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Critique de Kirzy


Kirzy
22 février 2024
“Car c'est ainsi que les hommes naissent, vivent et disparaissent, en prenant avec les cieux de funestes engagements.”

Le prologue est exceptionnel de puissance lyrique. Les premières phrases claquent, plaçant immédiatement le récit dans la tragédie de la condition humaine vouée irrémédiablement à la prédation et la violence. Puis le récit se resserre dans le huis clos d'un hameau isolé où se rend un jeune guérisseur au chevet d'un garçonnet, le temps d'une nuit de terreur ancestrale.

Comme dans un conte, on est totalement hors du temps tant l'histoire
pourrait se passer aussi bien au Moyen-Âge qu'aujourd'hui. Comme dans un conte, les personnages n'ont pas de prénom, c'est juste le fils, c'est la mère, c'est l'homme aux épaules rouges. Comme dans un conte, il y a un interdit, ici laissé par la mère un peu sorcière qui passe le relais à son fils : ne jamais s'écarter de sa mission de guérisseur, sinon ...

« Au milieu de cette foule aveugle, titubante ( les hommes ), certains comprennent les choses cachées. Ils devinent en silence les grands tremblements du corps, les affaissements soudains du sang, ils possèdent le don, la force. Ils se mêlent aux autres et les soignent, les apaisent, ils ressemblent à des hommes et des femmes mais ils portent en eux des décennies de douleur et de joie, ils connaissent le feu, ils l'ont en eux, ils maîtrisent les flammes. »

Le fils comprend la langue des choses cachées, il comprend ce qu'il se passe dans les maisons, dans les corps, dans les têtes, il ressent ce qui ne se voit pas, il entend le langage qui existe dans les silences et ses sous-textes qui sont les secrets. Nous sommes dans un conte noir sur le passage à l'âge adulte, une histoire de transgression. le fils aura une décision à prendre en s'affranchissant d'un ordre établi venu du fonds des âges, il devra agir contre tout ce que sa mère lui a transmis, quitte à réveiller les fantômes et tout risquer d'embraser.

L'écriture de Cécile Coulon accompagne le parcours nocturne du fils avec une force incroyable. Avec peu de mots - mais terriblement évocateurs-, elle convoque une atmosphère pleine de mystères, de malédictions, d'opacité irrationnelle à la lisière de l'horrifique, tout en déroulant un récit à la limpidité évidente. le lecteur ne voit rien mais comprend tout des enjeux suggérés, pris dans des sensations intenses qui le retournent et le glacent lorsqu'il entrevoit le terrible du destin passé et en marche lors de quelques scènes aussi fulgurantes que poétiques.

Il est rare de lire un roman aussi court et fervent qui parvient à décrire un microcosme humain éruptif avec une scénographie des lieux marquante. La concision sert la sidération de ce qui est raconté sur l'histoire éternelle de la résilience des femmes face à la brutalité du monde et des hommes.

« Oui c'est ainsi que vient la mort.(...) elle se révolte contre ce qui était prévu, écrit, mis en place, elle se fiche des lois qui ne sont pas les siennes. Seuls comptent pour elle la langue des choses cachées, les fantômes pris dans leurs chaînes comme un grand amour dans un coeur brisé, les animaux coupés en deux au bord de forêts sombres dévastés par la pluie, les bâtiments écroulés où naissent encore des oiseaux grinçants de faim. C'est ainsi que vient la mort, nous l'accueillons avec des bars pleins de fleurs, des yeux pleins de larmes surpris qu'elle nous connaisse si bien, et qu'elle éveille en nous des amours plus fortes que la vie elle-même. »

Je suis très admirative du travail de Cécile Coulon, que ce soit ses poèmes ou ses romans. Celui-ci est assurément un de mes préférés avec Une Bête au paradis.
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