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“Car c'est ainsi que les hommes naissent, vivent et disparaissent, en prenant avec les cieux de funestes engagements.”

Le prologue est exceptionnel de puissance lyrique. Les premières phrases claquent, plaçant immédiatement le récit dans la tragédie de la condition humaine vouée irrémédiablement à la prédation et la violence. Puis le récit se resserre dans le huis clos d'un hameau isolé où se rend un jeune guérisseur au chevet d'un garçonnet, le temps d'une nuit de terreur ancestrale.

Comme dans un conte, on est totalement hors du temps tant l'histoire
pourrait se passer aussi bien au Moyen-Âge qu'aujourd'hui. Comme dans un conte, les personnages n'ont pas de prénom, c'est juste le fils, c'est la mère, c'est l'homme aux épaules rouges. Comme dans un conte, il y a un interdit, ici laissé par la mère un peu sorcière qui passe le relais à son fils : ne jamais s'écarter de sa mission de guérisseur, sinon ...

« Au milieu de cette foule aveugle, titubante ( les hommes ), certains comprennent les choses cachées. Ils devinent en silence les grands tremblements du corps, les affaissements soudains du sang, ils possèdent le don, la force. Ils se mêlent aux autres et les soignent, les apaisent, ils ressemblent à des hommes et des femmes mais ils portent en eux des décennies de douleur et de joie, ils connaissent le feu, ils l'ont en eux, ils maîtrisent les flammes. »

Le fils comprend la langue des choses cachées, il comprend ce qu'il se passe dans les maisons, dans les corps, dans les têtes, il ressent ce qui ne se voit pas, il entend le langage qui existe dans les silences et ses sous-textes qui sont les secrets. Nous sommes dans un conte noir sur le passage à l'âge adulte, une histoire de transgression. le fils aura une décision à prendre en s'affranchissant d'un ordre établi venu du fonds des âges, il devra agir contre tout ce que sa mère lui a transmis, quitte à réveiller les fantômes et tout risquer d'embraser.

L'écriture de Cécile Coulon accompagne le parcours nocturne du fils avec une force incroyable. Avec peu de mots - mais terriblement évocateurs-, elle convoque une atmosphère pleine de mystères, de malédictions, d'opacité irrationnelle à la lisière de l'horrifique, tout en déroulant un récit à la limpidité évidente. le lecteur ne voit rien mais comprend tout des enjeux suggérés, pris dans des sensations intenses qui le retournent et le glacent lorsqu'il entrevoit le terrible du destin passé et en marche lors de quelques scènes aussi fulgurantes que poétiques.

Il est rare de lire un roman aussi court et fervent qui parvient à décrire un microcosme humain éruptif avec une scénographie des lieux marquante. La concision sert la sidération de ce qui est raconté sur l'histoire éternelle de la résilience des femmes face à la brutalité du monde et des hommes.

« Oui c'est ainsi que vient la mort.(...) elle se révolte contre ce qui était prévu, écrit, mis en place, elle se fiche des lois qui ne sont pas les siennes. Seuls comptent pour elle la langue des choses cachées, les fantômes pris dans leurs chaînes comme un grand amour dans un coeur brisé, les animaux coupés en deux au bord de forêts sombres dévastés par la pluie, les bâtiments écroulés où naissent encore des oiseaux grinçants de faim. C'est ainsi que vient la mort, nous l'accueillons avec des bars pleins de fleurs, des yeux pleins de larmes surpris qu'elle nous connaisse si bien, et qu'elle éveille en nous des amours plus fortes que la vie elle-même. »

