit :
- Ici, tu peux pleurer si tu veux.
Là où devrait battre mon cœur, je ne sens qu'un trou énorme.
- Je t’ai toujours choisi, Thomas.
- Qu’est-ce qui t’a pris de te soûler au collège ? Dans la chapelle, qui plus est ? Je pensais t’avoir mieux éduqué que ça, tu me fais honte.
Je ressens ses mots plus que je ne les entends. Ce sont des larmes sous ma peau, qui me lacèrent à l’intérieur.
Son visage est impassible, comme si elle était imperméable à toute émotion, comme si ce qui venait de traverser n’était rien - absolument rien. Mais je ne suis pas dupe. Grand-mère est simplement très douée pour dissimuler ce qu’elle ressent.
- Tu crois qu'il y a un monde, dans le multivers, où on se serait choisis ?