« Au milieu de cette foule aveugle, titubante, certains comprennent les choses cachées. »
Dans les dédales obscurs et les sombres parfums d'une époque reculée, « le fils » a reçu de sa mère le don de saisir le sens des choses cachées, un don qui s'accompagne du don de guérir, et qui fait de lui, celui que l'on appelle lorsque la mort rôde.
C'est la première fois que « la mère » usée par les ans, l'envoie seul au « Fonds du Puits » pour soigner un enfant atteint d'un mal mystérieux.
Après une longue marche dans les forêts, il est accueilli à la nuit tombée par le prêtre du lieu qui l'attend devant « la croix plantée dans un rocher gris ».
En entrant dans la maison, où le père de l'enfant mourant se ronge les sangs, « le fils » saisit que le mal a frappé la demeure qu'il vient de pénétrer. La table de la salle à manger lui apparaît pour ce qu'elle est : le lieu maudit des multiples viols commis par un homme violent, « d'une laideur de fond de village ».
En découvrant le fils malade, le guérisseur pense un instant qu'il est arrivé trop tard et que la mort a déjà englouti le petit être innocent.
« L'enfant est d'une beauté stupéfiante : la maladie le rend plus lumineux, sa peau semble faite d'un papier d'église (...) ; la vie résiste sur ses lèvres, la chaleur vient de là, le reste du corps s'épuise, mais « le fils » reconnaît un souffle, une force si légère qu'il faut un homme comme lui pour la reconnaître ».
« Le fils » accomplit en secret sa mission et promet à son père que son enfant vivra. Son devoir est clair, il doit à présent rentrer au plus vite auprès de sa mère. Mais la main insistante d'un autre enfant frappe à la porte de son logis de fortune. « Le fils » rompt sa promesse filiale de ne jamais laisser de trace de son passage et accepte de suivre l'enfant qui le mène auprès de sa tante qui souffre d'un mal mystérieux.
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«
La langue des choses cachées » nous emporte dans un temps qui semble révolu. Un temps d'hommes cruels et durs à la tâche. Un temps qui semble coïncider avec celui de la chanson de
Bob Dylan, « Shelter for the storm », qui commence ainsi :
« It was in another lifetime, one of toil and blood
When blackness was a virtue the road was full of mud
I came in from the wilderness, a creature void of form
Come in, she said
I'll give you shelter from the storm »
Un temps reculé et sauvage, où les hommes s'en remettent aux pouvoirs mystérieux de ceux qui parlent
la langue des choses cachées pour venir soigner leur corps et leurs âmes meurtris.
Le style du nouvel opus de
Cécile Coulon fait immédiatement mouche et nous transporte dans cette époque de peine et de sang, où la noirceur est une vertu et la route couverte de boue, qu'évoque la chanson de Dylan.
L'auteure pose le décor de son terrible récit avec une maestria qui laisse coi et nous plonge dans la psyché tourmentée du « fils » qui affronte sa première mission de guérisseur. En rompant le serment qu'il a fait à sa mère de s'en tenir à sa mission première et en suivant le jeune neveu insistant, il va plonger dans les entrailles des terribles secrets que recèle « le Fonds du puits ».
«
La langue des choses cachées » n'est pas seulement une immersion dans un monde cruel, violent, mystérieux. Il nous retrace également le parcours initiatique d'un jeune guérisseur, à qui les objets content les ignominies qui se sont déroulées autour d'eux. Un jeune homme en proie au doute, qui en apprendra plus qu'il ne devrait sur les indicibles secrets du lieu où on l'a convié.
Récit glaçant, nimbé d'une poésie étrange, le nouveau roman de
Cécile Coulon invente une langue brute et âpre qui nous conduit dans un monde oublié, où s'affrontent le bien et le mal, un monde sauvage qui gronde au creux de notre âme de lecteur hypnotisé par «
La langue des choses cachées ».