Je suis très admirative du travail de Cécile Coulon, que ce soit ses poèmes ou ses romans. Celui-ci est assurément un de mes préférés avec Une Bête au paradis.
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C'est le premier roman que je lis de l'auteure. Elle nous plonge dans univers d'une extrême noirceur, une histoire hors norme, une situation atypique, Elle nous entraîne dans les méandres de la folie humaine, dans un monde de violence, un monde de désillusions , de vengeance. L'auteure use d'un vocabulaire riche, et avec une grande dextérité , elle place les mots , là ou il faut quand il le faut, faisant ressortir le coté obscur, glaçant de l'histoire, cet univers mystique, fantastique, ésotérisme. Elle a travaillé la psychologie des personnages en profondeur certains dégageants de l'empathie, d'autres sont détestables .La plume de l'auteure est percutante, subtile, sensible et poétique. L'histoire se déroule dans un village celui du "Fond du Puits". Un village qui fait appel au guérisseur "Le fils" ,celui qui doit soigner un enfant malade, "Le fils" remplace sa mère, celle qui lui a enseigné les coutumes ancestrales de la guérison. le "fils " qui va se retrouver seul face à cette situation, lui qui est présent pour soigner, lui qui va découvrir une erreur du passé engendré par sa mère , qui va changer le court de sa vie, transgresser, bien malgré lui, l' enseignement qu'il a reçu. Messager de " La langue des choses du passé " se trouve face à la réalité immonde de la vie . Un roman court, un roman qui fait peur , qui fait réfléchir . L'auteure signe un livre un récit , époustouflant, Une belle découverte.
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Nous avons tous ressenti ça un jour. Vous savez, cette sensation singulière où il y a dissonance entre ce qui est dit et ce qui est ressenti, une compréhension confuse de non-dits bien plus authentiques que ce qui est dit. Il suffit parfois de presque rien, de toutes petites choses chez l'autre en face de nous, une façon de jouer avec ses mains, de se tenir, une façon autre de parler, une altération minime du regard. Impossibles à prouver, impossibles à rationaliser, ces choses cachées, amalgamées en différentes strates, nous en percevons alors la présence, la profondeur vertigineuse, surtout lorsqu'elles concernent nos histoires familiales intimes, comme si un sixième sens était à l'oeuvre. Une voix plus animale et instinctive en nous, plus empathique, une intuition au-delà de toute rationalisation des ressentis, fugace, éphémère, des lambeaux qui parfois nous filent entre les doigts, de petits gouffres dont nous percevons quelques microsecondes la noirceur…Ces choses cachées, tel est l'objet de ce livre magnifique de Cécile Coulon.

Avec poésie, Cécile Coulon nous convie à un voyage au coeur des aspects les plus sombres de l'âme humaine, un voyage dans les secrets dont nous sommes faits. Elle effleure les douleurs cachées, les drames vécues, les atrocités commises qui se répercutent parfois sur des générations et des générations, scellées dans des secrets transmis, cristallisées dans des colères incalmables et des héritages inévitables.

Pour ce faire, l'auteure nous propose un conte et comme dans beaucoup de contes, les personnages n'ont pas de nom, la temporalité n'est pas mentionnée. Cette histoire pourrait se passer aujourd'hui ou il y a des centaines d'années, qu'importe.
Il y a la Mère, le Fils, le prêtre, l'enfant, l'homme aux épaules rouges et la femme aux yeux verts. Mais surtout, comme toujours dans les livres de Cécile Coulon, il y a un lieu, un lieu emblématique, personnage à part entière de chacun de ses ouvrages, point de départ de la naissance de ses histoires, qui lui instille insidieusement son ambiance, ses couleurs, ses tonalités : ici un village aussi sombre que son nom, le Fonds du Puits, village paumé et moribond niché entre deux collines. le Fils va venir y effectuer sa première mission, seul, sans la Mère.

La Mère connait bien les choses cachées dont nous parlions au début, elle a la faculté de les percevoir avec acuité au point de savoir parler la langue des choses cachées, elle entend tout ce qui est tu, elle voit ce qui est tapi, elle porte attention et comprend les signes, elle possède ainsi un don de guérison, nos maladies étant souvent la conséquences de nos maux psychologiques et de nos fardeaux, elle que l'on implore lorsque la médecine et la religion ne peuvent plus rien. Ce don, elle l'a transmis à son fils, elle lui a tout appris. La mère se faisant vieille, le fils part donc, seul, pour sa première mission au lieu-dit le Fond du puits. Oui, un lieu aussi noir que le promet son nom, ce d'autant plus que la Mère ne lui a pas tout dit de ce village où, des années auparavant, elle est déjà venue. Les gens se souviennent, ils n'ont pas oublié, notamment, une certaine cruauté.

« le Fond du Puits repose toujours à l'ombre : l'eau y est fraiche, l'herbe plus verte que sur les deux seins pelés qui l'entourent, une seule route le traverse, un clocher le grandit. Les maisons y sont bien rangées. Les vivants persistent à vitre. On ne qui jamais le Fonds du Puits sur ses deux jambes, mais toujours portés par d'autres ».

Alors qu'il est venu pour guérir un enfant à l'agonie, il va en réalité dénouer un drame passé dont la Mère a pris part, remuant l'histoire qui se joue entre membres d'une même famille et entre membres d'une même communauté depuis des générations. En pensant faire mieux, faire autrement, en croyant rendre justice à la femme aux yeux verts contre l'homme aux épaules rouges.

« Il voir la longue table et il sait qu'ici des femmes ont été prises.
Le bois : brossé de traces, de mains qui se sont agrippées à son bord, d'assiettes chaudes, de couteaux plantés, d'ongles cassés ».

A fleur de peau avec les sensations et les intuitions qui lui sautent à la figure, le Fils comprend les drames qui se sont joués et quel a été le rôle de sa mère. Elle a certes soigné mais n'a pu rétablir l'équilibre des choses, la justice telle que les humains se la représente. En prenant la décision de faire des choses que la Mère lui a interdit de faire, de transgresser l'ordre établi, de faire ses propres choix, le Fils va rétablir l'équilibre. Pense-t-il tout du moins…En réalité il sera tout aussi cruel qu'elle. A sa manière. En faisant tout le contraire, il arrive finalement au même résultat.

La fin tragique de ce conte m'a fait tressaillir et réfléchir…qu'aurais-je fait à la place de la Mère et à la place du Fils ? En toute sincérité, je ne sais pas et cette question n'a pas fini de m'interroger…Qu'est-ce qui est juste lorsque des atrocités ont été commises ? Est-ce réparable ? La faute des hommes est-elle réparable, eux qui « construisent des villes géantes pour des vies minuscules, et la haine de cette petitesse les pousse à toutes les grandeurs » ? La loi du Talion des hommes, est-ce le juste rétablissement des choses ? N'engendre-t-elle pas plus de haine et de malheurs ?


Mais quelle plume absolument magnifique que celle de Cécile Coulon ! Il n'y a rien à ajouter, rien à retirer, la plume teintée de poésie noire semble aussi ancestrale et authentique que le conte qu'elle narre. le style, riche, subtile et précis, sensoriel également, doté d'une grande puissance évocatrice, sert magnifiquement cette histoire atemporelle.


Cécile Coulon, via ce conte sombre et initiatique, est implacable sur notre condition humaine.
Elle nous invite cependant à être attentifs aux choses cachées, à conscientiser notre intuition en portant une attention particulière au monde, notamment à nos proches. A tenter de mieux percevoir, mieux ressentir l'indicible, l'invisible. A nous interroger sur les secrets familiaux, à aller traquer les signes et les indices, pour mieux nous connaitre, mieux comprendre nos agissements et mieux transmettre en acceptant avec bienveillance et conscience l'héritage générationnelle.
Ce conte est aussi une leçon d'affranchissement, il nous enseigne en effet que notre façon d'être au monde, notre chemin, forcément singulier, différent de nos aînés, importe plus que le résultat, souvent pas si éloigné finalement de celui que nous ne voulions pas atteindre.

Un conte captivant qui fait réfléchir, sa morale étant soumise à multiples interprétations ce qui en fait un livre très riche. Une lecture marquante assurément ! Définitivement sous le charme du style, de la plume, de l'art de la narration, définitivement amoureuse de la langue ensorcelante de Cécile Coulon !



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Sera-t-il possible, comme elle l'a tenté pour ne pas nous effrayer, que l'écrivaine dissimule son talent derrière un fromage à pâte molle ?
Je crains bien que ce ne soit là peine perdue !
Car jamais peut-être n'avait on aussi profondément raconté les tréfonds de l'âme humaine, les choses qui ne sont pas ou qui se définissent mal, qui effraient, les cauchemars accrochés à la vie sans devoir jamais s'y diluer.
Le mot a été ici tourné et retourné pour apercevoir l'indicible.
"La langue des choses cachées" est un roman de Cécile Coulon, paru en janvier 2024 aux éditions "L'iconoclaste".
C'est un récit sidérant, sombre et désespérant.
Un récit teinté de surnaturel et entaché par des éclaboussures du cloaque de la condition humaine.
Il me semble que la littérature n'avait pas pris une telle gifle depuis "le faussaire" de Jean Blanzat.
C'était bien avant l'invention du normatif code-barre.
Mais là, il n'a pas pu s'interposer entre le mot et l'émotion.
La langue a retrouvé de sombres accents mystérieux que l'on avait perdus de vue sans même s'en apercevoir.
Le mot est neuf.
Le style lui semble ancestral, aussi vieux que le souffle qui modèle ce récit initiatique et terrifiant.
Le fils a pris la relève d'une mère qui n'avait plus la force des longues marches.
Il est arrivé au "Fond du Puits" pour guérir un enfant.
Il va y dénouer un drame vieux de plusieurs années ...
La langue est riche, l'idée est précise.
Le tout est teinté d'une sombre poésie.
Les chapitres sont très courts.
Les phrases emportent les destins comme le Gave roule les galets au fond de son lit.
La manière de raconter est hors du temps, à la fois ancienne et renouveau de la littérature.
Ce livre est magnifique.
Que Dieu me savonne et qu'Edmond me pardonne mais voilà un prix Goncourt qui aurait du corps, du panache et du style !
Mais rien sur le fromage à pâte molle !

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J'ai aimé ce court roman incandescent aux allures de conte noir.
Quel lyrisme, quel pouvoir évocateur et quelle intensité dans cette écriture! Un texte crépusculaire certes mais nimbé de poésie.
Il débute par une vision apocalyptique de l'humanité à la fois angoissante et magnifique.
Le récit, vif et empreint d'ésotérisme, devient vite intrigant voire par moment malaisant, on ne sait pas trop où Cecile Coulon veut nous mener mais on ne lâche pas pour autant son écriture hypnotique. On la suivra dans un dédale bien sombre jusqu'au tréfonds de l'âme humaine dans sa part la plus noire.
Le Fonds du Puits. C'est au sein de ce lugubre hameau isolé avalé par les ombres où le soleil ne pénètre jamais, qu'un jeune homme « le fils » possédant un don de guérisseur transmis par sa mère doit se rendre une nuit afin de soulager un enfant gravement malade. À l'origine c'est sa mère que les âmes perdues appellent mais désormais trop âgée pour se déplacer elle envoie son fils à sa place. Ce sera son baptême du feu.
Guidé par son instinct il se dirige non sans crainte vers cette étrange contrée.
Accueilli par un prêtre peu avenant tous deux traversent la nature hostile et le village sans vie jusqu'à la demeure de l'enfant malade. Une inquiétude sourde y plane, « le fils » est assailli par des visions, submergé par le mal (/mâle) qui règne en ces lieux et suinte de toutes parts. L'Atmosphère est viciée et menaçante, il perçoit des vibrations et des choses indicibles : « les choses cachées ».
Ses visions le confrontent à un drame qui se joue depuis des décennies dans cet endroit où la cruauté des hommes se perpétue au détriment de l'innocence.
Le destin va frapper à la porte et un rebondissement provoquer une lutte intérieure, « le fils » sera mis à l'épreuve et peut-être contraint de transgresser les règles édictées par sa mère… La fin est surprenante.
C'est un roman initiatique et métaphorique, un texte incantatoire sur la transmission bien sûr, mais aussi sur les conséquences de la violence dissimulée, sur la vengeance, la part d'ombre et de lumière en chacun de nous.
Poétiquement glaçant.
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Cécile Coulon infuse ses histoires dans sa tête tout en courant plusieurs kilomètres chaque matin. Puis elle écrit plusieurs pages. (Info entendue sur France Inter.) Voilà qui explique peut-être cette transe hypnotique qui façonne ce court roman.
Le lecteur est propulsé dans un monde perdu, loin de toute civilisation, dans une nature rude, là où agissent des coupeurs de feu, des guérisseurs, des rebouteux. Celle qu'on nomme La Mère et son fils sont de ceux-là, ceux qui « guérissent, voilà, on les appelle pour cela, mais c'est bien autre chose que nous ne comprenons pas. Ils ont appris très tôt « la langue des choses cachées. ».
C'est le fils qui va se rendre au Fond du Puits, au chevet d'un enfant malade beau comme un ange. Pourtant, c'est la laideur qui l'entoure, la laideur et la violence des hommes torturés, des femmes violées dont « le fils » entend les voix.
Toute l'histoire est concentrée sur un temps très court, une seule nuit, mais une nuit pleine de peurs et de mystères car la mort plane sur le hameau. Réel et fantastique se côtoient et se mêlent pour mieux nous plonger dans un certain malaise.
Ce roman surprenant nous fait entrer de plain-pied dans une atmosphère inquiétante, glaçante, et pétrie de non-dits, de légendes et de secrets. Bien qu'il soit très court, j'ai trouvé que le récit tournait en rond avec des redondances. Certes, l'écriture est virtuose, et Cécile Coulon s'y entend pour nous traduire cette « langue des choses cachée », mais cette maestria de l'écriture qui domine l'ensemble jusqu'à étouffer l'émotion m'a semblé un brin artificielle.
Je suis restée à distance de cette histoire pourtant prometteuse dont j'attendais davantage.
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Cécile Coulon, sans doute inspirée par le côté sombre de l'humain, cherche la langue des choses cachées. Mais dire les choses en leur attribuant des qualificatifs noirs, violents, voir mystérieux ne suffit pas toujours à les faire ressentir comme telles, à donner du corps au récit, à susciter l'émotion. Toutefois Cécile Coulon s'améliore. Depuis Une bête au paradis son style poétique s'est affirmé en même temps que son univers a pris des couleurs et du relief. Gageons qu'avec un peu plus de maturité et un peu moins d'assurance en son talent, elle arrive à quelque chose de vraiment abouti.
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« Au milieu de cette foule aveugle, titubante, certains comprennent les choses cachées. »

Dans les dédales obscurs et les sombres parfums d'une époque reculée, « le fils » a reçu de sa mère le don de saisir le sens des choses cachées, un don qui s'accompagne du don de guérir, et qui fait de lui, celui que l'on appelle lorsque la mort rôde.

C'est la première fois que « la mère » usée par les ans, l'envoie seul au « Fonds du Puits » pour soigner un enfant atteint d'un mal mystérieux.

Après une longue marche dans les forêts, il est accueilli à la nuit tombée par le prêtre du lieu qui l'attend devant « la croix plantée dans un rocher gris ».

En entrant dans la maison, où le père de l'enfant mourant se ronge les sangs, « le fils » saisit que le mal a frappé la demeure qu'il vient de pénétrer. La table de la salle à manger lui apparaît pour ce qu'elle est : le lieu maudit des multiples viols commis par un homme violent, « d'une laideur de fond de village ».

En découvrant le fils malade, le guérisseur pense un instant qu'il est arrivé trop tard et que la mort a déjà englouti le petit être innocent.

« L'enfant est d'une beauté stupéfiante : la maladie le rend plus lumineux, sa peau semble faite d'un papier d'église (...) ; la vie résiste sur ses lèvres, la chaleur vient de là, le reste du corps s'épuise, mais « le fils » reconnaît un souffle, une force si légère qu'il faut un homme comme lui pour la reconnaître ».

« Le fils » accomplit en secret sa mission et promet à son père que son enfant vivra. Son devoir est clair, il doit à présent rentrer au plus vite auprès de sa mère. Mais la main insistante d'un autre enfant frappe à la porte de son logis de fortune. « Le fils » rompt sa promesse filiale de ne jamais laisser de trace de son passage et accepte de suivre l'enfant qui le mène auprès de sa tante qui souffre d'un mal mystérieux.

---

« La langue des choses cachées » nous emporte dans un temps qui semble révolu. Un temps d'hommes cruels et durs à la tâche. Un temps qui semble coïncider avec celui de la chanson de Bob Dylan, « Shelter for the storm », qui commence ainsi :

« It was in another lifetime, one of toil and blood
When blackness was a virtue the road was full of mud
I came in from the wilderness, a creature void of form
Come in, she said
I'll give you shelter from the storm »

Un temps reculé et sauvage, où les hommes s'en remettent aux pouvoirs mystérieux de ceux qui parlent la langue des choses cachées pour venir soigner leur corps et leurs âmes meurtris.

Le style du nouvel opus de Cécile Coulon fait immédiatement mouche et nous transporte dans cette époque de peine et de sang, où la noirceur est une vertu et la route couverte de boue, qu'évoque la chanson de Dylan.

L'auteure pose le décor de son terrible récit avec une maestria qui laisse coi et nous plonge dans la psyché tourmentée du « fils » qui affronte sa première mission de guérisseur. En rompant le serment qu'il a fait à sa mère de s'en tenir à sa mission première et en suivant le jeune neveu insistant, il va plonger dans les entrailles des terribles secrets que recèle « le Fonds du puits ».

« La langue des choses cachées » n'est pas seulement une immersion dans un monde cruel, violent, mystérieux. Il nous retrace également le parcours initiatique d'un jeune guérisseur, à qui les objets content les ignominies qui se sont déroulées autour d'eux. Un jeune homme en proie au doute, qui en apprendra plus qu'il ne devrait sur les indicibles secrets du lieu où on l'a convié.

Récit glaçant, nimbé d'une poésie étrange, le nouveau roman de Cécile Coulon invente une langue brute et âpre qui nous conduit dans un monde oublié, où s'affrontent le bien et le mal, un monde sauvage qui gronde au creux de notre âme de lecteur hypnotisé par « La langue des choses cachées ».

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La langue des choses cachées, c'est comme la douleur furieuse de plonger dans un autre monde, lorsque la présence des gens devient comme une écharde dans l'oeil.
Un jeune guérisseur est appelé par un prêtre pour venir dans un village coincé entre deux basses collines où les rues deviennent des labyrinthes, ce village s'appelle le Fond du Puits, il est venu soigner un enfant malade, dévoré par les fièvres dans cette chambre sombre comme un tombeau, c'est un enfant que personne n'a encore réussi à soigner, au chevet duquel son père veille. On appelle ce guérisseur en dernier recours parce qu'il comprend le feu qui dévore les corps, il connaît les gestes pour enlever ou y remettre ce feu.
Le jeune guérisseur aborde ce territoire avec des visions qui lui révèlent ce que d'autres ne voient pas ou ont oublié. Ici au détour du chemin il devine sur cet orbe aux branches majestueuses le visage placide de pendus, là sur cette grande table en bois censée servir des repas, gît encore le souvenir douloureux de femmes violées.
Il se retrouve brusquement en proie à un passé dévastateur entre deux familles, un passé que sa mère connaît, elle-même guérisseuse, c'est un passé qui ne passe pas, qui mêle des violences entre un homme et une femme.
Hypnotiques, bouillonnants, fiévreux sont les mots de ce court roman qui se déroule durant une seule nuit.
Ici on ne nomme pas les gens, ont dit le fils, la mère, le prêtre, l'enfant, l'homme aux épaules rouges, la femme qui tient un fusil...
Ce n'est pas ce jeune guérisseur qui aurait dû venir cette nuit-là, mais sa mère qui lui a transmis son pouvoir. Elle est désormais trop vieille pour l'accompagner, ce soir-là elle n'a pas trouvé la force de venir, alors son fils vient pour la première fois, doit s'émanciper de sa mère qui lui a tout appris sans qu'on sache comment, l'histoire ne le dit pas, il lui faut désormais apprendre à guérir par lui-même, en passant peut-être par d'autres procédures...
C'est en ce sens un roman initiatique, un roman d'apprentissage, mais le jeune guérisseur doit faire seul, il va accomplir la traversée de ce village en une seule nuit.
Il y a cette mère, la mère du jeune guérisseur, omnisciente dans le texte, bien qu'elle ne soit jamais là et c'est comme si elle devenait brusquement le personnage principal, surtout parce qu'elle n'est jamais là.
L'histoire va unir ses deux personnages, la mère et le fils, comme une une oscillation entre deux versants, dans cette mission presque divine dont ils sont investis et qui les unit dans la distance.
Le fils, personnage mutique, mais qui parle pourtant bien plus que la mère, - c'est dire, qui transgresse déjà le pouvoir par la mère qui lui avait ordonné de ne jamais parler, faire mais ne jamais dire. Apprendre la langue des choses cachées, c'est apprendre à se taire.
La parole est vaine et en même temps parle de chemins nouveaux.
Chaque lecteur peut voir ici, prendre un peu ce qu'il veut, métaphore de l'apaisement et du soin, de la mort et de la vengeance, du chagrin éternel qui unit le malheur des hommes.
Le plus important ce sont les actes de la mère et du fils, qu'on ne comprend pas et parce qu'on ne les comprend pas, on y croit plus que jamais. Ainsi, ce récit ressemble à un conte.
J'ai ressenti la crasse immonde d'un lieu en tournant les premières pages, l'innommable, la noirceur de l'humanité, des maisons qui chuchotent, des hurlements derrière les portes, c'est un lieu habité par des âmes en souffrance.
Oserais-je dire que le lieu est important dans la narration de ce récit ?
Le paysage, les endroits, sont des éléments fondateurs dans l'oeuvre romanesque de Cécile Coulon, pour ceux qui la connaissent un peu. Ici c'est un lieu habité par des personnages eux-mêmes habités par ce lieu. Prisonniers aussi...
Je crois volontiers Cécile Coulon un peu magicienne, un peu sorcière, capable de percer le ventre d'un texte de ses doigts de fée, d'aller chercher dans la lie poisseuse des mots les entrailles de l'âme humaine, de les porter dans la lumière du jour, de les métamorphoser par une alchimie dont elle a seule le secret, en une poésie baroque, intemporelle.
Raconter quelque chose qu'on ne peut pas dire, pas nommer explicitement, ne pas pouvoir en décrire les gestes, ni peindre les visages, encore moins les sentiments... La langue des choses cachées ne passent pas par des mots. le langage peine à raconter ce qui se passe ici.
Cécile Coulon est allée chercher dans ces personnages la noirceur profonde, pour dire à quel point ce fils est vital pour le village, mais à quel point ce village est vital pour le fils.
Comment voir, débusquer, démasquer ce qui n'est pas dit ?
C'est alors qu'il faut se servir d'un autre langage, celui du regard, des gestes, ce qui est dérobé, ce qui est invisible, ce qui se terre dans l'envers du décor.
La noirceur conduit le destin des hommes, elle se veut ici cathartique dans les gestes d'un jeune guérisseur dont les mains savent enlever ou laisser le feu dans un corps en souffrance/
La toute fin de ce roman envoûtant qui m'a embrasé est totalement sidérante, impossible de l'oublier ni par les mots ni par les images, ni par ce qu'elle produit dans le creux du ventre, ni par le chemin qui nous permet de nous échapper dans ce labyrinthe de rues.

« C'est ainsi que vient la mort, nous l'accueillons avec des bras pleins de fleurs, des yeux pleins de larmes, surpris qu'elle nous connaisse si bien, et qu'elle éveille en nous des amours plus fortes que la vie elle-même. »
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La mère l'a éduqué, entraîné, instruit pour que rien de ce monde ne lui soit étranger, pour qu'il prenne un jour, sa place. le fils déploie ce que la mère lui a appris, il est seul à entendre les cris, le seul à parler la langue des choses cachées, là où s'affrontent les forces. Il convoque et voit le passé.
Il m'a été difficile d'entrer dans ce roman, sa lecture n'est pas très aisée. Et puis j'ai été happé par l'écriture à la fois poétique et brutale de Cécile Coulon. Elle nous entraîne dans les ténèbres de la condition humaine. Un exercice littéraire très original, une plongée dans ce que l'âme a de plus noir, un récit très actuel contrairement à son apparence.
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